Pépites #47, Around Jazz
Around Jazz, quelques pépites…
C’est du jazz… mais pas tout à fait non plus. Voici une collection de disques qui méritent qu’on leur rétrocède une oreille très attentive.
Christian Scott aTunde Adjuah,
Ancestral Recall
Le revoici déjà, de retour d’une tournée colossale qui l’a vu sillonner le Monde aux quatre points cardinaux. L’occasion pour lui de défendre avec succès son « Centennial Trilogy » consacrant le centième anniversaire de l’enregistrement d’un album de jazz (jass dans le texte). Christian Scott aTunde Adjuah, sa « stretch music » riche d’inventivité, ses drôles d’instruments prototypes qu’il confectionne lui-même et qu’il affuble de petits noms sympas (la trompette Adjuah, le bugle inversé, la sirinette…), son statut de Chef de tribu d’Indiens Creeks à asseoir. Et ça se lit dans le choix des titres qui forment cet « Ancestral Recall » (Ritual, Diviner, Prophesy …), comme ça s’entend clairement au niveau des nouvelles compositions du musicien louisianais. Il n’est cependant guère question de tribu ici, ou d’un un gang qui se modulerait sous la forme d’un quartet ou d’un quintet. Chaque titre de l’album se joue en formation à géométrie variable dans laquelle, à la ronde, Saul Williams (voix), Elena Pinderhughes (flûtes) ou Weedie Braimah (percussions) occupent une position privilégiée. Depuis son trône, avec son jeu plaintif aux accents hispanophones (mais toujours dynamique), Christian Scott aTunde Adjuah se faufile subtilement en se jouant des boucles rythmiques afro-cubaines et des séquences électroniques. On aime ce musicien, toujours posé au croisement de l’ancien et du renouveau et on aime sa musique bourrée de belles intentions, qui prône l’enrichissement par la différence. A supporter sans retenue et en sextet Salle Flagey, Bruxelles, le jeudi 7 novembre.
Soren Bebe Trio,
Echoes
S’il fallait grossièrement définir la formule piano/basse/batterie de ces dernières années selon deux écoles distinctes, l’une serait « standard » (avec Keith Jarrett à sa tête), l’autre « révolutionnaire » (Esbjorn Svensson en serait le démiurge). Et il ne fait aucun doute que le Soren Bebe Trio rejoindrait cette dernière communauté. Toutefois, un E.S.T. (Esbjorn Svensson Trio) qui abandonnerait son assise rythmique « power ». Non pas que la paire Anders Mogensen/Kasper Tagel se contente ici de jouer les utilités, mais bien parce que, à quelques exceptions près, la musique du pianiste danois ne se joue que sous la forme de ballades. Sur cet « Echoes », elles se succèdent, douces et mélancoliques. Jamais une note plus haute que l’autre ! Un jazz (très) agréable de fin de nuit, que l’on s’écoute en se servant un dernier Haut-Médoc. Juste avant d’éteindre la lumière. Délicatement…
The Jamie Saft Quartet,
Hidden Corners
Il y a quelques mois à peine, RareNoise publiait « You Don’t Know the Life », un album que Jamie Saft a enregistré en trio, avec Steve Swallow et Bobby Previte à la rythmique. Un disque largement dédié à l’orgue Hammond, véritable clé de voûte de l’œuvre. Exit l’orgue (bonjour le piano) et changement de stratégie. Avec ce « Hidden Corners » sur lequel souffle le vent tiède de la liberté cosmique, on passe d’une défense à trois (avec deux faux ailiers) à un « quatre arrières en ligne », composé de Jamie Saft (piano) et Dave Liebman (au souffle) à la manœuvre et avec Bradley Jones (contrebasse) et Hamid Drake (batterie) pour insuffler le tempo. Si vous pensiez que ce schéma entraînerait (forcément) plus de rigidité tactique, vous vous trompez lourdement ! Chez le barbu new-yorkais, on joue pour s’amuser… Qu’importe le risque encouru ! S’il prend l’idée à l’un d’entre eux de se lancer dans un solo exploratoire pour renforcer l’attaque, on lui apportera du soutien sans rouspéter. Le premier titre de ce « Hidden Corners » parfois très free, parfois extatique, résume bien la philosophie du quartet : Positive Way. Rien ne peut leur arriver, sinon le meilleur… Ce qu’on leur souhaite !
Joseph « YT » Boulier