Shake Stew : Heat

Shake Stew : Heat

Traumton Records

Mine de rien, depuis la fondation de Shake Stew en 2016, « Heat » est déjà leur cinquième album. Et en dépit d’un unique changement de personnel au début de 2021 (le remplacement du saxophoniste alto Clemens Salesny par Astrid Wiesinger), la formation a gardé la même direction musicale, peaufinant au fil des ans sa combinaison tonique de jazz énergique et d’afrobeat envoûtant.

Avec deux bassistes, deux batteurs et trois souffleurs, on a affaire à une de ces configurations décalées, propices à un genre de musique mi-cosmique, mi-dansante, au croisement insolite d’un Pharoah Sanders, d’Idris Ackamoor & The Pyramids, de Toni Allen et des Sons of Kemet. Evidemment, de telles noces entre spiritualité et transe ne sont jamais mieux célébrées que quand on prend son temps, ce que n’a pas hésité à faire Shake Stew sur trois pièces irrésistibles qui s’étendent fièrement au-delà des dix minutes : « Heat » (intro comprise), « Lucidity » et « Oh Captain, My Captain! ». Prenant vie sur des tapis de percussions, elles croissent en intensité, dans un groove qui n’est pas ici qu’une affaire de rythme. On ressent vite dans cette musique torride une sorte de mysticisme qui se nourrit aussi bien aux vertiges polyrythmiques des rituels africains qu’à des domaines ésotériques où le sacré côtoie la magie. Pendant cinq jours passés au studio Cicaleto à Arezzo en Toscane, le sextet a réinventé sa musique, créant un jazz stellaire avec la ferveur d’un collectif en état de grâce.

Pour autant, les morceaux plus courts ne sont pas là pour le remplissage : « I Am the Bad Wolf » vous saisit à la gorge quand les saxophonistes et le trompettiste combinent leurs souffles en un moment poignant de symbiose absolue. Introduit par une belle ligne de basse, « I Wear My Heart on the Outside » séduit par sa mélodie, son ambiance atmosphérique et ses improvisations entrelacées. « Wake Up and Be Gone » est un exemple parfait du splendide équilibre entre les aspects rythmiques et climatiques que ce groupe est parvenu à atteindre. Quant à « Unmight », ses harmonies quasi solennelles qui enflent progressivement en structures changeantes et incandescentes sont aussi surprenantes qu’inspirées.

En Allemagne, où ils ont décroché le prix de meilleur groupe de jazz international en 2021, ainsi qu’en Autriche d’où ils sont originaires, Shake Stew est déjà devenu culte. Immergez-vous dans « Heat » et vous comprendrez aisément pourquoi.

Pierre Dulieu