Vous faites de la musique ? L’interview hors-champs de JazzMania
Dans nos intérêts généraux, il n’y a pas que la culture… Dans la culture, il n’y a pas que la musique… Et dans la musique, il n’y a pas que le jazz ! Épisodiquement, nous vous soumettrons l’interview d’un personnage hors-champ, peut-être pas célèbre, mais surtout… qui ne fait pas de la musique (ou si peu…).
Jacky Lepage : Objectif jazz
Les musiciens, les chanteurs / chanteuses, on les regarde, on les écoute, mais qui a déjà fait attention à ceux qui fixent leurs prestations. Près de quarante ans que Jacky Lepage est sur le circuit. Ça vaut bien une petite rencontre, non ?
Est-ce le jazz qui t’a amené à la photo ou l’inverse ?
Jacky Lepage : Quand j’étais gosse, j’avais déjà envie de faire de la photo et, un jour, un ami m’a prêté un appareil car je n’avais pas les moyens d’en acheter un. J’ai commencé à apprendre dans des livres. En même temps, j’étais un fou de musique, classique, rock, blues, jazz… Et c’est lors d’un concert à Dinant, en janvier-février 85 que j’ai fait mes premières photos de musiciens : c’était Michel Herr. Je lui ai envoyé les photos que j’avais faites, ça lui a plu et il m’a invité chez lui. C’était le mélange de deux passions. Et Michel m’a introduit dans le milieu. Et puis, ça a été très vite : j’ai rencontré Toot Thielemans, puis Philip Catherine chez qui j’allais souvent le week-end. J’ai photographié sa femme, ses enfants, ses parents… J’ai créé son site et je le gère toujours aujourd’hui.
Tu as ensuite photographié beaucoup de grands noms.
J.L. : Lorsque j’ai rencontré Jean-Michel Debie, j’ai commencé à avoir accès à tous les grands : Keith Jarrett, Chick Corea… J’avais accès au backstage, c’était génial… Malheureusement, ça ne se passe plus comme ça maintenant. Aujourd’hui, on peut faire des photos cinq minutes au début du concert, moi, je ne fais pas ça.
Tu photographies surtout lors des concerts, mais tu te rends aussi chez les musiciens.
J.L. : J’aimais beaucoup rencontrer les musiciens, avoir une relation. C’est bien de les voir en concert, mais j’aimais aussi les photographier chez eux, parler avec eux. J’ai ainsi fait des portraits de Lester Bowie, Chick Corea, Chet Baker et d’autres à qui j’envoyais par courrier, postal à l’époque, les photos et ils me répondaient. Ce n’est plus comme ça aujourd’hui.
Beaucoup de photos ont été faites dans la maison Pelzer.
J.L. : J’allais souvent chez Jacques, je l’aimais beaucoup. Et puis Chet Baker était souvent là : la photo où il est couché sur la table, c’est après le repas. Je lui ai demandé de faire des photos avec sa trompette et il m’a dit : « Attends ! » et il s’est couché sur la table pour la photo !
«Egberto Gismonti au Théâtre 140 : j’étais sur la scène derrière le rideau pour les photos, mais je n’ai pas déclenché tellement la musique était belle.»
Les choses ont beaucoup changé aujourd’hui.
J.L. : Il y a plein de photographes aujourd’hui dans les festivals. Avec le numérique c’est beaucoup plus facile, tu tires et tu vois tout de suite le résultat, alors qu’avec l’argentique, il fallait attendre de développer, puis de tirer sur papier pour avoir le résultat. Il y a aussi plus d’agressivité aujourd’hui. J’ai acheté un nouvel appareil : si j’avais eu ça il y a trente ans ! Le fait d’avoir appris avec l’argentique aide quand même.
Comment cela se passait-il avec les musiciens ?
J.L. : Les musiciens m’achetaient les photos si elles leur plaisaient. Ensuite, j’ai eu des photos parues dans des journaux, dans des magazines : « Jazz in Time », « Jazz Hot » encore aujourd’hui, pour des labels comme IGLOO et à deux reprises chez ECM. Certaines de mes photos ont été reprises pour des livres, comme celui sur Chet Baker édité en Corée du Sud où une de mes photos est en couverture. J’ai eu plein de trucs comme ça, en France, en Hollande, en Allemagne, aux Etats-Unis, en Angleterre aussi.
As-tu rencontré des musiciens qui refusaient que tu les photographies ?
J.L. : Ça m’est arrivé une seule fois, avec une musicienne qui ne se trouvait pas bien. Même avec Keith Jarrett ça s’est bien passé, il a accepté que je fasse des photos, je suis même allé dans sa loge avec Eric Legnini et Stéphane Galland, en 1991. Il m’a dédicacé un disque, avec Jack DeJohnette et Gary Peacock, avec qui je m’entendais bien aussi. Je lui avais envoyé deux photos pour une biographie qu’un gars écrivait sur lui, mais il est mort peu de temps après.
Compliqué de faire des photos en concert à l’époque ?
J.L. : A l’époque, les appareils faisaient du bruit. A Anvers, je photographiais Michel Petrucciani et il m’a demandé de me déplacer parce qu’il était gêné par le bruit de l’appareil. Egberto Gismonti au Théâtre 140, j’étais sur la scène derrière le rideau pour les photos, mais je n’ai pas déclenché tellement la musique était belle.
«Lorsque j’allais au Middelheim, je prenais une vingtaine de films de trente-cinq vues pour les cinq jours ; maintenant, on fait ça en un seul concert.»
Y a-t-il des moments qui t’inspirent plus lors d’un concert ?
J.L. : Ça peut être le mouvement, la musique en elle-même. Comment expliquer ça ? C’est tellement futile, ça passe en une fraction de seconde. C’est une question de chance aussi. Jacques Henri Lartigue disait que c’est comme aller à la pêche, parfois tu tires un gros poisson, parfois tu n’as rien du tout. Avec le numérique, c’est devenu très différent, tu as tendance à mitrailler. Lorsque j’allais au Middelheim, je prenais une vingtaine de films de trente-cinq vues pour les cinq jours ; maintenant, on fait ça en un seul concert. Ça fait deux ans que je ne fais plus les concerts. Je suis en train d’archiver tout, en vue d’une future exposition, mais ça prend énormément de temps. Mais il y a tellement de photographes devant la scène aujourd’hui que ça ne me dit plus rien d’y aller.
Il y a un lien sur le site avec des photos de nuages et un autre avec des photos de mer.
J.L. : Les photos de la mer ne sont pas de moi. J’avais une section « Nuages » sur mon site, que je vais remettre d’ailleurs un de ces jours. Je photographiais souvent les nuages depuis la fenêtre de mon ancien appartement à Dinant. Deux ou trois d’entre elles ont été publiées par le site « Nuages » dont l’adresse est indiquée sur ma page « Liens ». Et deux de ces photos ont également été publiées dans « NUAGES », un ouvrage des éditions du Rocher à Paris traitant de ce sujet.
«Je n’ai jamais été un businessman, je ne me considère même pas comme un artiste.»
Tu t’es aussi occupé de sites internet d’artistes.
J.L. : J’ai fait le site de Philip Catherine, celui de Nathalie Loriers. J’ai aussi travaillé celui d’Ivan Paduart, mais maintenant ce n’est plus moi. Pendant dix ans, je me suis occupé du site de Richard Galliano. Je suis souvent allé le photographier à Paris. Mais je ne m’en vante pas. Je n’ai jamais été un businessman, je ne me considère même pas comme un artiste. Quand on regarde une photographie (qui est un index de ce qui a été à un moment donné), notre regard se juxtapose avec celui de la personne qui a pris cette photo.
Galerie : www.jackylepage.com
Photos commentées
Celle de Miles avec Kenny Garrett et celle de Chet en train de jouer ont été prises le même soir à Anvers, à la Salle Reine Elisabeth pour Miles et, vers 1 heure du matin, Chet Baker au Riverside jazz club. Voir ces deux trompettistes le même soir !! J’ai dit à Chet que Miles avait joué dans la même ville plus tôt et il m’a répondu : « Maybe he’ll come here and we’ll could make a jam together. » Mais Miles n’est jamais venu.
Celle où Chet est couché, il l’a fait exprès pour moi. On était juste lui et moi chez Jacques Pelzer et je le prenais en photo, lui et moi assis à la table dans le salon de Jacques. A un moment, il me dit « Wait » et il se couche ainsi. Un clin d’œil preuve qu’il était capable d’auto-dérision. J’ai pris cela comme un cadeau qu’il m’a fait. Suite à ces photos, il m’avait aussi écrit une lettre.
Keith Jarrett : ça c’est unique ! Il me regarde et accepte que je fasse des photos pendant le sound check au Palais des Beaux-Arts à Bruxelles en 1991.
Celles de Reggie Workman : je les adore, les expressions parlent d’elle-même.