Lenoci-Mimmo, The Whole Thing
Gianni Lenoci & Gianni Mimmo –
Reciprocal Uncles
The Whole Thing
Une vraie plénitude. Et tristement, cette chose entière (“The Whole Thing”) est le chant du cygne de ce maestro de l’Italie du Sud, pianiste jusqu’au bout des ongles, enseignant apprécié par ses élèves, à la fois musicien de jazz et chercheur contemporain. R.I.P. Gianni Lenoci. Le saxophoniste soprano Gianni Mimmo et le pianiste Gianni Lenoci, les Oncles Réciproques, ont formé jusqu’à la disparition subite du pianiste un duo, une équipe qui étendait parfois sa collaboration avec d’autres improvisateurs, comme Ove Volquartz. J’aime me souvenir du concert donné au Negocito à Gand où les deux musiciens m’avaient invité à partager la scène pour le final du concert. Je me souviens de l’activité maîtrisée et trépidante mue par une logique supérieure des doigts de Gianni Lenoci dans les cordes et la table d’harmonie et leur premier album en duo, “Reciprocal Uncles”, où il pétrissait ce champ d’investigation en contraste avec le jeu étoilé-écartelé dans les intervalles polytonaux du souffleur du saxophone droit. “The Whole Thing” nous fait entendre le duo dans sa dimension contrapuntique où le pianiste choisit de jouer avant tout du clavier et de toute sa science harmonique à la fois Schönbergienne, post-Monkienne et péri-classique avec toute la brillance de sa virtuosité jusqu’à la minute 28 des cinquante et 48 secondes de l’unique suite qui compose “The Whole Thing”, quand il esquisse une plongée dans les cordes, dont il se servira ensuite pour souligner un passage vers une autre phase du jeu. Justement, j’écris Suite car il s’agit de différents mouvements reliés l’un par rapport au suivant par le savoir-faire de l’improvisateur expérimenté. Soutenu et émulé par la superbe compétence du pianiste, Gianni Mimmo peut pointer ses aigus dans tous les angles que son imagination le pousse à investiguer, délivrant un lyrisme secret, comme s’il jaugeait en permanence la valeur et le poids des notes, leur densité, leur luminosité et leur part d’ombre. Ses déboulés en zig-zags, étirements de timbre, accents dans le suraigu, growls, harmoniques chantantes trouvent leur chemin dans l’espace, secondés ou anticipés par les mains fermes et toutes les capacités de compositeur de l’instant de son camarade, dont on goûte la chevauchée fantastique des ostinatos tournoyant autour de la minute 40:00. Créateurs de formes conjointes et articulées en phase ou en décalage, les deux improvisateurs ont le don de faire coexister et interagir leur univers personnel en assumant leurs différences et leurs intérêts communs dans une remarquable empathie. Un bien bel ouvrage.
Jean-Michel Van Schouwburg