Pépites #19, Around Jazz
Around Jazz, quelques pépites…
C’est du jazz… mais pas tout à fait non plus. Voici une collection de disques qui méritent qu’on leur rétrocède une oreille très attentive.
Shijin, Shijin
Ils sont quatre, et non des moindres. Une véritable alliance européenne ! Il y a d’abord la section rythmique, la première à entrer en action. Le bassiste multi-genres parisien Laurent David (on en reparlera) et le batteur bruxellois overbooké Stéphane Galland, qui a rejoint le quartet entre les nombreux projets qu’il mettait simultanément sur pieds. Ces deux-là forment entre autres l’assise rythmique d’Ibrahim Maalouf. Ajoutez Malcolm Braff, le claviériste suisse (d’origine brésilienne) au look et au jeu improbables, un touche-à-tout dont le prisme d’intérêt semble s’étendre à l’infini. Enfin, le saxophoniste guadeloupéen « Brother Jacques » Schwarz-Bart complète le quartet, soit un professeur du prestigieux Berklee College of Music. Quatre personnalités fortes donc, comme autant de points cardinaux auxquels la symbolique orientale « Shijin » se réfère. Comme la lasagne, « Shijin » (l’album) a été construit par couches successives, sans cependant (et c’est à noter) altérer la cohésion du groupe. A la rythmique de base se sont ajoutés les claviers et, enfin, les parties de saxophone. Le son d’ensemble puise ses origines aussi bien dans le rock que le jazz, avec de forts accents influents venus de l’Afrique et des Caraïbes. Des compositions vitaminées qui oscillent entre un free attentif et une légèreté rassurante, avec, toujours en point de mire, un swing exploratoire que l’on aimerait découvrir sur une scène…
Andromeda Anarchia’s,
DarkMatters
Où l’on retrouve la paire androgyne Laurent David/Malcolm Braff, augmentée du batteur Olaf Ryter, pour « encadrer » les performances virulentes de la chanteuse suisse Andromeda Anarchia. Dans la note promotionnelle qui accompagne le disque, « DarkMatters » est annoncé comme étant un projet de compositions mis en œuvre par cette artiste lors de crises de bipolarité. En quelque sorte, le reflet musical de troubles qui exaltent des sentiments de tristesse, un trop-plein d’énergie et beaucoup de sensualité. Sous ses apparats de hard gothique (le lettrage, le patronyme, la pochette signée David Boillat), le disque d’Andromeda refoule en vérité beaucoup de beaux sentiments, certes ambigus, mais toujours sincères. Parfois excessif (mais ce n’est pas non plus du Nina Hagen), souvent maîtrisé, ce « DarkMatters » bipolaire lui aussi, mérite le détour d’une oreille aussi attentive que curieuse.
R+R=Now,Collagically Speaking
Pour Reflect + Respond = Now, un patronyme choisi pour rendre hommage à Nina Simone. Mais encore ? Le son d’une dream team. Voire d’une nouvelle génération du jazz ! Pensez donc : R+R=Now réunit sous la même bannière Robert Glasper et Taylor McFerrin aux claviers, Christian Scott à la trompette, Derrick Hodge et Justin Tyson pour la section rythmique. Excusez du peu ! Ils sont tous là, exception faite peut-être de Kamasi Washington qu’on aurait pu enrôler pour tenir le saxophone. Contenu ? Simple : un thème ou une grille d’accords autour duquel le gang étire son plaisir jusqu’à notre étourdissement, un son ultra-léché, des beats hip-hop irrésistibles (écoutez en priorité Reflect Reprise, vous comprendrez vite!). On peut sans doute reprocher au groupe sa superficialité, le côté trop « easy » du propos. Mais c’est si agréable à entendre qu’on leur pardonne tout. Marc Moulin, dont on fête les quarante ans de Radio Cité ce mois-ci, aurait adoré ! Plus cool que ça, tu t’endors !
Palatine,Grand paon de nuit
A vrai dire, nous ne savions plus trop par quel bout prendre cet album. Un album qui néanmoins tourne sur la platine de façon obsessionnelle, ou qui ne s’en éloigne que peu de temps. Et en effet, les chansons qui composent « Grand paon de nuit » sont belles et sombres comme les ténèbres. Elles sont chantées en français ou en anglais (plus rarement), d’une voix magnifiquement suave qui supporte des textes écrits au bord de la perversité. Ecoutez en priorité « Stockholm » qui pourrait être à cette nouvelle chanson française ce que « C’est arrivé près de chez vous » représentait pour le nouveau cinéma francophone. La musique folk rock langoureuse du quatuor parisien se joue en plaquant des accords réverbérés sur une vieille Rickenbacker. Elle trahit ses origines pour nous transposer au bout des routes incertaines qui mènent à Twin Peaks…
Joseph « YT » Boulier