Pépites #37, Around Jazz
Around Jazz, quelques pépites…
C’est du jazz… mais pas tout à fait non plus. Voici une collection de disques qui méritent qu’on leur rétrocède une oreille très attentive.
Henryk Górecki/Beth Gibbons/
Orchestre national de la radio polonaise,
Symphony N°3
Une chanteuse pop à la voix remarquable et au talent indiscutable, interprétant la symphonie n°3 de Henryk Górecki… Était-ce une bonne idée ? Réponse sibylline : tout dépend de votre point de vue. Reprécisons le contexte. Avant toute chose, la symphonie n°3, c’est une œuvre emblématique, composée en 1976 et mise en lumière par le label Nonesuch en 1992. Sans doute moins emblématique pour les « vrais » amateurs de musique classique que pour tous les autres, souvent beaucoup plus jeunes, qui ont eu la chance de s’y intéresser grâce à elle. La symphonie n°3, c’est la puissance émotionnelle des cordes qui coulent en cascades continues, des plus graves au plus aiguës, pour servir une mélodie d’une ampleur rarement entendue. Trois mouvements – tous lents – d’une tristesse si pure qu’elle a séduit plus d’un million d’adeptes romantiques dans le monde. Un véritable « hit » ! Qui mieux que Beth Gibbons, la voix du groupe de trip hop britannique Portishead, pouvait relever ce défit : chanter ces textes bouleversants (on ne l’appelle pas « la symphonie des chants plaintifs » pour rien), avec cette voix naturellement chargée d’émotion ? Beth Gibbons, merveilleuse Beth Gibbons, qui s’expose si rarement (cinq albums en tout, répartis sur vingt-cinq ans de carrière) que l’on irait à pied jusqu’au pôle Nord pour l’entendre chanter une berceuse. Alors vous pensez bien, LA « symphonie n°3 » de Górecki ! Le compositeur polonais a-t-il pensé à cette grande chanteuse blonde à l’allure un peu triste lorsqu’il l’a composée ? Non, évidemment. Trop tôt (ou trop tard…). Et le problème se situe bien là ! Górecki a écrit cette œuvre pour « soprano solo et orchestre ». Beth Gibbons a beau être ce jour même, la chanteuse la plus fantasmagorique de l’univers pop/rock et même un peu plus, elle ne maîtrise pas une technique suffisante pour jouer les sopranos. Ce n’est pas son registre. Qui plus est en « live » et dans une langue étrangère à la sienne (le polonais…). Imaginez qu’on demande à Venus Williams de participer à un tournoi de ping-pong. Et les limites de son combat, on les entend clairement ici. Pour conclure et répondre à la question de départ : non ce n’était pas une bonne idée, mais nous sommes si heureux d’entendre à nouveau la voix de Beth Gibbons ! Et enfin, si je pouvais très humblement vous faire une suggestion : découvrez, si ce n’est déjà fait, l’album « Out of Season », qu’elle a enregistré en compagnie de Paul Webb (alias Rustin Man) en 2002. Dieu Tout Puissant ! Si des frissons vous parcourent l’échine, ce ne sera pas à cause de l’hiver… Beth, reviens vite, on t’en supplie !
Fred Frith, Live At The Stone,
All Is Always Now
Le Stone : un club new-yorkais à l’esthétique spartiate, niché depuis peu à Greenwich Village. Une salle fondée il y a environ quinze ans par John Zorn qui en a fait un temple de la musique expérimentale et avant-gardiste. Cette musique qui divise, c’est le moins que l’on puisse dire. Pour les uns (une grande majorité, il faut en convenir), il s’agit de séances absconse de torture auditive. Les fans du style prétendent pour leur part que le caractère obscur de cette musique en définit sa force et que seul un génie peut produire (et comprendre…?) ces œuvres qui détournent les écritures et métamorphosent les codes. Parmi les compositeurs les plus aguerris de l’avant-garde (outre Zorn), on site volontiers le guitariste anglais Fred Frith. Celui-ci squatte le Stone dès qu’il en a l’occasion. Environ à quatre-vingts reprises depuis l’ouverture du club. Sous des formules différentes et en compagnie de musiciens partageant les mêmes horizons embrouillés (Evan Parker, Sylvie Courvoisier, Ikue Mori, et tant d’autres…). « Live at the Stone : All Is Always Now » compile, en trois cédés, une sélection de vingt-trois «performances » enregistrées par Frith au club. Dissonant, organique, étrange… Il est déconseillé d’enfiler ces trois grosses heures d’écoute sans plages de repos. Même les amateurs les plus chevronnés sont prévenus. Fred Frith sera en concert au Handelsbeurs de Gand le 5 novembre prochain.
Ordinaire, Tales of Literacy
Achevons si vous le voulez bien cette édition un peu particulière des « pépites » par un objet non moins particulier. Le duo Ordinaire – soit une basse, un laptop et une voix – nous livre régulièrement ses étranges colis. Un disque court, de textes mis en musique (à moins qu’il ne s’agisse de l’inverse), inséré dans un emballage singulier… Après avoir traité des sujets aussi variés (et intéressants) que les révélations faites au sujet d’un certain I.C., les prescrits légaux en matière de navigation en voies fluviales ou encore un plaidoyer dans le cadre d’une incapacité de travail, nos Picpic André de l’électro-mots s’attaquent cette fois aux difficultés et inexactitudes de la langue française… Onze minutes d’instructions communiquées avec un certain recul et beaucoup de second degré bien évidemment. Quoique… Entre les lignes, à bien y réfléchir, il existe certainement un message sous-entendu (avec un tiret, j’ai vérifié). Toujours aussi fascinant !
Joseph « YT » Boulier