Jason Pour Miles
Jason pour Miles
Jason Miles est sans doute une des personnalités majeures de la période électrique de Miles Davis à partir de l »album « Tutu ». Il sort aujourd’hui un hommage à cette période électrique, « Kind of Brew ». Rencontre.
Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin
Dans votre carrière, il y a un avant et un après Miles Davis. Commençons par le début.
Je suis de Brooklyn, New York, Brooklyn était un endroit très intéressant dans les années cinquante-soixante. Mon voisin était un grand saxophoniste, pas très célèbre à l’époque, mais il est devenu par la suite un des tout grands saxophonistes, son nom était Bob Berg. Nous étions les meilleurs amis depuis l’âge de deux ou trois ans, nous nous sommes vus pendant au moins quarante-cinq ans, avec des hauts et des bas du style « Hé mon gars, va t’faire foutre » et on ne se voyait plus pendant deux ans, puis « oh ! Tu m’as manqué », vous voyez le style ? Il était un chouette gars de toute façon. A cette époque New York était un endroit très prenant, il y avait beaucoup de clubs, d’hôtels où on pouvait jouer, tous les hôtels juifs de NY étaient au Nord de la ville, j’avais plusieurs groupes avec lesquels je jouais les week-ends, j’apprenais beaucoup de choses dans les clubs et j’écoutais beaucoup la radio, les Beatles, Dionne Warwick, tous les groupes britanniques, mais aussi du jazz. Le premier album que j’aie acheté est « Boss Guitar » de Wes Montgomery en 1963. Je me souviens avoir entendu Wes Montgomery dans un programme du dimanche après-midi avec Mel Rhyne à l’orgue, c’est d’ailleurs à cette époque que je suis passé du piano à l’orgue.
Vous avez fait des études classiques au piano ?
J’ai tout de suite débuté avec un professeur de jazz, Rector Bailey, une légende à Brooklyn, qui m’a apporté un tas de choses, il m’a appris énormément sur les changements d’accords, il était étonnant. J’ai aussi beaucoup écouté Larry Harlowe à l’époque, le compositeur de salsa. J’allais aussi au Fillmore East où j’ai vu Jimi Hendrix, Sly &The Family Stone, Paul Butterfield’s Blues Band, David Sanborn aussi qui était un de mes groupes préférés… Ensuite, quand ma grand-mère est décédée et que mon père a eu une crise cardiaque, la famille s’est un peu disloquée et j’ai décidé de quitter New York pour m’installer dans l’ Indiana . En bas du bloc de maisons où j’habitais, il y avait le « Columbia Record Club » , un énorme grand magasin où Columbia vendait toutes ses productions, que ce soit en rock, country, jazz… Il y avait toujours un paquet de monde aux rayons country et rock, mais seulement deux ou trois personnes au rayon jazz.
L’écoute de disques a influencé votre carrière ?
C’est là que j’ai acheté mes premiers albums CTI : « In A Silent Way », « Bitches Brew », mais aussi « Kind of Blue »… C’est à ce moment-là que j’ai commencé à collectionner les disques. J’avais un piano électrique à la maison et des gars comme Chick Corea me disaient vraiment. J’absorbais énormément de musique à l’époque, je me souviens de Carole King, de l’album « Push Push » de Herbie Mann, j’adorais aussi les « Grateful Dead », mais « Push Push » a été vraiment mon tout premier grand album. Ma petite amie et moi avons alors décidé de rentrer à New York, surtout parce que je commençais à penser différemment : je ne voulais plus spécialement jouer du jazz, mais je voulais travailler ces trucs électriques qu’on entendait alors : « Weather Report », « Bitches Brew »… et tous ces trucs. Ce qui s’est alors passé, c’est que le petit ami d’une cousine était dans un groupe et je suis allé voir avec lui des gens comme Don Grolnick, Steve Gadd jouait aussi dans ce groupe . C’est là que j’ai rencontré David Sanborn. Je me souviens avoir demandé quelques conseils à Don Grolnick qui m’a répondu : « Prépare-toi à passer pas mal de temps sans gagner de l’argent ! » Je me suis procuré un Fender Rhodes et quelques semaines plus tard, je rencontrais Joe Zawinul … En 1974, je me souviens que « Weather Report » jouait à quelques pas de chez moi et j’y suis allé : l’endroit était bondé et les gens dansaient… mais quand « Weather Report » est monté sur scène, il restait une cinquantaine de personnes ! Et ils ont joué d’enfer ! « Mysterious Traveller » et des choses comme ça. Je me suis aussi tourné vers la musique brésilienne. A l’époque c’était plutôt difficile car il y avait de la concurrence : Herbie, Chick, Kenny Kirkland qui avait dix-huit ans, Keith qui jouait électrique… J’ai alors commencé à composer ma propre musique.
Et à enregistrer votre premier album.
« Mon tout premier album personnel fut « Cozmopolitan », il y avait Marcus Miller qui avait dix-huit ans, Michael Brecker en était aussi, et aussi Gerrie Niewood… A partir de ce moment, je suis devenu connu comme quelqu’un qui maîtrisait le monde des synthés, et ce fut surtout grâce à Michael Brecker qui avait confiance en moi. Il y avait beaucoup de claviéristes avec des synthés ces années-là, mais moi je savais comment les utiliser, programmer, faire une série de trucs avec ce matériel, c’était nouveau à l’époque… »
Michael Brecker est devenu un personnage important pour votre carrière.
Un jour en 1984, ma femme Kathy et moi fêtions son anniversaire dans un sushi bar, il n’y avait personne à l’exception d’un homme seul qui lisait. Et Kathy m’adit : « Mais c’est Michael Brecker ! » Michael vivait repartait du bon pied après une période compliquée pour lui, et quand il m’a vu, il a dit : « Hey Jay ! C’est incroyable ! J’ai pensé à toi il y a quelques semaines. Je pensais utiliser un Midi ou ce genre de truc et j’ai pensé à toi ! » Il est venu s’asseoir près de nous. Il m’a demandé de venir le voir avec mon Yamaha DX7, un terrible synthé, en me disant qu’il adorait ce que je faisais avec cet engin, que je jouais le futur avec cet instrument. Michael a parlé de moi avec Lenny White que j’ai rencontré plus tard et qui m’a demandé qui était mon producteur préféré et j’ai répondu sans hésiter Trevor Horn ! Il m’a alors dit qu’on allait faire des trucs ensemble ! Six mois plus tard, il me téléphonait pour un projet avec Marcus Miller ; après cela, Marcus et moi avons collaboré pendant au moins dix ans.
Comment a débuté l’album « Tutu » ?
Plus tard, un vendredi soir, Marcus Miller m’a appelé parce que Miles cherchait des trucs électriques pour son prochain album. C’est ainsi que nous avons commencé « Tutu ». Marcus m’a demandé de trouver un gros son pour débuter l’album et la première chose que je lui ai apportée c’est ce « Bam ». J’ai alors donné à Marcus un sample de Miles venant de l’album « Sketches of Spain » et quand Miles l’a écouté, il a demandé qui jouait la trompette. Quand Marcus lui a dit que c’était un sample de lui, il a répondu que ça sonnait comme Nat Adderley ! Voilà comment ça a débuté. Ce fut une période important pour Miles Davis qui passait de chez Columbia à Warner et personne à ce moment-là ne pensait que Miles pouvait faire quelque chose de différent.
Avez-vous collaboré à la nouvelle version de « Tutu » par Marcus Miller ?
Non, notre collaboration s’est arrêtée en 1994. Que pouvais-je donner de plus ? Que pouvait-il faire de plus ? Nous avions atteint un très haut niveau en tant que producteurs, nous avions travaillé avec Chaka Khan et beaucoup d’autres… J’ai beaucoup travaillé pour des films, j’ai eu une nomination aux Emmies, j’ai donné ce dont les gens avaient besoin, mais Marcus et moi avons pris des directions différentes.
Combien de temps cela vous a-t-il pris pour préparer « Kind of New » ?
Cela a pris environ deux ans pour faire l’album. Il faut pense beaucoup avant d’entrer en studio. Beaucoup de musiciens entrent en studio et enregistrent en deux jours – Miles Davis m’a dit avoir fait « Kind of Blue » en deux jours ! – Nous avons commencé par faire un tas de gigs avec Ingrid Jensen dès le départ et avec différents batteurs.
Le personnel est assez important sur l’album en effet.
Vous pensez… Oui, en efet, il y a quatre batteurs : Gene Lake, Mike Clark, Brian Dunne, Jon Wikan, le mari d’Ingrid,…. C’est comme cela que ça marche… Il y avait aussi beaucoup de musiciens sur « Bitches Brew » ! Il faut les bonnes personnes selon celles dont on a besoin, c’est très important. Ingrid Jensen est trompettiste, pas producteur, et je devais l’emmener dans une certaine direction.
Qu’en est-il de l’influence de Keith Jarrett en tant que claviériste électrique ?
Je ne voulais pas utiliser la partie électrique comme du smooth jazz ou un truc fusion, je voulais utiliser le Fender Rhodes comme Keith, un nouveau son… Il en avait joué sur « Live Evil », une session « Cellar Door ». Vous savez, j’adorais Joe Zawinul, Herbie, Chick et « Return To Forever » – mais pas les sessions avec Al Di Meola, bien celles avec Airto et Flora. J’aimais la façon dont Joe créait de l’espace entre les notes, il était tellement funky… J’adorais aussi le groove avec Herbie… Mais un jour de 1988,j’étais dans la maison de Miles et je lui ai demandé qui était son musicien préféré au Fender Rhodes et il m’a répondu : « Keith ! C’est un funky mother fucker, man ! Et en 2005, Bob Belden m’a fait écouter les « Cellar Door Sessions » avec Keith et c’était si génial, si profond ! Il jouait si funky avec un soul gospel. Il n’y avait rien de pareil ! Les jeunes devraient écouter ça aujourd’hui parce que c’est tellemnt funky, si vibrant, si bizarre et fou ! Ils devraient aussi écouter le « Mahavishnu » ! A cette époque vous pouviez reconnaitre le style de n’importe qui au Fender : Herbie, Chick, Keith, George Duke… George Duke a aussi été une grande influence pour moi, je l’ai entendu sur « Black Messiah » de Cannonball Adderley, c’est tuant ! Il avait un super style percussif. Bob James aussi dans les années septante, il est étonnant sur « Morning Star » de Hubert Laws, aussi sur « Power of Soul » d’Idrees Muhammed, avec Grover Washington Jr et Randy Brecker, phénoménal ! Bob avait un son très particulier au Fender et il était un grand improvisateur.
Certains titres font référence à vos expériences passées.
Oui, bien sûr. « Ferrari » je l’ai écrit avec Michael Brecker et j’en ai réalisé le son en 2000. Quand je lui ai fait écouter ça au téléphone, il m’a dit de ne pas le mettre sur MP3, mais sur CD et de lui envoyer immédiatement par Fedex ! Il m’a dit que c’est le genre de chose que Miles aurait faite ! C’est comme cela que j’ai commencé à écrire pur l’album « Miles to Miles », ensuite j’ai écrit « Street Vibe » avec Tom Harrell dans le studio. « Sanctuary » est la seule pièce reprise des sessions « Bitches Brew », je l’aime parce que c’est très free. « The Faction of Cool » veut dire que si vous êtes cool, vous pouvez écouter cette musique. Et l’interlude « Film Noir » est juste à propos des films qu’on aime – non, ça n’a rien à voir avec « Ascenseur pour l’Echafaud ». « Super City » parle d’une séance photos que nous avons faite, c’est un morceau qui sonne super dans la voiture ! J’ai aussi placé un titre caché pour le fun, « Jean Pierre ». Et puis il y a « Kats Eye » à propos de l’ouragan à La Nouvelle-Orléans parce que nous ne voulons pas laisser sombre cette ville, c’est le premier lieu aux Etats-Unis où une nouvelle culture soit née, pour l’Histoire de notre musique.