L’Ame des Poètes, “L’interview: Brel, Brassens, Ferré”
L’Ame des Poètes, L’interview: Brel, Brassens, Ferré
Plus de vingt ans d’existence : ils ne sont pas nombreux les groupes de jazz à connaître une telle longévité. Voici le 7e album du trio réunissant Pierre Vaiana(saxophone), Fabien Degryse (guitare) et Jean-Louis Rassinfosse (contrebasse), et même le 8e disque, si on tient compte du fait que “Prénoms D’Amour” était un double album. Et, toujours la même fraîcheur, la même fluidité mélodique pour reprendre quelques-unes des plus célèbres chansons françaises. Certains albums étaient directement dédiés à un auteur compositeur (Brel en 1990, Brassens en 2000 avec “Elle est à toi cette chanson”), d’autres se voulaient plus thématiques (“Prénoms d’amour” en 2004 avec des titres évoquant un prénom féminin ou “Ceci n’est pas une chanson belge” en 2009). Qu’allaient donc trouver, cette fois-ci, nos trois compères ? Partir de la légendaire interview qu’avaient conjointement accordée, le 6 janvier 1965, Brel, Brassens et Ferré à François-René Cristiani pour RTL, avec des clichés mythiques de Jean-Pierre Leloir (photographe de Jazz Mag et témoin fidèle des festivals de Comblain). Bien sûr, nos trois compères s’étaient déjà penchés sur l’oeuvre du grand Georges (12 titres dans “Elle est à toi cette chanson”, auxquels s’ajoute Quatre-vingt-quinze pourcents dans “Prénoms d’amour”), et encore davantage sur celles du grand Jacques (Le plat pays dès le premier disque en 1992, 12 titres lors de l’album “Brel”, Rosa, Quand on n’a que l’amour et Madeleine pour “Prénoms d’amour” et enfin J’arrive pour “Ceci n’est pas une chanson belge”, soit 17 titres au total). Par contre, pas encore de chanson de Léo Ferré. Sur les 15 titres choisis pour “L’interview”, 5 appartiennent au répertoire de Ferré, 6 à celui de Brassens et 4 à celui de Brel (La valse à mille temps, Au suivant, Jaurès du dernier album et La Quête de L’Homme de la Mancha). Le trio belge n’est pas le seul à s’être intéressés aux chansons françaises. Certains les ont traitées comme de nouveaux standards de jazz (“French Ballads” de Barney Willen en 1987, “French Melodies” du trompettiste Alain Brunet), d’autres se les approprient pour en faire un matériau mélodique neuf laissant une large place à l’improvisation : on peut penser à la version de 11 minutes 53 que le trompettiste Harry Beckett donne d’Amsterdam de Brel, en compagnie de Joachim Kuhn et Jean-François Jenny Clark en 1991 (album “Les jardins du casino”). L’originalité de L’Ame des Poètes consiste à suivre au plus près la ligne mélodique des chansons pour atteindre une parfaite limpidité lyrique, qu’il s’agisse du soprano de Pierre Vaiana, de la guitare acoustique de Fabien Degryse ou de la contrebasse à 5 cordes de Jean-Louis Rassinfosse. Cela débouche sur de réelles réussites. Les chansons de Brassens regorgent de vrais trésors de swing (Les trompettes de la renommée, J’ai rendez-vous avec vous, Les funérailles d’antan). La Quête, après une jolie intro de contrebasse et de guitare débouche sur une envolée de soprano. Les thèmes de Ferré renferment une réelle charge émotive : Jolie môme, C’est extra et surtout ce Avec le temps porté à bout de bras par un magnifique solo de contrebasse (la même puissance émotive que le Ne me quitte pas joué en solo par le contrebassiste Jean-Paul Celea sur l’album “Passaggio”). Une autre originalité consiste à jeter des ponts entre deux mélodies pour passer subrepticement de l’une à l’autre (de C’est extra à Comme à Ostende, de Le temps ne fait rien à l’affaire à La valse à mille temps). Le concert de l’Ame des Poètes peut se muer en spectacle à part entière : les réponses musicales du trio aux questions de l’interview (enregistrées avec la voix de Gabrielle Stefanski de la RTBF) sont alors mises en scène par Marie Vaiana (la fille de Pierre). A bon entendeur…
Claude Loxhay