Sébastien Boisseau
Le contrebassiste Sébastien Boisseau est un “vieux” complice de la scène jazz en Belgique. Et, plus particulièrement, nous l’avions sollicité à l’occasion de la “mise en musiques” lors de la réouverture du Musée de la Vie Wallonne. Dans le cadre de nos échanges avec CITIZEN JAZZ, nous publions ici un entretien récent, mis en ligne le 12 mai 2014.
Sébastien Boisseau a été retenu comme artiste associé par le Petit Faucheux (Tours) pour les 18 mois à venir. Il a répondu à nos questions à l’occasion du concert qu’il y a donné en duo avec Cédric Piromalli.
Co-fondateur du label Yolk, Sébastien Boisseau a joué avec de très nombreux musiciens, et notamment dans le « Baby Boom » de Daniel Humair, qui l’a profondément marqué. Auteur du disque Wood avec son alter ego Matthieu Donarier, il a été retenu comme artiste associé par le Petit Faucheux pour les 18 mois à venir. Il a répondu à nos questions à l’occasion du concert qu’il y a donné en duo avec Cédric Piromalli.
Propos recueillis par Eric Pétry.
Citizen Jazz : Dans l’ouvrage collectif intitulé 25 ans de Jazz au Petit Faucheux, vous déclarez : « Ce club est devenu mon école de musique »…
Je le pense et je le rappelle souvent. C’est là que j’ai appris la musique, même si Jazz à Tours, où j’ai enseigné ensuite, m’a beaucoup apporté. Quand je suis arrivé dans cette ville par le biais de JRC (Jazz Région Centre), j’ai participé aux bœufs, j’ai entendu plein de musiciens, j’ai pu jouer avec eux et j’ai assisté à des concerts incroyables dans cette boîte à chaussures qu’était alors le tout petit Faucheux de la rue des Cerisiers. Jeanne Lee, Mal Waldron, Marc Johnson, Louis Sclavis, J.-F. Jenny-Clark, Paul Rogers, des Français, des Américains, cela transpirait le jazz… C’est là, sur ce terrain d’expérimentation et d’apprentissage, que j’ai acquis et assimilé une foule de données ; c’était ça mon école de jazz.
Vous citez Marc Johnson et J.-F. Jenny-Clark. Ce sont des maîtres pour vous ?
Pour leur élégance, leur sens de la pulsation, leur justesse harmonique. Ils m’ont fait comprendre que la position du bassiste est à la croisée d’une pensée verticale – il pose les notes et les accords qui font l’harmonie – et d’une fonction horizontale, en assurant l’aspect pulsatile pour former la rythmique, le tempo, le temps qui se déroule. Le contrebassiste est à la croisée de l’harmonie et de la mélodie.
CJ : Vous avez travaillé avec de nombreux musiciens mais il y en a un qui vous a particulièrement marqué, c’est Daniel Humair.
Absolument. Je l’ai rencontré au début des années 2000, par l’intermédiaire de Matthieu Donarier. Musicalement, il m’a ouvert les yeux – et surtout les oreilles ! Il m’a appris la souplesse, l’élasticité…. Adolescent j’écoutais son trio avec Kühn et Jenny-Clark, et dès que je l’ai mieux connu, je me suis rendu compte que c’était en fait un électron libre qui assurait aussi une rythmique impeccable. Quand il joue, il a les yeux et les oreilles rivés sur le soliste, il peut se fondre dans des jeux aussi différents que ceux d’Urtreger, Martial Solal ou Marc Ducret parce qu’il lâche la conception du couple basse-batterie pour fonctionner en soliste-batterie. C’est un coloriste virtuose qui préserve pourtant son jeu de rythmicien. Souvent il crée une sorte de vertige, avec des idées très fortes et des virages qui peuvent être violents. C’est plein de surprises et c’est magique. J’ai appris à ne plus avoir peur de ces moments-là, voire à les attendre. Où va-t-il nous emmener ? Et que peut-on lui mettre sous la dent ? parce qu’il écoute tout ! Dans la vie, c’est aussi quelqu’un qui s’intéresse à la peinture, aux arts, à la cuisine ; Daniel, c’est la curiosité même…
Autre partenaire, Alban Darche, avec qui vous avez fondé le label Yolk. Mettre les mains dans le cambouis, réaliser un disque, qu’est-ce que cela apporte au musicien ?
Il a bien fallu s’y mettre : au moment où nous étions mûrs pour faire un disque, les labels commençaient à flancher et tendaient à imposer une logique de produit plutôt qu’une logique d’œuvre. Très vite on s’est rendu compte qu’avoir son label à soi était un outil formidable dont on avait le contrôle total ; liberté éditoriale, pas de contrainte artistique sauf celle de réaliser l’objet souhaité – un objet cohérent dans sa nature et son graphisme. Donc nous n’avons plus eu de distributeur pendant quelques années ; puis nous avons trouvé l’Autre Distribution, avec qui nous avons des relations saines ; ce sont des gens qui aiment leur métier. Ils vendent, nous faisons de beaux disques, et tout se passe en bonne intelligence.
Cette année, vous êtes artiste associé au Petit Faucheux ; vous allez être appelé à participer à des concerts avec Cédric Piromalli, Louis Sclavis, le Chœur d’enfants du Petit Faucheux, avec Wood… Mais il y a d’autres projets.
Oui, plein ! D’abord une partie essentiellement artistique concernant ce qui se passe sur la scène du Petit Faucheux, en discussion avec Renaud Baillet [programmateur], sur le choix des musiciens. Ensuite, il y a une réflexion que j’aimerais apporter, un nouveau regard sur le travail des musiciens.
A Nantes, où j’habite, une étude a été réalisée sur le jazz dans la région, étude qui permet de dresser une carte des lieux de diffusion, de la fréquence des programmations non seulement dans des salles spécialisées comme le Petit Faucheux mais aussi dans les bars ou des salles plus généralistes. Ont été recensés uniquement les musiciens de jazz qui vivent de l’enseignement et ceux qui vivent de la scène ; nous disposons ainsi d’une base d’informations sur les résultats d’une politique culturelle et d’une action publique. On voit mieux ce qui ne marche pas et ce qui se développe.
Une sorte d’analyse socio-économique ?
C’est ça, mais très participative. Les musiciens ont été sollicités via un questionnaire très précis : combien ils gagnent, où ils ont joué dans la région et à l’extérieur, avec qui, etc. Un travail très complet qui permet des constats et soulève des problématiques. J’aimerais suggérer cette démarche aux musiciens tourangeaux. Le Petit Faucheux est partant pour la leur proposer.
Il y a dans la région d’autres forces vives, qu’en faites-vous ?
Je pense à l’analyse d’un bassin régional, le Petit Faucheux en faisant partie au même titre que ses partenaires Jazz Région Centre, Jazz à Tours et les musiciens eux-mêmes.
Ou d’autres associations comme Tous en scène, le Jazz Club de Tours ou le Festival de Jazz en Touraine.
Oui, je pense qu’il faut intégrer tout le monde. Chacun a sa spécificité, ses projets à défendre, et je trouve cela très bien. Ce qui est intéressant à Tours, c’est que la ville présente un cas de figure finalement assez rare en France : un gros vivier de musiciens, un public, une histoire, des associations qui se sont développées et des centres de formation. Tout cela forme un ensemble cohérent. Avec la même méthodologie, j’aimerais prendre la température de villes comme Lyon, Toulouse, Lille, voir les expériences qui y ont fonctionné. Yolk nous a appris qu’il y a des outils à construire, que les musiciens ont leur mot à dire. La danse et le théâtre offrent de bons exemples : au début des années 80, dans ces disciplines, de telles initiatives ont eu lieu, priorité a été donnée aux lieux où travailler et montrer son travail, et où les artistes ont pris une part prépondérante. Je crois que les musiciens de Jazz ont loupé ce coche-là, et qu’il leur en reste une certaine aigreur. Il existe un réseau très structuré mais ils sont absents des organes de décision. C’est pourquoi la politique des artistes associés du Petit Faucheux me paraît intéressante. Cette complémentarité, cette ouverture au regard de l’artiste, tout le monde a à y gagner. C’est aux musiciens aussi de réoccuper leur place, de refuser un rapport strictement employeur-employé. Il y a des centres chorégraphiques ou dramatiques nationaux, des festivals, comme le Festival d’Avignon, dont la programmation est faite par des artistes. Le problème est d’avoir une démarche inclusive, et cela concerne aussi les musiciens qui doivent accepter de participer.
Y a-t-il un autre projet qui vous tienne à cœur ?
Oui, ce que j’appelle un salon de musicien, ou la pratique de l’improvisation en hyper-proximité. Je sais que ce n’est pas nouveau mais je l’ai expérimenté et j’aimerais le mettre en pratique ici. Il faut un salon et deux musiciens.
Une sorte de master-class ?
Non, c’est à mi-chemin entre le salon littéraire et la réunion Tupperware. On invite sa famille, ses voisins, ses amis autour d’un truc à manger, ça c’est le côté Tupperware ; mais on improvise, joue, discute, rejoue, et ça, c’est le salon de musique, un peu comme si on présentait des poèmes et qu’on les décortiquait, mais là, il s’agit d’improvisation. On va faire passer les éléments fondamentaux de l’impro, qui vont devenir accessibles parce que resitués grâce à des références historiques. Nul besoin d’avoir une grande culture du monde de l’impro. Au bout d’une demi-heure tout le monde a compris qu’il fallait beaucoup de bagages et d’outils pour improviser à deux parce qu’on est dans le dialogue, dans un échange qui exige l’écoute de l’autre, l’analyse de ce qu’il vient de faire ; il faut être libre de son instrument pour réagir le plus vite possible, construire une forme et la garder en mémoire. Les gens pigent les clés, et j’adore faire ça dans un quartier, avec des enfants, des gens qui aiment cette musique… et qui comprennent que l’impro, ce n’est pas n’importe quoi !
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