Perelman-Maneri-Shipp-Wooley, Strings 4
Ivo Perelman-Mat Maneri
Matt Shipp-Nate Wooley,
Strings 4
Musique de chambre librement improvisée « free-jazz » d’inspiration microtonale. Strings 4 parce que cette nouvelle série d’enregistrements initiée par le saxophoniste brésilien Ivo Perelman était consacrée aux cordes : principalement l’altiste Mat Maneri et des violonistes comme Mark Feldman et Jason Kao Hwang, le violoncelle de Hank Roberts… (cfr Strings 1 et Strings 2). Et puis le trompettiste Nate Wooley fait irruption dans Strings 3 (chroniqué il y a une semaine) et rejoint ici par le pianiste Matt Shipp, le plus proche collaborateur d’Ivo, qui lui aussi a beaucoup joué avec Maneri. La combinaison sax ténor – trompette – violon alto – piano fonctionne et assume tous les centres d’intérêts musicaux et ludiques du saxophoniste, responsable et commanditaire de la session. Ce qui est remarquable : l’équilibre permanent et instable entre les quatre musiciens et leur capacité à improviser dans une empathie entière tout en restant fidèles à leur personnalité musicale individuelle. Si les souffleurs et l’altiste étirent les notes et font plier les intervalles comme si le tempérament égal « plain vanilla » faisait partie d’un univers à jamais disparu. Qui a entendu successivement un clavecin accordé à l’ancienne (à la française ou à l’allemande de l’époque baroque – il y a des dizaines d’échelles !) et un clavecin moderne à tempérament égal comme le piano, me comprendra sans doute. En jouant volontairement et avec discernement « à côté » des intervalles académiques de la musique classique occidentale, on obtient une saveur sonore particulière qu’on trouve dans les musiques populaires traditionnelles de Sardaigne ou de Grèce, dans la musique indienne ou persane etc… et dans le blues. Tout le talent de Maneri et de Perelman est d’avoir créé des gammes personnelles sur l’étendue de la tessiture de leurs instruments respectifs. Perelman déplace légèrement la position des lèvres sur l’anche par rapport à la position centrale conventionnelle et glisse d’un chouïa en accentuant légèrement et en ralentissant le débit du souffle, sans oublier d’atteindre les harmoniques, de feindre l’hésitation. On en reconnaît immédiatement le timbre, la sonorité et le degré microtonal et on songe à notre cher Lol Coxhill disparu ou à Ornette Coleman, tout simplement. Nate Wooley a un talent fou pour travestir sa voix en empathie avec son collègue souffleur et Mat Maneri évoque l’esprit de ces extraordinaires violonistes d’Inde du Sud. Le pianiste Matt Shipp, qui lui ne peut pas agrémenter les gammes de son clavier de la sorte, choisit d’attraper des idées curieuses ou des cadences de ses camarades au vol et d’en jouer des variations ou d’en extrapoler le feeling rythmique. Nous découvrons des sonorités surprenantes et des chassé-croisé inventifs où les quatre improvisateurs virevoltent et se répondent simultanément quatre à quatre dans des décalages et tuilages subtils. Il est impossible de déflorer l’ensemble des phases sans devoir réécouter attentivement une douzaine de fois et plus cet album vraiment intéressant. Certains passages sont parfois moins requérants que d’autres, eux, époustouflants ou profondément touchants et lyriques. Les aléas de l’improvisation totale. Question : ont-ils sélectionné les neuf improvisations de Strings 4 d’un nombre plus important de pièces ou s’agit-il des neufs morceaux enregistrés dans l’ordre ? Excellent de bout en bout.
Jean-Michel Van Schouwburg