Weeds Like Us, un mémoire par Janiva Magness
Janiva Magness insiste sur le fait que c’est un mémoire. Ce n’est pas une fiction ni une biographie mettant l’accent sur les bons moments d’une vie, les moments glorieux, les succès et quelques accidents de parcours. Et encore moins une autobiographie, car c’est avec l’aide de Gary Delsohn, un écrivain aguerri, qu’elle s’est lancée dans ce qu’elle appelle «my own chaotic history». Ses conseils lui ont été précieux pour mettre de l’ordre dans tout ce qu’elle avait à dire, … et elle dit tout : ses manques, ses défauts, ses dérapages, ses frustrations, ses erreurs, son calvaire et tout ce qui l’a poussée à essayer de se suicider à plusieurs reprises avant d’entamer une reconstruction par la musique. Une phrase résume bien sa galère, son voyage au bout de l’enfer : « violence, bullying, incest, addiction and alcoholism, rape, clinical depression, parental suicide… : tu fais la somme de tout cela et quand je me suis retrouvée fugueuse à 14 ans, j’étais de multiples façons à la fois hypnotisée par mon passé et prisonnière de lui …
Quand est venu le moment de raconter mon histoire, je me suis faite une promesse, celle de tout dire, en toute honnêteté, sans rien cacher : le bon, le mauvais et l’horrible (the good, the bad and the ugly). » Ce mémoire compte 261 pages réparties en 31 chapitres précédés d’une note de l’auteur (avertissement sur ce qui attend le lecteur) et d’une introduction qui raconte avec verve, humour et émotion la cérémonie des Blues Awards à Memphis en 2009, où elle a été nominée comme « B.B.King Entertainer Of The Year ». Elle est là, heureuse, en compagnie de sa fille Pearl (retrouvée en 1991) et, à sa grande surprise, c’est elle qui remporte le trophée remis en ses mains par B.B.King lui-même, assisté de Bonnie Raitt ! A la lecture, on partage son émotion, c’est un très beau texte, à lire absolument. La suite, en 31 chapitres, est beaucoup plus sombre, limite horrifique et ce n’est rien de le dire. Les 2 premiers tiers de ces chapitres rapportent une horrible et navrante descente aux enfers qui illustre la citation reprise ci-dessus « violence, bullying, rape… » Du suicide de ses parents aux déviances de ses 2 frères aînés, de ses nombreux passages de famille d’adoption à une autre et d’une école secondaire à l’autre, aux malheurs qui la frappent (drogues, alcoolisme, viol, dépression). De sa fugue à 14 ans à sa grossesse à 16 ans, suivie du placement de son bébé en famille d’adoption. Puis à ses tentatives de suicide, la vie n’épargnera pas Lisa Maria Magness qui, à 18 ans, va commencer par changer son prénom en Janiva (pour conjurer le mauvais sort ?). Et qui, contre toute attente, va apercevoir la sortie du tunnel via la musique. En particulier après un concert de Otis Rush à Minneapolis en 1971 et d’un autre de B.B.King, dans la même ville, la même année, qui lui donneront envie de se reconstruire dans le domaine du blues… Pourtant le chemin sera encore long avant de pouvoir concrétiser ce souhait.
Tout cela est raconté avec verve, en toute franchise et sans complexe. Et c’est un vrai plaisir de lecture malgré un contenu subversif, terrifiant même, et choquant pour les personnes sensibles et émotives (auxquelles on a envie de conseiller de s’abstenir de lire ce livre). Après avoir fait des dizaines de petits boulots en continuant sa vie de bâton de chaise et ses excès en tous genres, Janiva va trouver un poste dans un studio d’enregistrement à Saint Paul. On y découvre qu’elle a une voix remarquable. Elle entame une carrière de choriste, va s’installer à Phoenix, Arizona au début des années ’80 et y fonde son premier band. Puis elle gagne Los Angeles en 1988 et le succès commence à venir. Sa vie est néanmoins loin d’être devenue un long fleuve tranquille, avec une tendance morbide à se mettre en couple avec les mauvais partenaires, avec des épisodes de dépression et on en passe et des meilleures. Mais de fil en aiguille elle s’impose dans le monde du blues comme une chanteuse exceptionnelle avec des qualités de businesswoman qui lui permettront de contrôler sa carrière dans une jungle commerciale sans merci pour les faibles et les amateurs, d’enregistrer 14 albums et d’être sur le point de publier le 15ième (en septembre 2019). Toutes ces péripéties, plutôt heureuses, sont relatées dans le dernier tiers du mémoire, toujours avec autodérision, avec la même verve spirituelle, la même honnêteté (« Je foire encore plein de choses, personne n’est parfait ! ») et cela se lit comme un thriller. A noter vingt pages de photos (6 par pages en moyenne, quasi toutes en noir et blanc) : on voit toute la famille et Janiva, à divers moments de sa vie, des amis, des musiciens, etc… En fin de volume, il y a aussi une discographie complète : les 15 albums mais aussi ceux des musiciens qu’elle a accompagnés comme choriste (Kid Ramos, Doug McCloud, R.L. Burnside, Kirk Fletcher, etc ….).
Il y a aussi un curieux, inhabituel mais bienvenu post-scriptum intitulé « Suggest Soundtrack » que je trouve intéressant et original. A chaque chapitre est attribué une chanson (titre + interprète) qu’il est suggéré d’écouter tout en lisant le chapitre en question. Cela donne par exemple (entre autres) :
Introduction : B.B.King and Bonnie Raitt (la récompense inattendue) : « Feeling Good » par Janiva Magness ;
Chapitre 1 : Pixie Girl (l’orpheline) : « Sometimes I Feel Like a Motherless Child » par Odetta ;
Chapitre 2 : Both Hellfire and Brimstone (une famille à problèmes) : « Born Under a Bad Sign » par Albert King ;
Chapitre 9 : Otis Rush (LA révélation du blues pur et dur) : « Something’s Got A Hold On Me » par Etta James
Etc… etc…
Et cela marche !
Janiva Magness
Weeds Like Us
Fathead Records Publishing 2019
Robert Sacre