Pépites #25, Around Jazz
Around Jazz, quelques pépites…
C’est du jazz… mais pas tout à fait non plus. Voici une collection de disques qui méritent qu’on leur rétrocède une oreille très attentive.
Cuong Vu Quartet, Change In The Air
Nous nous étions quittés, il y a un an, avec un hommage rendu au tromboniste Michael Gibbs sous la forme d’un cédé « Ballet » intéressant mais un peu approximatif. Sans doute était-ce dû aux conditions (live) d’enregistrement un peu difficiles. Mais nous nous étions quittés en de bons termes, pas de malaise entre nous à ce sujet-là. C’est donc avec beaucoup de plaisir que nous retrouvons le quartet en l’état, exactement dans la même formule. Avec le trompettiste Cuong Vu (connu pour ses collaborations avec Pat Metheny) en qualité de leader, et avec ses trois complices (dont un Bill Frisell plus voyageur que jamais) ne demeurant jamais les bras ballants. Tous se partagent d’ailleurs l’ensemble des compostions qui accommodent ce « Change In The Air », cette fois enregistré dans des conditions optimales. Si ce titre peut susciter un certain pessimisme (la vision d’une certaine Amérique ?), on l’oublie vite à l’écoute (par exemple) du bluesy/groovy Alive (une composition du batteur Ted Poor) ou d’un Long Ago (Frisell) nettement plus rêveur. On apprécie ce road movie en Terres profondes et on approuve cette homogénéité dans l’éclectisme.
Stuff, Old Dreams New Planets
L’action se déroule dans une brasserie hutoise, voici quelques semaines. J’y rencontre trois jeunes gars, des Flamands qui se lancent dans la production de disques vinyles pour le compte du label STROOM.tv Belgium (nous y reviendrons en temps utiles). Je leur parle de cette nouvelle vague du jazz flamand qui déferle sur l’Europe (en attendant mieux) et leur fais part de mon admiration pour les Donder, Don Kapot, Condor Gruppe, Nordmann, Black Flower, Dans Dans et tant d’autres ! L’un d’eux me demande alors si je connais Stuff (avec un « . » me précise-t-il), un groupe qui fait beaucoup parler de lui en ce moment derrière notre frontière linguistique (et malheureusement culturelle). De nom, oui… Je me souviens aussi de cette pochette intrigante (un gros monsieur semblant ronfler à tue-tête), celle de leur premier album. Par contre, je crois bien ne jamais avoir entendu. De retour au bureau, recherches sur la toile. Stuff. semble bénéficier des faveurs de Flagey (un fan club ?). Actuellement en résidence, invitation à la soirée spéciale qui s’y est déroulée à l’occasion de la commémoration des dix ans de la disparition de Marc Moulin, participation au Brussels Jazz Festival pour une relecture innovante de la musique d’Howard Shore. Le groupe a signé un contrat avec le label anglais Gondwana pour son nouvel album. Un gage de succès et de qualité. Aussitôt reçue, j’insère la rondelle dans le mange-disques et m’envoie une première écoute de l’album en question. Joli titre : « Old Dreams New Planets ». Comme souvent, cette première écoute demande persévérance. Electro-pop et jazz complexe. L’analyse doit encore s’affiner. Dès la deuxième écoute et pour toutes celles qui suivront, mon système nerveux s’emballe ! Dès l’entrée en matière, dès les premières notes, vous vous retrouvez sans défense, absorbé par la puissance qui se dégage de cette musique. Un peu dans la lignée des BadBadNotGood, Kneebody + Daedelus et autres Comet Is Coming, ces gars-là se donnent les moyens d’atteindre leurs objectifs. Et pour y arriver, le talent ne suffit pas. Encore faut-il abandonner ses complexes au vestiaire, se lancer à corps perdu dans la grande aventure. Pas question de cynisme ni de faux-semblants. Stuff., c’est puissant, élégant, intelligent, réconfortant et, surtout, dansant. Oui, machines et instruments sont faits pour vivre ensemble.
Mark Lockheart, Days on Earth
J’ai un aveu à vous faire. Je n’ai jamais trop apprécié les « grandes formations ». Bien sûr, il y a l’Attica Blues d’Archie Shepp, à voir une fois dans sa vie, ou l’Orchestra Vivo de Garrett List que j’ai plutôt bien apprécié. Mais en jazz comme en musique classique, mes choix se portent généralement vers les petites structures. Oui, je préfère (et de loin !) un prélude de Purcell pour quatuor à cordes qu’une symphonie de Wagner. C’est donc avec une certaine appréhension que j’ai déballé le cellophane qui protégeait ce « Days on Earth » de Mark Lockheart, à peine rassuré du fait qu’il était publié chez Edition Records (souvent un bon signe, ça !). Le saxophoniste sideman de la pop (il a soutenu les Prefab Sprout, Stereolab, High Llamas et tant d’autres) et ex-partenaire de Polar Bear ou de Loose Tubes, se trouve ici en sextet ! Renforcé de surcroît d’un orchestre de trente musiciens (Direction John Ashton Thomas). Ouch ! Après une première écoute discrète (et sans encombre, à ma surprise…), j’ai réenclenché quelquefois le processus de lecture. Dans la voiture, traçant la route dans le brouillard, dans la cuisine, en mijotant un tajine de poulet aux citrons confits ou bien calé au fond de mon fauteuil rouge préféré. Chaque fois la même conclusion : que cette musique est belle et riche avec ces arrangements-là; comme ça fait du bien, cet équilibre parfait des instruments, ce swing léger. Je vous le confirme : il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis…
Joseph « YT » Boulier