Cecil McLorin Salvant, (dés)illusions
Les (dés)illusions de Cecil McLorin Salvant
Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin
Avec « Dreams and Daggers » (MackAvenue Rec), son nouveau double album Cecil McLorin Salvant chasse les démons qui hantent ses projets : l’identité noire américaine et le rôle de la femme. Avec toujours cette grande sincérité qui la caractérise, cette voix unique et un sens de la dramaturgie qui lui est propre.
Première vision : la couverture de l’album interpelle.
J’ai passé pas mal de temps à réfléchir à la couverture : je voulais une photo, un clin d’œil à la chanson de Joséphine Baker « Si j’étais Blanche », un miroir aussi, une idée qui évoque beaucoup pour moi, elle a été prise chez moi. J’aime l’idée d’ouvrir un peu ma vie intérieure et de la partager.
On découvre toute une série de signes et de flèches qui relient les titres de l’album.
Pour moi, il y a une symbolique en effet dans ces flèches et symboles qui unissent les titres des morceaux : il s’agissait de relier des chansons qui interagissent ensemble, certaines chansons que j’ai écrites sont des réponses à des standards, ce sont des sortes de petits indices pour l’écoute de l’album. L’ordre des morceaux sur cet album est très important aussi pour moi, ça fait partie de l’expérience de cet album, bien plus que dans les précédents.
L’album aurait pu s’intituler « Illusions et Désillusions ».
Illusions et désillusions, j’aime bien cette idée, la traduction, c’est « Rêves et Poignards ». Pour moi, quand je choisis des chansons, celles qui m’intéressent sont celles qui ont à voir avec l’idée d’explorer l’identité des Noirs américains, mais aussi l’identité d’être une femme.
D’où aussi les textes de Langston Hughes.
Le poème de Langston Hughes sur la musique de Kurt Weil explore un peu le passage du temps d’une manière qu’on n’entend pas souvent, celle d’une femme qui parle de son enfance, habite à New York, rencontre son mari, a des enfants puis se retrouve toute seule après toute cette vie. C’est une chanson qui exprime les rêves de l’enfance qui quand on devient adulte ne sont pas ce qu’on avait imaginé. C’est finalement quelque chose de très universel.
Une grande partie de l’album est enregistrée au « Village Vanguard »
C’était mon premier concert au Village Vanguard, nous y avons joué pendant une semaine, c’est un endroit mythique, il y a véritablement des fantômes dans cet endroit, quelque chose de profond.
Votre façon de communiquer avec le public convient très bien à ce genre de lieu très intime.
J’aime beaucoup cette ambiance de club, j’avais envie d’enregistrer là, chez moi à New York, de pouvoir rentrer chaque soir, ça permet de développer beaucoup de choses au niveau de la musique du son.
En parlant de son, la fidélité à vos musiciens y est pour beaucoup.
C’est en effet avec eux que j’ai développé mon son, ils sont une grande partie de ce que je fais, on l’a développé ensemble. Avoir un son de groupe ça devient rare aujourd’hui, avoir quelque chose avec des personnes avec qui je travaille depuis des années, j’aime beaucoup ça. J’aime aussi soigner les liens, les passerelles, les réponses entre des chansons qui n’existent que parce qu’elles sont nées des standards.
Quelques pièces en studio avec des cordes viennent s’intercaler entre les enregistrements du « Vanguard ».
Le quatuor : j’aime beaucoup les contrastes et c’est très important dans cet album, dans les ambiances, mais aussi dans le titre de l’album Le quatuor ça s’est fait naturellement, j’avais fait un concert de St Valentin avec un quatuor à cordes, Paul avait fait les arrangements pour le quatuor, ça m’avait plu et j’ai gardé l’idée de faire un disque dans cette formule. Puis il y a eu cette envie du live au Village Vanguard et je me suis dit pourquoi pas mélanger les deux ? Proposer deux ambiances différentes sur le même disque. L’ingénieur son a fait un super job et a mis en contraste les deux, mais en conservant un fil, tout a été fait en live, en une fois. J’ai annoncé ça aux musiciens en arrivant en studio, pour avoir l’idée du live qui domine.
Vous reprenez une nouvelle fois une chanson en français « Si j’étais Blanche » de Joséphine Baker.
C’est une chanson que je joue depuis pas mal de temps en concert en France, je la trouve drôle. Ça traduit un état d’esprit que j’avais dans la tête au moment de choisir les morceaux.
Vous parlez à votre mère après un blues au Vanguard, c’est quelqu’un qui a une grande importance pour vous. C’est elle qui vous avait poussé à vous inscrire au concours « Thelonious Monk » que vous avez remporté.
On est extrêmement proche, ma mère était présente pour tous les concerts du Vanguard, elle n’a pas hésité à nous dire ce qui n’allait pas, elle nous a soutenu, elle donnait son avis, une présence importante pour cet album… Elle venait d’écouter ce blues avec des paroles pas faciles et je voulais la remercier de supporter ça !
Et vous repartez au Vanguard ce mois-ci (fin septembre)
Je refais le Vanguard la semaine prochaine, mais cette fois en duo avec Sullivan Fortner, un autre pianiste formidable.
Le 27 octobre prochain, Cecile McLorin Salvant sera en concert à BOZAR (Bruxelles).
En provenance de Londres, en direction de Marseille pour un concert avec le trio du pianiste Aaron Diehl, Cecil McLorin Salvant donne un petit concert impromptu devant un public conquis à l’aéroport Charles de Gaulle de Paris (juillet 2017).