U.F.I.P. : cymbales, gongs, tams (2)
La fabrication des piatti
La chaîne de fabrication des cymbales et percussions métalliques se décomposent en cinq phases : la fusion de l’alliage dans un four, la mise en forme dans un moule, la deuxième cuisson et le refroidissement, la réduction du volume par grattage pour rejoindre le poids idéal du modèle, le martelage de la surface pour obtenir le son désiré, une phase de mûrissement de quelques semaines avant l’envoi vers les distributeurs à Rotterdam, New-York, au Japon etc..
L’alliage peut varier selon l’effet désiré et surtout la qualité requise, mais pour les cymbales UFIP haut de gamme, on privilégie le Cu8Sn2, soit 20% d’étain et 80 % de cuivre. La veille de la cuisson, on prépare les lingots de cuivre autour de l’orifice du four, un gros bloc d’étain brille dans la poussière métallique du sol. Seront incorporés des fragments de cymbales brutes noircies qui se sont brisées lors du démoulage ainsi que la paille de bronze arrachée de la surface des disques métalliques lors de la troisième phase. Car rien ne se perd, vu le prix du cuivre et de l’étain. L’alliage métallique en fusion est versé manuellement dans des moules au moyen de louches métalliques à long manche.
Dans un coin de l’atelier, une série impressionnante de moules sont alignés sur le sol, noir et gris de poussière. Le moule est ouvert lors du versement du métal en fusion et est refermé. Lorsque la température baisse et que le disque, percé en son centre, a pris sa forme, on le démoule avec précaution. Car il peut se briser comme du verre. Les disques refroidis sont alors déposés sur le tapis roulant métallique qui entre dans un système de cuisson à 800 ° (résistances électriques) et ensuite plongés dans un cuve d’eau froide pour les refroidir. La cuve se trouve évidemment à côté de la fin du tapis roulant. L’opération doit être assez éprouvante et fumante. Je doute fort qu’ils laissent entrer des visiteurs ce jour-là. Lors d’une séance de fusion, la fabrique produit des centaines de pièces le même jour. Les phases suivantes occasionnent un travail extrêmement méticuleux et pour ce faire les artisans experts doivent faire preuve d’une patience infinie. Avant le dégrossissage manuel de chaque disque, on applique un vernis jaune doré. Chaque disque est systématiquement gratté avec une sorte couteau en acier. La cymbale est insérée sur un tour à moteur très rapide et le couteau est appliqué obliquement sur la surface de manière à arraché de la matière qui s’échappe sur le sol sous forme de longs copeaux filiformes qui brillent dans la grisaille de l’atelier. La trace du grattage est perceptible sur la surface les cymbales : les lignes concentriques qui semblent être imprimées dans le métal. Lors de cette opération qui doit être la plus régulière possible, l’artisan arrête plusieurs fois le tour pour peser la cymbale naissante dans une balance de haute précision. Lorsque le poids se rapproche du modèle désiré, il affine la mise en forme jusqu’à ce qu’il décide que la cymbale est prête pour la phase suivante : le martelage. Il écrit alors le poids exact de la cymbale à l’intérieur de la coupole du disque à l’encre noire. Il y a aussi une grande machine Siemens Nef 600 Gildemeister avec laquelle le grattage de la surface est réalisé automatiquement. La programmation de cette machine–outil a duré un temps infini. On y travaille les grandes cymbales. Un amas impressionnant de copeaux se dresse à son extrémité. Ces copeaux de bronze sont soigneusement conservés jusqu’à la prochaine fusion.
Le martelage a lieu dans un local insonorisé et les travailleurs présents doivent se munir d’un casque sur les oreilles. La cymbale tournoie sur un axe et le marteau électrique en écrase toute la surface à toute vitesse. De temps en temps, l’ouvrier prend la cymbale pour la plier et la fait tinter pour se rendre compte si l’opération s’approche du résultat escompté. C’est du martelage que dépend la caractéristique sonore individuelle de l’instrument, chaque cymbale étant différente. Faut-il rappeler que le son de celle-ci dépend de son diamètre, de son épaisseur, de sa forme et bien sûr de l’alliage utilisé. Impossible d’obtenir un son uniformément semblable pour les cymbales du même modèle, leur fabrication étant aléatoire. Une fois le processus abouti, les cymbales sont rassemblées dans des étagères pour une période de maturation de quelques semaines indispensables avant leur utilisation. L’équipe s’occupe aussi d’emballer les commandes sur des palettes pour des destinations souvent lointaines aux quatre coins de la planète. Les énormes colis seront expédiés une fois le paiement encaissé par la banque.
L’usine dispose d’un studio où les percussionnistes peuvent venir essayer, découvrir et choisir leurs cymbales et accessoires : une batterie trône au milieu d’étagères remplies de cymbales de tailles et formes les plus diverses, de photos de groupes et de musiciens et des affiches signées avec les remerciements enthousiastes des artistes, principalement italiens, tous styles de musique confondus. Les murs et plafonds sont recouverts de boîtes d’œufs en carton pour améliorer l’acoustique.
Certains modèles coûtent entre cinquante et plusieurs centaines d’euros, le prix des grands gongs et tams grimpent dans les milliers d’€. UFIP travaille principalement à l’exportation. Et visiblement, les travailleurs de l’équipe et les responsables forment une sorte de famille basée sur le respect et la convivialité et animée par une passion pour ce métier assez unique en son genre. Luigi et Damiano Tronci travaillent avant tout pour réaliser une mission au service de la musique et sont en fait des artistes à part entière. C’est une PME familiale qui se contente de gérer soigneusement les affaires afin de maintenir ou d’augmenter la qualité et la diversité des instruments plutôt que de faire du « business » et se lancer dans des entreprises hasardeuses. Leur art se situe dans les vibrations des piatti en bronze dans l’espace et à l’intérieur du cercle de métal dont ils découvrent intimement les points morts et les nœuds sonores. C’est dans ces points morts qu’on fore les trous par lesquels les tams et gongs sont suspendus. Un travail amoureux d’orfèvre.
Marcello Magliocchi
Et donc, nous avons assisté à la séance de sélection de nouvelles cymbales de Marcello Magliocchi. Batteur professionnel depuis l’adolescence, Marcello a joué à l’âge de 19 ans avec Steve Lacy pour quelques concerts dans les Pouilles (1976). Peu après, il a rencontré Alex von Schlippenbach à Bari et a travaillé avec Jim Dvorak, Marcio Mattos, Roberto Bellatalla, Roberto Ottaviano et Carlo Actis Dato. Premier enregistrement avec Paolo Fresu pour Tactus un sous-label d’Ictus. Par la suite, on l’a aussi entendu avec William Parker et Evan Parker, Joëlle Léandre, Carlos Zingaro et Benat Achiary. Du côté du jazz, il a joué professionnellement avec les grands du jazz italien comme Enrico Rava, Gianni Basso, Franco D’Andrea, Stefano Bollani, Enrico Pieranunzi et Gianni Lenoci dans les festivals de jazz du sud de la péninsule et de Sicile « per un sacco di soldi » organisant la fixation des dates, des conditions, des contacts avec les autres musiciens impliqués (contrebassistes, souffleurs etc..). Éventuellement, il supervisait le dossier financement et les détails pratiques des tournées. Il a enseigné au conservatoire de Bari et a travaillé la percussion classique. Sa connaissance des styles et des techniques des batteurs de jazz est étendue : d’Ed Blackwell et Roy Haynes à Barry Altschul, de Steve Gadd à Pretty Purdie. Cet après-midi, Marcello essaye une nouveau modèle unique de cymbale « rectangulaire » réalisée à sa demande, et aussi des mini-cymbales assez épaisses, dont le poids est moins élevé que celles qu’il possède déjà. En effet, aujourd’hui il joue avec un mini-kit qu’il parvient à caser dans une valise à roulettes sous la barre des 15 kg réglementaires pour la soute à bagages : une caisse claire, un mini-tom actionné avec la pédale de grosse-caisse, un petit hi-hat avec des petites cymbales, un pied de cymbale pour sa cymbale rectangulaire et une cymbale moyenne, des claves baguettes et mailloches et quelques accessoires. Cette mini-installation est indispensable pour jouer cette musique improvisée à la fois éclatée et intériorisée où les moindres détails sonores comptent. Pour en revenir aux cymbales, le son de cet instrument dépend des ustensiles avec lesquels on les frappe (ou les touche !) : baguette de batterie conventionnelles, tiges en fer, baguettes chinoises (pour manger chinois), aiguilles à tricoter, différents modèles de mailloches, mais aussi le grattage de la surface intérieure avec une baguette pointue ou en la frottant avec un archet. On peut en changer le timbre en enfonçant la coupole sur la peau d’un tambour ou avec celle d’un tambourin à son extrémité. Une partition de Cage prévoit même de plonger une partie de la cymbale dans une bassine pleine d’eau pour en changer curieusement la sonorité. Cette variété de frappes et l’utilisation d’objets rentre aussi dans son jeu sur les peaux etc…. de manière à varier tous les paramètres de la production sonore. Son exceptionnelle maîtrise des rythmes et des sons lui permet une très grande expressivité avec un matériel minimal. Par exemple, il a aussi construit une installation sonore avec des cordes tendues sur une structure métallique résonnante et ses extraordinaires cloches (cfr sa page FACEBOOK).
Marcello Magliocchi appartient à cette famille de percussionnistes free européens tels Paul Lovens, Paul Lytton, Tony Oxley, Roger Turner, mais aussi Mark Sanders, Martin Blume, Lê Quan Ninh, Steve Noble à un très haut niveau de qualité. Confiné à la zone Sud de l’Italie quand il était impliqué dans la scène jazz italienne et dans l’enseignement tout en développant sa recherche sonore, il a peu joué de ma musique improvisée hors des frontières de la péninsule. Marcello est en train de co-créer un réseau international d’improvisateurs en collaboration avec d’autres artistes de Grande-Bretagne, de Belgique, du Japon, de France, de Suisse, d’Hongrie, d’Autriche, du Portugal et dans toute l’Italie. Il a récemment tourné dans ces pays à la demande d’organisateurs sincèrement intéressés, n’hésitant pas à traverser l’Europe avec Matthias Boss, Jean Demey et moi-même en Citroën Berlingo avec batterie et contrebasse durant une douzaine de jours pour 7 concerts de Turin juque Vienne et Budapest. Il est aussi directeur musical du ClockStop festival dont l’édition 2017 à Fasano (Brindisi) fut un succès total avec 18 improvisateurs dont Marcello Magliocchi Lawrence Casserley, Adrian Northover, Tom Jackson, Dan Thompson, Martin Mayes, Angelo Contini, Jean Demey, Matthias Boss, Guy Frank Pellerin, Maresuke Okamoto votre serviteur et des jeunes musiciens italiens parmi lesquels un remarquable accordéoniste de Bari, Donenico Saccente. Une cinquantaine de combinaisons instrumentales tout aussi variées les unes que les autres ont dévoilé les possibilités créatives, sonores et dans l’imaginaire de l’improvisation libre radicale. Luigi Tronci ne peut pas trouver de meilleur avocat de la recherche musicale ! D’ailleurs sa fondation accueille aussi des concerts de musique improvisée de haut niveau avec des musiciens complètement investi dans ce domaine.
Un parrainage étonnant pour un artisanat qui défie l’entendement !
Jean-Michel Van Schouwburg (texte + photos)