Pierre Vervloesem : (plus de) 30 années d’insuccès…
Plutôt que de vous faire une longue introduction pour vous présenter le très productif et inventif virtuose belge de la guitare électrique, dont le nouveau cd « 30 Years of Succes » vient de paraître, c’est avec une rétrospective de sa carrière que j’ai amorcé l’interview de Pierre Vervloesem. En lui rappelant qu’il y a longtemps, j’avais organisé un concert d’Itza Uchen à Hermalle-Sous-Huy. A son tour…
«J’ai sorti vingt-quatre albums ces deux dernières années, parfois trois par mois.»
Pierre Vervloesem : J’avais 17 ans et c’était mon premier groupe et mon premier disque (pour info le single « Mix You up / Lassitude », paru en 1982 sur Fast Food Product ‐ NDLR). Puis il y a eu les Woodentrucks, et là, nous étions à l’international puisque signés chez les Français de Boucherie Productions et Island. Après, je suis parti chez les Flamands rejoindre X-Legged Sally. Avec eux, j’ai bien voyagé ! Puis ce groupe est devenu Flat Earth Society. J’ai joué avec eux de 1989 jusqu’il y a trois ans, quand j’ai décidé de les quitter. Mais un musicien en Belgique est obligé d’avoir un groupe car il se doit de faire de la scène. Sinon j’ai sorti vingt-quatre albums ces deux dernières années ! Parfois j’en ai fait trois par mois, mais cela compte pour du beurre, c’est zéro vu qu’avec cette merveilleuse pandémie, impossible de se produire en live. Mais dès aujourd’hui on ré-ouvre ! (Interview a eu lieu le 28 janvier ‐ NDLR). Et un disque cela ne compte pour rien, ce qu’il faut ce sont des contrats pour la scène.
Et maintenant, pour la première fois, vous vous produisez sous votre nom…
P.V. : Non, avec mon premier album, j’ai fait 5 concerts. Mais dès le premier, j’ai viré tout le monde et j’ai fait les quatre suivants avec des membres d’X-Legged Sally. Des concerts dans des petits clubs en Flandres et une date au Botanique. Mais c’était il y a tellement longtemps !
«Si c’est pour envoyer des disques partout dans le monde, autant que j’aille habiter à La Poste.»
Quelques mots sur ces vingt-quatre disques en deux ans…
P.V. : Ils sont uniquement disponibles en digital. De temps à autre il y en a un qui sort en version physique, mais les gens n’achètent plus de cd. Moi je n’en ai plus acheté depuis quinze ans ! Sinon j’ai toujours vendu dans le monde entier, du moins dans les pays civilisés, mais en très peu d’exemplaires : deux en Israël, un à Cuba, vingt au Japon… Si c’est pour envoyer des disques partout dans le monde autant que j’aille habiter à La Poste ! (rires). Désormais ils sortent en digital en même temps partout sur la terre et ceux qui veulent s’imprimer une pochette, ils ont tout le loisir de le faire.
Mais nous venons quand même de recevoir un nouveau cd physique…
P.V. : Oui, de temps à autre on marque le coup, mais c’est parce que maintenant j’ai un tourneur. Et lui, il préfère avoir quelque chose de matérialisé à proposer et obtenir ainsi des concerts.
«Ma carrière est un fiasco absolu !»
Ce titre « 30 Years of Succes » se veut ironique…
P.V. : Totalement puisque que ma carrière est un fiasco absolu ! A l’exception de « Low » ce ne sont que des reprises d’anciens morceaux. J’ai fait cinquante albums qui n’ont jamais été joués en concert. Donc, je n’allais pas encore composer de nouveaux titres. Je préférais jouer quelques anciens titres pour la première fois. Et si cela fonctionne avec ce groupe, mais j’ai des doutes, j’en ferai de nouveaux pour être joués en live ! Je ne savais même pas qui serait dans le groupe ! Maintenant que je sais qui joue avec moi, je vais pouvoir composer pour eux ! (rires)
Expliquez-nous quelque peu votre mode de composition vu votre imposante discographie …
P.V. : Les parties solos de guitare sont souvent improvisées, le reste est écrit. Mais finalement, il y a très peu d’improvisations. Quand je décide de faire un nouveau morceau, je branche ma guitare dans l’ordinateur avec un métronome. Mon ordinateur est mon studio ! Je joue quelque chose et quand, après 3 minutes 30, c’est terminé, cette chose sera le morceau ! C’est spontané, naturel… Après j’arrange, j’habille mais c’est la première chose que je joue qui devient la chanson. Parfois, j’enregistre avec des musiciens, comme avec le batteur Teun Verbruggen. Mais alors là, on va dans un bar, on place des micros et on joue ensemble.
«Mes musiciens, c’est comme mes petites amies. Ce n’est pas un choix. C’est ceux qui ont bien voulu.»
Comment s’est fait le choix des musiciens pour ce nouvel album ?
P.V. : C’est comme mes petites amies, ce n’est pas un choix, c’est ceux qui ont bien voulu ! (rires) Mon tourneur m’a dit qu’il me fallait un groupe. J’ai envoyé des e-mails et en douze minutes, c’est véridique, j’avais un groupe.
Et comme souvent, un quatuor…
P.V. : Si je pouvais nous serions trente ! Moi j’aimerais bien avoir deux claviéristes et une section de cuivres, mais c’est totalement inimaginable. On m’a dit qu’un trio ce serait bien, mais je voulais absolument Bruno Vansina (sax et synthés) dans le groupe. Donc nous sommes quatre.
Et Bruno c’est un fameux complice qui prend assez bien de place sur l’album avec de belles interventions…
P.V. : J’ai l’habitude de jouer avec lui, je ne me pose pas la question. Je ne dois pas lui expliquer le concept longtemps. Nous avons répété hier parce que le batteur qui est sur l’album a disparu ! J’ai placé une annonce sur Facebook. Quelqu’un s’est présenté, mais cela s’est mal passé. Donc retour à la case départ. J’ai contacté un batteur professionnel avec qui on a fait qu’une répétition à Namur, mais sans le bassiste. Donc ils feront connaissance demain au moment du concert ! Tout comme le public ! (rires) Ça ne me fait pas peur !
«Je ne prends rien très au sérieux.»
Trouver des titres marrants, ou appropriés comme « Low » qui est lent, « Twist » qui est swinguant, cela fait aussi partie de votre plaisir ?
P.V. : Je ne prends rien très au sérieux, donc les titres vont avec. Quand en une matinée, une après-midi ou une journée je termine un morceau, je me dis : « Mais comment suis-je arrivé à cela ?!». Je lui donne un titre et par la suite, je n’ai plus aucun souvenir de la raison pour laquelle j’ai opté pour ce nom !
Il y a un titre que j’aime particulièrement c’est « Mental Mento », avec sa rythmique reggae/dub, du jazz, du prog…
P.V. : Là par contre, je me suis renseigné un peu et j’ai découvert que le Mento était un style musical qui précédait le reggae ! Et comme cette ligne de basse est assez linéaire, il fallait que le mental travaille pour trouver une bonne mélodie ! (rires)
Différents styles musicaux dans un même morceau, c’est un peu votre marque de fabrique…
P.V. : Euh… oui. Nous ne sommes jamais que la somme de nos influences.
J’ai ré-écouté deux anciens cd avant cette interview. « Rude » et « Grosso Modo ». Ce n’est pas « daté ». J’en arrive à la conclusion que votre musique est intemporelle.
P.V. : Mais c’est quand même vieux ! Je ne suis fait que de mes imitations et de ce que je ne sais pas faire ! Et aussi, ce que je n’ai pas joué, c’est ce que les autres font ! (rires)
«La production du premier album de dEUS ? C’était pénible… Des enfoirés !»
Je peux poser deux questions sur vos collaborations du passé ? (Il acquiesce) La production du premier album de dEUS…
P.V. : Pour moi, le premier dEUS c’est un 45 tours fait dans un petit studio à Gand. Je pense qu’on a fait un second puis l’album mais je n’ai plus trop de souvenirs. Mais c’était pénible ! Des enfoirés ! Des gars d’Anvers quoi ! Mais eux le disent d’eux-mêmes : tous les Anversois sont des enfoirés ! Eux, ils ne sont pas en Flandres, ils sont à Anvers ! A l’époque nous revenions de New York, nous avions fait le premier X-Legged Sally chez Bill Laswell et comme Peter Vermeersch a des liens de famille assez éloignés avec un des membres de dEUS, ils ont contacté tonton Peter. Comme nous revenions de chez des pros aux States, ils en ont déduit que nous devions « savoir des choses ». Mais prendre un groupe comme cela et aller en studio, cela ne sert à rien d’être producteur. A l’époque, c’étaient de mauvais instrumentistes et ils ne savaient rien changer à ce qu’ils faisaient. Ce fut plus un travail d’ingénieur du son que de producteur.
«J’ai passé quelques coups de fil. Quand vous dites que c’est pour David Byrne, tout le monde rapplique au studio !»
Vous jouez aussi sur un album avec David Byrne des Talking Heads…
P.V. : Le chorégraphe Wim Vandekeybus était en retard dans son travail, occupé avec ses danseurs… Il n’avait pas encore de musiques et David Byrne allait arriver. Il fallait enregistrer quelque chose, mais personne n’avait le temps de s’occuper de l’aspect musical. On m’a confié cette tâche. Je suis allé chercher David à l’aéroport et nous sommes allés directement au studio. Je lui ai demandé ce qu’il voulait comme instrumentistes, j’ai passé quelques coups de fil. Et quand vous dites que c’est pour David Byrne, tout le monde rapplique au studio ! (rires) Là j’ai joué de la basse, géré le planning, coupé ce qui devait l’être pour que cela « rentre » dans la danse. C’était un beau moment de production, hyper facile et il était bien agréable de jouer à ses côtés. Et dans un magnifique studio : tu venais sans instrument et on te fournissait ce que tu voulais. David avait dit, pour blaguer, qu’il voulait une guitare White Falcon de chez Gretsch… et bien, ils lui ont fourni l’instrument demandé ! Il avait un grand sourire de contentement et il a joué les quelques idées qu’il avait. Nous l’avons accompagné et ce fut bien gai. Un dernier petit mot, trente ans plus tard, David a annoncé qu’il était autiste or moi, après deux heures en studio, je me suis dit : «Tiens, un autiste ! » (rires)
Si on arrête l’interview maintenant et qu’on n’a pas dit un mot sur Frank Zappa, cela vous va ?
P.V. : Ça m’arrange ! Je n’ai rien demandé avec ce garçon ! (rires) Il y a des choses que je sais sur Frank Zappa et que je ne pourrai jamais dire de ma vie. Je suis encore en relation avec quelqu’un de chez lui, mais il y a des trucs pour lesquels je dois fermer ma gueule jusqu’à la fin de mes jours . Donc pfttt… c’est bien comme cela !
On arrête là alors… Et je vous suggère de participer aux trente ans de succès de ce personnage en (re)visitant son impressionnante discographie.
Pierre Vervloesem Group
30 Years of Success
Off-Record