Pépites #73, Around Jazz

Pépites #73, Around Jazz

Around jazz, quelques pépites…

C’est du jazz… mais pas tout à fait non plus.

Voici une collection de disques qui méritent qu’on leur rétrocède une oreille très attentive.

Erlend Apneseth,

Fragmentarium

HUBRO RECORDS

Jetons un œil sur l’emballage. Sur un établi s’entassent pêle-mêle tenailles, trusquins, maillets, rabots et autres outils de menuiserie. Dans son atelier et en pochette intérieure, un homme d’âge mûr prend fièrement une pause entre les jolis bateaux de décoration et les violons qu’il confectionne. La beauté de cette pochette tient dans le fait que cette scène anodine nous délivre un message rempli de nostalgie et de respect. Cet homme est-il le grand-père d’Erlend Apneseth ?Exactement à l’image de sa musique. Une musique folk qu’il a bricolée (voire expérimentée) avec l’appui d’amis renommés. On y rencontre de magnifiques mélodies sous forme de valses tristes et quelques danses poétiques prescrites pour manches de guitares, touches d’accordéon, résonances de cordes, vibrations de contrebasse et scintillements de cymbales… Enfin et toujours avec ce respect qui le caractérise, Erlend Apneseth a utilisé quelques échantillons sonores puisés au Centre de musique folk basé à Buskerud, ce qui confère à ce « Fragmentarium » une touche ambient que Brian Eno et David Sylvian devraient apprécier. Son outil de prédilection est le hardanger (une version norvégienne du violon), mais si la sensibilité pouvait elle aussi être reconnue comme un instrument de musique, nul doute qu’Erlend Apneseth en serait un virtuose reconnu.

Bobby Previte/Jamie Saft/Nels Cline,

Music from the Early 21st Century

RARE NOISE

« A quoi ressemblait la musique que nos aïeuls écoutaient au début du siècle dernier ? » Cette question, nos arrière-petits-enfants se la poseront peut-être en effectuant des coups de sonde sur l’équivalent des moteurs de recherches d’une époque future. Soyons honnêtes, il y a peu de chance qu’ils tombent sur ce disque-ci, plutôt destiné à un « public de niche », ce qui n’enlève évidemment rien à ses qualités. Trois compères, dont deux se côtoient régulièrement. Tout d’abord, aux claviers, le barbu new-yorkais Jamie Saft, un habitué des productions RareNoise. Avec, ici, un jeu et un son qui nous rappellent parfois ceux de Jon Lord (oui oui, LE Jon Lord de Deep Purple, vous avez bien lu…). Ensuite, son vieux compère à la batterie, Bobby Previte, qui a connu une multitude de projets dans les hautes sphères du jazz avant-gardiste, de John Zorn à Elliott Sharp. Pour compléter le trio et achever les présentations, soulignons la présence du guitariste californien Nels Cline, dont le tempérament bipolaire l’a conduit du jazz au rock alternatif, plus particulièrement au sein de la formation Wilco. Les sessions de « Music from the Early 21st Century » ont été enregistrées il y a un an, en public, lors d’une mini-tournée américaine. Chaque titre est largement improvisé. La structure des morceaux ne semble pas avoir été établie à l’avance. Ce qui permet à chacun d’évoluer en complète liberté, sans frontières. Ni du son, ni de l’espace. A l’image du « Hubble Legacy Field » qui orne la pochette… La première image de notre univers prise par un télescope spatial.

 

Commander Spoon,

Spooning

W.E.R.F. RECORDS

EP après EP, les Bruxellois de Commander Spoon ont su imposer leur style libertin sur les scènes d’un nouveau jazz belge qui s’invite dorénavant dans des salles et des festivals dont les jauges permettent de rêver à d’autres perspectives. Trois EP, autant de cartes de visite dont Jazz Around s’est fait l’écho. On tient là un quartet prometteur… Aussi bien à l’aise sur la plaine de Dour (été 2019), où l’énergie de leur propos fut accueillie avec enthousiasme, que sur la Place Xavier Neujean (printemps 2020) où les festivaliers du « Mithra Jazz à Liège » réserveront à leurs improvisations magistralement contrôlées, l’hospitalité qu’elles méritent. Autre signe qui ne trompe pas, c’est finalement le label flamand W.E.R.F. qui a obtenu la faveur de leur première signature (les trois EP avaient été publiés en mode autoproduction). Et en effet, la musique de Commander Spoon sied parfaitement bien aux sonorités généreuses qui nous parviennent abondamment depuis le Nord du pays. Sans rien perdre de leurs qualités originelles. Comme par le (récent) passé, les Bruxellois s’appuient sur le souffle de leur saxophoniste Pierre Spataro dont les envolées permettent les plus beaux lâchés de brides. Oui, nous l’affirmions déjà, « plus rock que jazz mais aussi plus jazzy que roll »…

Commander Spoon à l’Ancienne Belgique ce jeudi 19 mars, puis à l’OLT Rivierenhof d’Anvers, le 28 mars et au Mithra Jazz à Liège, le 14 mai.

 

Joseph « YT » Boulier