Ray Charles : The ABC Paramount Years 1959-1962

Ray Charles : The ABC Paramount Years 1959-1962

Frémeaux & Associés ‐ Références catalogue : FA 5829 ‐ 4 CDs, livret 20 pages

En 1959, Ray Charles est une grande vedette dans son pays (et en Europe) grâce à Atlantic Records, avec son R&B boosté au gospel, ce qui lui a valu nombre de critiques des congrégations religieuses. Il les a balayées d’un revers de main et ne s’en est pas plus mal porté. Maintenant, il vise un public encore plus large, les gens plus âgés, et en particulier un public blanc. C’est pourquoi il accepte de rejoindre ABC Paramount Records pour interpréter des standards de la musique populaire de l’époque, souvent issus des comédies musicales de Broadway. Nouvelle levée de boucliers, de ses fans de R&B cette fois, qui crient à la trahison. Mais nouveau revers de la main du Genius qui ne veut pas se cantonner dans un seul style musical. Il perd des fans (qui reviendront) mais il en gagne des dizaines de milliers d’autres, voire plus.

Cette anthologie permet de faire le point et de constater que non seulement, Charles a continué à graver du R&B en parallèle de la production de standards ou en sus. Il y a quand même des perles et des joyaux non négligeables. Voyons ce qu’il en est.

Pour suivre l’ordre strictement chronologique, le CD1 commence avec 3 titres de l’album « Ray Charles Greatest Hits » (ABC 415 gravé à Hollywood le 29.12.59, avec les fidèles (Hank Crawford, David Fathead Newman, …), dont 2 avec les Raelets, « Who You Gonna Love » et surtout « My Baby (I Love Her, Yes I Do) » où la géniale Margie Hendrix y va d’un solo d’enfer ! Puis on passe à l’album « The Genius Hits the Road » (ABC 335, New York, 1960) avec un tube absolu, « Georgia on My Mind », suivi de 3 faces sirupeuses avec cordes qui ont mal vieilli, avant que Charles en revienne à ses accompagnateurs jazz pour 11 faces superbes, sans cordes, comme « Chattanooga Choo Choo », « Basin Street », « Mississippi Mud » ou « Carry Me Back to Old Virginy » (avec Raelets), etc. … et 3 faces d’ ABC 415 (« Greatest Hits »), des blues comme le « I Wonder » de Cecil Gant et « Sticks and Stones » (Titus Turner) avec les Raelets et Margie Hendrix en pleine forme avec, en prime, le « Worried Life Blues » de Big Maceo dans une version de toute beauté (sans Raelets). Le CD 1 se termine avec 6 faces sans âmes, avec cordes, d’aout 1960 (album « Dedicated to You », ABC 355).

Le CD2 commence avec les 6 autres faces de ABC 355, mais miracle, Ray Charles a refait appel à ses jazzmen (Crawford, Phil Guilbeau, Shelly Manne, …) et cela swingue ferme à nouveau, avec l’hommage à « Margie » (Charles et Hendrix sont en couple à l’époque), « Sweet Georgia Brown », « Rosetta », « Josephine », … Puis ce ne sera rien que du bonheur avec l’album « Genius+Soul=Jazz » (Impulse A2, décembre1960), un chef d’œuvre absolu, un fleuron de toute sa discographie. R. Charles y est à l’orgue Hammond C3 tout du long, avec un All Stars de jazz (Al Grey, P. Guilbeau, Clark Terry, Joe Newman, Freddie Greene, Sonny Payne, …). On vibre tout au long des 7 instrumentaux (« Moanin », « Mister C », « Let’s Go », « One Mint Julet » (avec un court vocal), « The Birth of the Blues » (un slow blues), etc. et des 2 faces chantées avec gusto. 2 blues, « I’ve Got News for You » et « I’m Gonna Move to the Outskirts of Town ». Le CD2 se termine avec 5 faces décevantes de l’album « Ray Charles & Betty Carter » (ABC 385, Hollywood, Juin 1961), sans cordes mais avec une chorale blanche insipide et dépourvue de swing. C’est mièvre et sirupeux.

Heureusement les 7 autres faces du même album qui démarrent le CD3 ont été enregistrées le lendemain avec l’orchestre de jazz et sont plus musclées, entre autres un « Side By Side », up tempo, mais globalement, la voix de Carter ne fait pas le poids. On se console avec d’autres titres de ABC 415 (« Greatest Hits ») les intemporels « Unchain My Heart », « Hit the Road Jack », « The Danger Zone » et « But on the Other Hand Baby ». Et on passe aux albums les plus controversés : « Modern Sounds in Country & Western Music 1 » (ABC 410) et « 2 » (ABC 435) de 1962. Les critiques des amateurs de R&B ont été virulentes mais le temps a passé, c’était beaucoup de bruit pour rien. Il faut reconnaitre que c’était de la belle ouvrage, professionnelle, que le timbre de la voix unique de Ray Charles n’est pas du tout C&W ni son jeu de piano (et d’orgue), toujours envoûtant, et aussi qu’il y a quelques perles dans ces albums. Le CD 3 se conclut sur 8 faces de février 1962 dont une seule avec les Raelets, « Bye Bye Love » mais aussi « Careless Love », « Hide Nor Hair » et que cela swingue ferme car c’est l’orchestre de jazz qui est présent.

Par contre, le CD4 commence avec 6 faces de ABC 410, avec cordes et chorale blanche, mais dont ressortent les superbes « I Can’t Stop Loving You » et « Born to Loose » qui eurent un retentissement mondial. Suivent 12 faces de ABC 435 (Septembre 1962) sans cordes, dont « You Are My Sunshine » de Jimmie Davis en version endiablée avec les Raelets et M. Hendrix dans un solo d’anthologie, et « Your Cheating Heart ». Pour clôturer l’ensemble, on a ajouté des alternate takes de 2 blues avec les Raelets : « I Wonder » (slow blues) et « Unchain My Heart » (en medium), ainsi qu’un titre paraissant pour la toute première fois en CD, « Going to the River » (Los Angeles, mai 1951), un alternate take de « Misery in My Heart », avec un all star de jazz ( Eddie Lang, Stanley Turrentine, …). La saga est loin d’être terminée et on attendra impatiemment la suite.

Robert Sacre