Saint-Jazz-Ten-Noode, coda
Clap 30 pour le Saint-Jazz-Ten-Noode
Pour sa troisième et dernière soirée, le Saint-Jazz s’achève avec une affiche prometteuse.
Alors que le soir tombe sur le Botanique en cette soirée du 26 septembre, la rotonde est seulement en train de se remplir lorsque les premières notes de musique se font entendre. Il s’agit du saxophone de Vincent Brijs et de son projet BRZZVLL qui a pour l’occasion invité le chanteur et poète anglais Anthony Joseph. La salle n’est pas encore comble mais le groupe ne tarde pas à faire danser. La style s’y prête bien; les anversois pratiquent une musique entre soul et funk dans laquelle le saxophone est roi. En plus de Brijs au saxophone baryton, Andrew Claes alterne le saxophone ténor avec un EWI (electronic wind instrument) qui ajoute une touche électro toujours bienvenue. Au micro, Anthony Joseph mène la partie vocale avec charisme. Entre des textes contés à la manière d’un Frank Zappa et un chant résolument soul, on sent que Marvin Gaye n’a pas influencé Joseph que dans son look. Après quarante-cinq minutes de groove, on arrive à l’apogée du set de ce premier groupe : un solo jubilatoire d’Andrew Claes qui démontre une maîtrise impressionnante de son saxophone ténor. Autre particularité de BRZZVLL : le groupe compte deux batteurs ! Si la formation est intéressante, on se demande si elle n’est pas un peu trop conséquente pour la rotonde du Botanique. Les musiciens empiètent légèrement les uns sur les autres et on ne peut s’empêcher de penser que le groupe aurait été plus à l’aise sur une scène un peu plus grande.
C’est justement sur une scène plus grande que la soirée se poursuit. À peine a-t-on le temps de changer de salle que le concert suivant commence. Il s’agit de ne pas perdre de temps; le Saint-Jazz a prévu un groupe par heure et tient à respecter son programme. Ainsi, les deux salles du Botanique sont mobilisées. Les performances s’enchainent frénétiquement et si cela épargne aux spectateurs de longs soundchecks, on est frustré de n’avoir guère le temps d’échanger une opinion avec ses amis avant d’être déjà reparti pour le concert suivant.
Alors que l’orangerie se remplit, Ourim Toumim entame son set. On passe ici dans un registre vocal mais toujours résolument soul. La chanteuse Emma Lamadji nous montre l’étendue de ses capacités vocales, mais c’est surtout ses musiciens qui brillent par leur groove. Le batteur est ici la pierre angulaire de la formation et fait remarquablement sonner son instrument. Le guitariste quant à lui, pratique un jeu diablement créatif entre reggae et soul. Les chansons s’enchaînent non sans une pointe d’humour de la part de Lamadji et le public semble réceptif. La dernière chanson s’achève à peine qu’il faut déjà s’en retourner vers la rotonde.
Celle-ci est désormais archi-comble ! Il faut dire que la troisième partie de la soirée est particulièrement attendue. La promesse était belle; le nouveau projet du saxophoniste Nicolas Kummert accompagné par le guitariste Lionel Loueke. Les deux musiciens ne sont plus à présenter mais la formation est toute récente et l’on ne peut s’empêcher d’être curieux lorsque l’on connait l’originalité et le talent de chacun des deux musiciens. Ce soir, ils sont accompagnés par Nic Thys, contrebassiste régulier de Kummert, et par le batteur canadien Karl Jannuska.
Avec cette formation, la soirée retrouve un calme subtil. Le premier morceau démarre avec fragilité; on ne sait pas très bien vers quoi le groupe va s’orienter. Assez vite, le duo contrebasse/batterie affirme une rythmique douce et immuable sur laquelle Kummert et Loueke viennent délicatement greffer des touches de saxophone, de guitare et de voix. Il s’agit en effet de l’une des particularités de Kummert, déjà présente dans ses précédents projets : l’intégration de la voix, qu’il n’hésite pas à mélanger avec du saxophone. Exercice délicat au résultat surprenant. De même, Loueke n’hésite pas à accompagner sa guitare de chant. Thys, également, participe régulièrement aux chœurs. Et pourtant, l’on reste dans une musique tout à fait instrumentale, la voix étant véritablement traitée comme un instrument créateur d’ambiance et le texte se limitant à quelques phrases répétées en boucles.
Si la musique n’est pas toujours parfaitement accessible, les musiciens sont incontestablement brillants. La contrebasse reste très simple, presque minimaliste et pourtant très présente. Jannuska joue de sa batterie d’une manière très douce, exclusivement aux balais, usant régulièrement de ses mains et de divers petits instruments de percussion. Loueke, quant à lui, s’il joue d’une guitare électrique en usant abondamment d’effets très électroniques, sa guitare garde un son très clean et son jeu exclusivement aux doigts est caractéristique des guitares acoustiques. Le public semble très réceptif et un signe ne trompe pas : à la fin de chaque morceau on sent cette pudeur du public à applaudir, comme par peur d’abimer ce que les musiciens viennent de construire.
Pour la dernière partie de la soirée; le bassiste Daniel Romeo prend les commandes. Après avoir accompagné Bernard Lavilliers lors de sa dernière tournée, Romeo est de retour à Bruxelles avec son Crazy Moondog Band. Comme à son habitude le bassiste est accompagné d’Eric Legnini au rhodes et de Julien Tassin à la guitare. Pour ce projet, Romeo fait également venir plusieurs musiciens de l’Hexagone : Arnaud Renaville, batteur du groupe d’électro-jazz Electro Deluxe, le saxophoniste Christophe Panzani et le trompettiste Alexandre Tassel. On sent que Romeo a confiance en ses musiciens et n’hésite pas à les mettre en valeur. Christophe Panzani au saxophone, malgré une fatigue apparente, brille dans ses solos très élaborés. Julien Tassin ajoute une touche de guitare discrète et impressionne, lui aussi, par ses solos déjantés. Arnaud Renaville – d’une précision métronomique – fait plus avec une caisse claire et un unique tom que beaucoup de batteurs avec un kit deux fois plus important. Au terme du troisième morceau, Romeo entame un solo de basse époustouflant qui n’appartient qu’à lui et qui fait hurler la foule. Après une heure trente de concert, les musiciens saluent. Il était cependant peu probable que le public les laisse partir si vite. Le rappel est immédiat et le groupe repart de plus belle. Que dire de plus ? Le Crazy Moondog Band est définitivement l’une des valeurs sûres du jazz-funk en Belgique.
Ce dernier groupe termine de nous convaincre : il s’agit d’une soirée réussie pour cette édition anniversaire du Saint-Jazz. Le public semble conquis et on ne peut qu’applaudir le difficile équilibre de la diversité auquel on vient d’assister. Disons-le; entre le jazz soft et « peu accessible » de Nicolas Kummert et Lionel Loueke, et le jazz-funk explosif et abordable de Romeo, il y a un monde de différences. Et c’est peut-être ici que se trouve la plus grande réussite du Saint-Jazz. Le temps d’une soirée, ce monde nous aura rarement paru aussi facile à traverser.
Lucien Midavaine
Photos de Johan Van Eycken