Walabix invite Maris

Walabix invite Maris

WALABIX invite MARIS from Jean-Pascal Retel on Vimeo.

Walabix invite Maris

La poesia es un arma cargada de futuro

becoq.bandcamp.com

La poésie est une arme chargée de futur; la sentence est belle. Elle claque comme une balle destinée à pénétrer au plus profond de l’âme. Chaque mot est ciselé comme une ailette qui approfondirait la trajectoire. “La poesia es un arma cargada de futuro”, les mots sont de Gabriel Celaya, membre de l’armée Républicaine espagnole et poète, double raison d’être au tableau d’honneur. Celaya fut un compagnon de route de Buñuel ou de Garcia Lorca, et Paco Ibañez mit en musique ses poèmes qui furent autant d’armes contre le franquisme. Désormais, “La poesia es un arma cargada de futuro” est aussi un disque enregistré sur l’indispensable label BeCoq par le quartet du Tricollectif Walabix auquel s’ajoute le trompettiste Bart Maris. Ce n’est pas la première fois que le Tricollectif fait un bout de chemin avec le label nordiste; on se souvient de Durio Zibethinus ou émargeait déjà en duo le violoncelliste Valentin Ceccaldi et le saxophoniste Quentin Biardeau, membres centraux de Walabix. On a pu voir Maris dans de nombreuses formations, à commencer par le Flat Earth Society ou au côté de Viktor Tóth dans le remarque Popping Bopping. La rencontre étonnante avec le musicien belge qui aime à brouiller les pistes de la pop à la musique improvisée en passant par les expériences électroniques est réjouissante. Quant à Walabix, “Nus”, le premier album du quartet, brillait par son goût pour les textures cotonneuses. Couvé par le contrebassiste Sébastien Boisseau, la musique de Walabix apparaissait souvent dans le plus simple appareil, libre de ses mouvements et sans contrainte. Le présent disque avec Maris jouit de la même liberté. On retrouve d’ailleurs dans Hotclu la même gamme de sensation : un archet qui trouble les cordes d’un mouvement lancinant comme une nappe inexorable pendant que la trompette cherche à émerger de ce flot sans remous mais à la progression impassible, à mesure que les notes tenus des saxophones de Quentin Biardeau et de Gabriel Lemaire viennent grossir son flot… Au point de non retour, les solistes se lancent dans une méticuleuse altération de la masse du silence. Ceccaldi fait chanter le bois de son violoncelle. Les souffles s’emmêlent et se confondent au cordes. Quant à la batterie d’Adrien Chennebault, le rythmicien de La Scala, elle tressaille sous les caresses. Une atmosphère qu’on retrouvera également dans l’âpre Legram où chaque instrument dessine un relief rugueux sur lequel dansent les pizzicati du violoncelle. Ce sont les rares plages contemplatives. Un calme inquiet, précaire. Car le reste se conçoit dans l’urgence. Une urgence qui se range sous le poème de Celaya, l’enregistrement live au Petit Faucheux de Tours, la région de prédilection du Tricollectif, y contribue : “Avec la vitesse de l’instinct, avec l´éclair du prodige”. Le programme s’exécute dans le formidable Ingram inaugural où chacun des musiciens converge vers un propos commun et dense avant de se disperser sous la rafale de la batterie. Dans cette fougue qui prend de l’ampleur à mesure que les musiciens se carambolent, on songe évidemment aux algarades entre Ornette Coleman et Don Cherry, notamment sur l’ardent Mat ou les trois voix des soufflants grimpent à l’unisson par des faces différentes. Les origines espagnoles du poète et son lien intime avec la guerre d’Espagne laissera songer également à quelques clin d’œil appuyés au Liberation Music Orchestra, surtout lorsque l’alto de Lemaire et la trompette de Maris s’élancent dans quelque fracas lyrique sous la mitraille. Mais dans Ingram comme dans Iciba, le violoncelle de Ceccaldi et la batterie de Chennebault font songer au Motion Trio de Rodrigo Amado, notamment lorsque le tromboniste Jeb Bishop est invité. Maris jouit du même type de liberté absolue pour mener le bouillonnant quartet où il le souhaite. Quant à Walabix, il démontre qu’au delà de sa maîtrise parfaite des sensations les plus ténues, il sait aussi faire parler la poudre, fut-ce celui d’un fusil de chimère, comme ce jouet bricolé sur la pochette. Laissons la parole à Celaya : “Je maudis la poésie de celui qui ne prend pas parti jusqu’à la souillure. Je fais miennes les fautes. Je sens en moi à tous ceux qui souffrent et je chante en respirant.”. C’est une belle définition de cette musique. De nos musiques. Comme la poésie, la musique improvisée est une arme chargée de Futur. Un nouveau coup de force de BeCoq et des musiciens du Tricollectif, décidément de fines gâchettes.

Franpi Sunship