Simone Keller : Hidden Heartache

Simone Keller : Hidden Heartache

Intakt Records

Originaire du canton de Thurgovie, la pianiste suisse Simone Keller a défini clairement le propos de son ambitieux double album intitulé « Hidden Heartache » : mettre en relief le génie de compositeurs marginalisés, en particulier des femmes et des minorités, tout en explorant, via un livre associé, les thèmes de l’inégalité sociale et des relations de pouvoir inégales. On a ainsi droit à 100 minutes de musique pour piano écrites durant les 100 dernières années par des compositeurs comme Lil Hardin Armstrong, Julius Eastman, Irene Higginbotham, Ruth Crawford Seeger ainsi que quelques nouvelles œuvres créées en collaboration avec Simone Keller par des compositrices suisses Jessie Cox et Cristina Janett, par le joueur de oud et compositeur syrien Abathar Kmash, et par les compositrices américaines Julie Herndon et Jessie Marino. L’auditeur qui aborderait cette œuvre musicale sans en connaître le contexte sous-jacent n’a toutefois pas à s’inquiéter : entre classique et musique contemporaine, toutes les compositions sont de haut niveau et rien ne saurait justifier pourquoi les noms précités ne sont pas aussi connus que d’autres. L’atmosphère générale est plutôt calme, parfois méditative, mais avec quelques surprises comme le « Piano Study in Mixed Accents », dont le dynamisme et la construction non conventionnelle ne sont pas sans évoquer Arnold Schoenberg, ou les titres « Basalt » et « Blau » interprétés à l’oud par Abathar Kmash, ou encore la composition de musique contemporaine « Black / Blackness: After Mantra(s) » qui associe piano et électronique. Mais la pièce la plus emblématique est sans doute « Good Morning Heartache », une chanson écrite par la pianiste américaine Irene Higginbotham pour Billie Holiday qui l’a enregistrée en 1946. Pas moins de cinq versions instrumentales de ce thème mélancolique sont livrées ici dont quatre pour piano et trombone (joué par Michael Flury).

« Hidden Heartache » est un voyage poétique qui, en parcourant le siècle, passe forcément au-dessus des codes assignés aux styles de musique. Hétérogène par nature, la musique n’en est pas moins harmonieuse, marquée par les teintes néo-romantiques de ces belles compositions pour la plupart ignorées ou oubliées et qui méritaient bien d’être remises en lumière.

Pierre Dulieu