Philip Catherine : L’éternel désir
Philip Catherine: L’Eternel Désir
Propos recueillis par Claude Loxhay
Vous connaissez beaucoup de musiciens que l’on peut reconnaître dès les premières notes ? Parker, Miles, Chet, Coltrane… à coup sûr, vous pouvez ajouter Philip Catherine et cette magie qu’il a de faire chanter la note, de savoir marier lyrisme mélodique et sens du rythme, pure émotion et swing inextinguible. Après l’album “Côté Jardin” enregistré en quartet et consacré à un florilège de compositions originales (la plupart de Philip, les autres de son pianiste Nicola Andrioli), voici “New Folks” gravé en duo avec le contrebassiste allemand Martin Wind pour le label ACT et dédié à un répertoire mêlant standards intemporels, grands classiques signés Oscar Pettiford, Hank Jones ou Dexter Gordon et compositions originales des deux complices. Avec sa bonhomie habituelle, Philip Catherine explique la genèse de ce nouveau projet.
Comment s’est faite la rencontre avec Martin Wind ?
Elle s’est faite en deux étapes : la première, il y a plus ou moins vingt ans. Le jeune Martin Wind m’a téléphoné d’Allemagne, me disant qu’il aimerait bien jouer avec moi et me signalait qu’il avait été fort marqué par “The Viking” que j’ai enregistré en duo avec Niels-Henning Orsted Pedersen, un album produit à New York, en 1983, par Norman Granz. Mais rien ne s’est concrétisé après ce coup de fil : je n’étais pas libre à ce moment-là. Plus ou moins vingt ans après ce coup de fil, le producteur Siggi Loch m’appelle en 2013 et me propose d’enregistrer un album en duo, pour le label ACT. Je me suis souvenu de suite de ce vieux coup de fil de Martin, la proposition de Siggi Loch amplifiait la demande de Martin. Et soi-dit en passant, Siggi Loch faisait écho à beaucoup de choses après un silence assez long : c’est lui qui avait produit nos deux albums en duo avec Larry Coryell, “Twin House” et “Spendid” dans les années 1970 et qui a financé mes albums “Babel” en 1980 et “End of August” en 1981.
Comment avez-vous choisi le répertoire?
Quelques mois avant l’enregistrement, Martin et moi, nous nous sommes échangés des mails avec partitions en PDF et des MP3. Puis, quelques jours avant l’enregistrement, j’ai rencontré Martin pour la première fois. Nous avons eu six jours pour modeler notre répertoire, un jour pour répéter dans un hôtel en Allemagne et trois jours de concerts, avec, à chaque fois, répétition aux sound checks. On a ensuite passé deux jours en studio en présence du producteur Siggi Loch. Ce dernier était aussi actif dans certains choix de morceaux. Par exemple, Blues In The Closet d’Oscar Pettiford fut son souhait. Il aurait aussi voulu que l’on joue mon thème Twice A Week que j’avais enregistré avec Larry Coryell mais on n’a pas eu le temps d’essayer. Petit à petit, le répertoire a pris un début de forme. C’est Martin qui a suggéré, entre autres, Winter Moon de Carmichael, Sublime de Hank Jones et Fried Bananas de Dexter Gordon. Si c’est Martin qui a proposé Fried Bananas, c’est pour moi une manière de rendre hommage à Dexter Gordon avec qui j’ai enregistré “Something Different”. Nous avons aussi choisi Jenny Wren de Paul Mc Cartney, une mélodie que j’aime beaucoup. J’aime les compositions de Mc Cartney.
Vous aviez enregistré deux albums avec Niels-Henning Orsted Pedersen, “The Viking” en 1983 et “Art Of The Duo” (Enja 1991) avec une vraie complicité mélodique. Ne retrouve-t-on pas une même approche mélodique de l’instrument chez Martin Wind ?
Il y a certes une affinité. Je dirais qu’il y a, chez Martin, une belle maîtrise de l’instrument et de l’aisance. Je voulais qu’il y ait un vrai partage au sein du duo, c’est généralement mon souhait pour chaque album et cela se passe comme cela lorsque c’est possible. Ici, selon moi, c’est vraiment le cas. Martin ne se contente pas d’accompagner, il expose certains thèmes et prend de nombreux solos. C’est l’originalité de ce duo : interaction, swing, mélodies, lui comme moi, au service du jeu de l’autre. Martin est un vrai soliste mais cela ne l’empêche pas d’être un grand accompagnateur. Je dis cela un peu par provocation mais c’est vrai qu’il y a parfois des bassistes, des guitaristes ou des pianistes qui concentrent plus leur talent sur les solos que sur l’accompagnement, ce qui n’est pas du tout le cas de Martin. Les trois instruments, contrebasse, guitare et piano, sont à la fois solistes et accompagnateurs.
Quelles guitares avez-vous choisies ? Les sonorités acoustiques voisinent avec les sonorités irisées de la guitare électrique…
Ma guitare acoustique du luthier Guy Trameleuc de Saint-Brieuc en Bretagne et ma Gibson ES175, achetée en 1960 chez Persy, à Bruxelles, Place Anneessens. Le son d’un guitariste peut faire partie de lui-même et peut se traduire à travers les différentes guitares, qu’elles soient acoustiques ou électriques, c’est le son du guitariste en quelque sorte. Mais il ne faut pas bien entendu oublier le son de l’instrument en lui-même, sa jouabilité : l’aisance d’un instrument joue un rôle.
Outre de grands classiques, le répertoire comprend aussi des compositions originales…
Au départ, Siggi Loch nous conseillait de faire un album avec une majorité de standards. Puis, il a assisté à l’un de nos concerts, celui de Munich, il a aprrécié, par exemple, ma composition L’Eternel Désir. Au fur et à mesure de nos échanges de matériel par mail, puis durant nos répétitions en Allemagne avant les trois concerts, le répertoire a évolué. Le fait de faire ces trois concerts nous a donné l’occasion de faire plusieurs découvertes, de commencer à nous connaître, de voir comment on interagit, ce qui est une qualité fondamentale, de choisir les thèmes qui permettent un maximum d’épanouissement. Durant l’enregistrement en studio, nous avons travaillé au pas à pas. Mes choix personnels sont aussi dictés par mes limites: je ne fonctionne pas dans des grilles trop longues ou trop rapides, ni dans celles qui induisent une monotonie dans le jeu. J’avais déjà envie d’enregistrer Old Folks, il y a quelques années, avec un groove simple. J’avais, pour ce titre, une démo que j’avais faite, il y a plus ou moins dix ans, sur mon ordinateur, avec un groove qui me met à l’aise : ce n’est pas seulement la mélodie qui m’attirait mais surtout ce groove qui facilite l’expression et le timing de mon phrasé. On pouvait ressentir une influence d’Errol Garner sur mon jeu. Au début, le but n’était pas fatalement de proposer de nouvelles compositions. Le but était de jouer à deux quel que soit le répertoire. Si je ne me trompe, Martin a écrit ses thèmes (Song For D, Standing At The Window Waving Goodbye) pour l’album, moi j’ai plutôt voulu reprendre des compositions que j’avais déjà enregistrées.
Ce Hello George, dédié à George Shearing, n’est-ce pas aussi un clin d’oeil à Toots qui a joué avec lui ?
Lorsque j’ai enregistré Hello George, vers 1997, aux USA avec Jim Beard au piano, pour l’album “Guitar Groove”, ce thème n’avait pas de titre. Jim l’a joué avec moi un peu dans le style de George Shearing, il trouvait que cela s’y prêtait bien. J’ai alors baptisé ce thème Hello George, en faisant un clin d’œil à Shearing mais au grand Toots aussi par la même occasion.
Prévoyez-vous une tournée en Belgique?
Nous avons fait une première tournée, cette année, en Europe. A Bruxelles, nous avons joué au Sounds le 10 février. Pour l’avenir, j’espère bien qu’une tournée pourra se concrétiser en Belgique.
La chronique
Philip Catherine & Martin Wind Duo Art, New Folks (ACT)
Dès les premières notes de l’album, on sent l’empathie mutuelle unissant les deux musiciens qui, pourtant ne s’étaient pas encore rencontrés auparavant. Né à Flensburg en 1968, le contrebassiste allemand Martin Wind a rejoint, en 1996, New York où il a croisé la route des pianistes Jim Mc Neely et Kenny Werner. Depuis 2007, il dirige son propre quartet avec le saxophoniste Scott Robinson (album “Get It”), il a aussi enregistré en trio avec le pianiste Bill Mays et le batteur Matt Wilson (“Remember October 13th”) et en duo avec le guitariste Ulf Meyer (At Orpheus Theater 2012). Comme l’explique Philip, c’est l’album “The Viking” que Philip avait enregistré avec le contrebassiste scandinave Niels-Henning Orsted Pedersen qui a déclenché, chez le contrebassiste allemand, le désir de provoquer une rencontre. “The Viking” n’est pas le seul album que Philip a enregistré avec NHOP, en 1991, il gravait “Art Of The Duo” et auparavant, il l’avait croisé pour “Young Django” avec Stéphane Grappelli et Larry Coryell (MPS 1979) ou “Something Different” avec Dexter Gordon et Billy Hart (LP Steeplechase de 1975). La complicité entre Philip et NHOP était totale, elle se prolonge ici avec un contrebassiste qui sait allier science du rythme sur sa walking bass (Old Folks, How Deep Is The Ocean) et réelle sensibilité mélodique dans la vélocité du jeu, notamment au travers de beaux solos (Fried Bananas, Hello George, Toscane) mais il sait aussi recourir à l’archet (Winter Moon). Selon les plages, les thèmes sont exposés tantôt à l’unisson (Fried Bananas, Hello George), tantôt par la guitare sur fond de walking bass (Old Folks) ou par la contrebasse elle-même (Blues In The Closet, Sublime). Les ballades (Jenny Wren) alternent avec des pièces au swing vivifiant (Fried Bananas, Sublime). A la sonorité limpide de la guitare acoustique (Jenny Wren) succèdent les sonorités irisées de la guitare électrique (Song For D), avec de discrets effets de distorsion (Blues In The Closet) mais toujours avec un lyrisme flamboyant. Cette musique traversée par la pureté de l’émotion et le sens du partage reste, pour Philip, “L’Eternel désir”.
Claude Loxhay