Pépites #79, Around Jazz
Around Jazz, quelques pépites…
C’est du jazz… mais pas tout à fait non plus.
Voici une collection de disques qui méritent qu’on leur rétrocède une oreille très attentive.
Rustin Man,
Clockdust
Le Rustin Man en question (rien à voir avec une rustine, quoique… vous traduirez plutôt par « l’homme rouillé ») s’appelle en fait Paul Webb au civil. Vous repérerez son nom sur les pochettes de trois albums essentiels qui doivent à tout prix garnir les rayons de votre discothèque. En tant que membre fondateur du groupe londonien Talk Talk, il a aidé activement Mark Hollis à produire « Spirit of Eden » et « Laughing Stock », qui sont considérés aujourd’hui comme deux fleurons initiatiques du mouvement post-rock. Après une courte parenthèse consacrée à O.Rang (toujours avec le batteur Lee Harris) et une longue période de silence, Paul Webb produit sous le pseudonyme Rustin Man l’éblouissant « Out Of Season », en compagnie d’un autre personnage astral, la chanteuse Beth « Portishead » Gibbons. S’en suivent dix-sept années de mutisme complet… Seul son ami Mark Hollis semble s’accoutumer d’un tel régime… Enfin, il y a un an, Rustin Man publie un premier album solo, sorti quasiment dans l’anonymat… « Drift Code » contenait d’ailleurs suffisamment de matériel pour qu’un deuxième album puisse suivre à distance raisonnable. « Clockdust » renferme neuf perles. Que Paul Webb chante lui-même, avec une voix si fragile (imaginez un mix entre la voix de Robert Wyatt et celle de Chet Baker) qu’on dirait qu’elle n’est pas assurée, … mais si poignante ! Neuf perles que Paul Webb joue quasiment seul (il maîtrise tous les instruments qui gravitent autour de lui), sous le regard protecteur de son vieux complice Lee Harris. Neuf chansons sans âge, ni rock, ni jazz, que vous ne fredonnerez pas sous la douche. De toute façon, ces chansons, vous préférerez les garder jalousement, rien que pour vous !
Ill Considered,
9 – East / West
Il y a quelque chose de spécial chez Ill Considered. Quelque chose qu’on ne parvient pas à s’expliquer. Comme d’autres (Nubya Garcia, Sons of Kemet, Kamaal Williams, …) le trio appartient indiscutablement à cette scène « Rebirth of Jazz » particulièrement active à Londres. Batterie / basse (oui, quelle basse!) / saxophone. Rien de plus… Mais il existe chez eux un surplus qu’il faudra déclarer à la douane lorsque les négociations post-brexit auront enfin abouti. Des sons, du groove, de la puissance, des libertés. Allez savoir ?! Ce qui, en « live », donne une impression de douce folie incontrôlable. Et ça, on adore ! Et justement, ça tombe bien puisque ce neuvième volet des aventures d’Ill Considered réunit des titres captés lors de concerts donnés par le groupe à Londres il y a quelques mois. Un document à vrai dire qui n’existe pour l’heure qu’en téléchargement sur la page bandcamp du trio (il faudra qu’on s’y fasse à cette nouvelle politique de ventes…). Une première moitié enregistrée à l’Est, avec, en guest, Tamar Osborne au saxophone, puis trois autres titres fleuve qui nous viennent de Londres Ouest où le percussionniste Satin Singh a chipé la place de l’invité. Rien n’est planifié, tout se trouve inventé et improvisé devant notre mine ébahie par ce voyage intergalactique entre les lignes de flottaison incertaines… Décidément, nous vivons une époque bizarre !
Laurits Hyllested,
Darling River
Les passionnants chemins qu’emprunte un chroniqueur sont parsemés de belles petites découvertes. Comme cet étincelant « Darling River », inclassable, et qui m’a contraint à une patience d’ange pour en prendre l’exacte mesure. En dessiner les contours, lisses mais aux arrondis larges. Dès la première plage, l’auditeur est plongé au cœur d’un halo de mystère. Un quatuor à cordes, une trompette que l’on avait déjà entendue chez Herbert Joos et la finesse d’un piano qui s’enfuit sous un tempo éthéré. Plus tard, « Holding » nous rappelle que ce disque est l’œuvre d’un batteur danois. Bien qu’étant à l’initiative, aux arrangements et à la composition des sept plages, Laurits Hyllested retournera régulièrement à l’ombre pour éviter les coups de projecteurs. On ne sait plus trop si ce « Darling River » relève du jazz ou de la musique néo-classique. Et à vrai dire, on s’en fout un peu… On se laisse séduire par ses ambiances troublantes, on se laisse apprivoiser par ses lenteurs et on finit par succomber à son charme…
Joseph « YT » Boulier