Vitja Pauwels, Les formes originales
Omniprésent dans diverses formations, sur les scènes jazz du pays et bientôt d’ailleurs, le guitariste bruxellois nous a retracé son parcours, celui qui l’a mené à Early Life Forms en compagnie de Marc Ribot. Rencontre dans une vieille brasserie de la capitale.
On parlera plus précisément de ton actualité. Mais avant cela, dis-nous quels sont tes premiers pas dans la musique. Tu viens d’Anvers ?
Vitja Pauwels : Non, je viens de Vilvorde. J’ai d’abord étudié l’architecture à Bruxelles, puis la musique au Conservatoire d’Anvers. La dernière année de mes études, je l’ai passée en Norvège, à Trondheim.
C’est là que tu t’es acclimaté aux musiques électroniques ? À l’électronique, plus simplement ?
V.P. : Oui, j’ai travaillé avec Stian Westerhus, de Jaga Jazzist. C’est lui qui m’a guidé sur les premiers pas de mon projet solo.
Cette année-là a dû être particulièrement importante pour ta carrière !
V.P. : Oui, très importante. J’avais beaucoup de temps libre, j’étais fasciné par les possibilités des ordinateurs, par tout ce qui s’y rapportait.
Est-ce qu’il s’agissait d’une année essentiellement dirigée vers l’électronique dans le cursus ?
V.P. : Non, pas particulièrement. Pendant le master à Trondheim, tu peux choisir les cours que tu suivras. Il y en avait un consacré à la musique électronique. C’était moins strict qu’à Anvers, moins carré. Là-bas, on envisageait l’avenir, le futur de la musique…
«Ce n’est que lors de ma troisième année d’études que j’ai découvert des guitaristes inspirants pour moi : Bill Frisell, Marc Ribot,…»
Au Conservatoire d’Anvers, tu suivais des cours de jazz ou de musique classique ?
V.P. : De jazz, mais à la base, je proviens de la musique classique. Il m’a fallu du temps pour y trouver ma voie, ou du moins une voie. Quand je suis entré au Conservatoire, j’écoutais Radiohead, la musique pop comme les Beatles ou les groupes des nineties (Nirvana,…). Mais je n’écoutais pratiquement pas de jazz… Ce n’est que lors de la troisième année que j’ai découvert des guitaristes inspirants pour moi : Bill Frisell, Marc Ribot. J’ai tout de suite senti des connexions avec eux, contrairement aux guitaristes que j’étudiais jusqu’alors, comme Wes Montgomery.
Tu ne rentres en effet pas dans le créneau des guitaristes à l’ancienne…
V.P. : Non, je ne pense pas. Je me situe entre les vagues…
T’étant retrouvé quelques temps en Norvège, la voie Nu-jazz ne t’a pas attiré ?
V.P. : Je m’intéresse surtout aux sons. Pour Bombataz, on pourrait parler de Nu-jazz, bien que je ne sache pas exactement ce que ce terme signifie. Tous mes groupes sont influencés par le jazz, mais je ne pense pas en pratiquer une forme pure.
Tu as également deux albums entièrement en solo à ton actif. Pour lesquels tu es libre de jouer sans contraintes. Est-ce dans cette configuration-là que tu te plais le plus ?
V.P. : Oui, probablement. J’aime aussi l’idée de revenir au son naturel de la guitare. Celui des racines. J’aime beaucoup Ry Cooder à cet égard.. Mais j’aime beaucoup jouer aussi dans Early Life Forms et Bombataz… Puis, il y a Naima Joris avec laquelle nous partageons beaucoup d’affinités.
«Il n’est encore jamais arrivé qu’on m’appelle pour jouer des sessions de musique pop. »
En 2023, tu as beaucoup joué… C’était une année chargée aussi en tant que sideman : An Pierlé, Lara Rosseel, … Est-ce que dans ce cas, on te demande de faire du Vitja Pauwels, avec des sons très travaillés, des effets, ou bien te demande-t-on de moins expérimenter ?
V.P. : Non, en règle générale, on me demande de faire du « Vitja Pauwels », que je travaille les sons de ma guitare. Il ne m’est encore jamais arrivé qu’on m’appelle pour jouer une session de musique pop…
Parle-nous de Bombataz…
V.P. : On joue ensemble depuis sept années déjà. On se connaît bien. C’est un groupe important pour moi, on évolue constamment, même si ce n’est pas toujours facile de trouver du temps ensemble (dans ce groupe, on retrouve entre autres Casper Van De Velde et Hendrik Lasure – NDLR).
Vous faites partie de la nouvelle scène électro-jazz belge qui compte également Stuff. et Echt !
V.P. : Aux débuts, peut-être. Mais on s’en éloigne. Nous avons évolué vers une sorte de musique free-rock avec beaucoup d’influences. Plus vraiment une musique de club ou de dance. Nous sommes aussi influencés par les groupes de rock alternatifs des nineties. Comme les Pixies par exemple.
Avec de fameux musiciens de jazz ! Venons-en à Early Life Forms, dont tu es le leader…
V.P. : Oui, j’en compose le répertoire.
La musique est-elle ici plus improvisée que quand tu joues en solo ? Ou que celle que vous jouez avec Bombataz ?
V.P. : Oui, c’est beaucoup plus improvisé. Mais en vérité, je ne sais pas si c’est vraiment du jazz. Les thèmes sont simples et efficaces. C’est l’objectif. Avec Marc Ribot (guitariste invité dans le projet – NDLR) on s’est mis d’accord pour ne pas répéter avant le concert, uniquement durant le soundcheck. J’ai envoyé à chacun des instructions simples et claires. J’ai essayé de me limiter à l’essentiel.
Comment la rencontre avec Marc Ribot a-t-elle été rendue possible ?
V.P. : J’ai fait sa première partie lors d’un concert à Strombeek. Nous avons discuté un peu. Quand j’ai eu l’opportunité de mettre sur pieds le projet Early Life Forms, je lui ai demandé de collaborer. Je lui ai envoyé des démos lo-fi et il a fini par accepter de jouer avec nous. On ne s’est plus contacté pendant quelques mois. C’est la veille de notre concert (l’album a été enregistré en « live » lors du BRAND ! Festival, à Malines, en décembre 2022 – NDLR) qu’on a pu un peu en parler.
«L’idée de Early Life Forms, c’est littéralement « les premières formes de vie ». Pour moi, la musique a quelque chose de primaire, je l’associe à la première enfance.»
Comme toi, Marc Ribot est ouvert à différentes sortes de musiques : le jazz, l’avant-garde, le punk-rock,…
V.P. : Oui, c’est une grosse source d’inspiration pour moi. J’ai adoré cette expérience !
En voyant la pochette de cet album, j’ai pensé aux bébés qui naissent et qui ne visualisent pas encore convenablement les formes et les objets… Mais tu as une autre explication.
V.P. : (rires) Il y a beaucoup d’explications en fait !
Et la mienne ne tient pas…
V.P. : Non ! (rires) L’idée de Early Life Forms, c’est littéralement « les premières formes de vie ». Cela signifie que c’était la toute première fois que cette musique était jouée. Pour moi, la musique a quelque chose de primaire, je l’associe à la première enfance. Cosmique : comme la musique de Sonny Sharrock sur cet album, « Ask the Ages », une belle source d’inspiration pour Early Life Forms.
Y aura-t-il une suite à Early Life Forms ? Sous quelle configuration ? Toujours avec Marc Ribot ?
V.P. : Je ne sais pas encore…
Imaginons : le temps d’une soirée, on te donne une carte blanche… Tu peux remplacer Marc Ribot par qui tu veux !
V.P. : (longue hésitation) En fait, je dois vraiment y penser… Mais je ne peux pas te dire quels noms j’ai en tête. C’est un peu tôt…
Je comprends… Alors, remplaçons Marc Ribot par un musicien décédé !
V.P. : (immédiatement) Dans ce cas, Jimi Hendrix !
Tu reprends donc un guitariste ?
V.P. : Ou Miles Davis… (sourire) Il y en a d’autres, évidemment. Je pense aussi à Harry Partch, un visionnaire américain qui construisait ses propres instruments de musique.
En concert au Lotto Brussels Jazz Weekend le vendredi 24 mai et au Gent Jazz Festival le samedi 20 juillet.
Vitja Pauwels
Early Life Forms
W.E.R.F. / N.E.W.S.