Martin Salemi, jeune premier
Martin Salemi, jeune premier
Les jeunes pianistes talentueux se bousculent sur les scènes et galettes belges ces derniers temps. Martin Salemi fait partie de cette jeune génération et vient de sortir son tout premier album sur le label IGLOO. Un album très réussi, aux influences multiples qui n’attendent qu’à se diluer pour définir une personnalité plus affirmée. Nul doute que le jeune Bruxellois a toutes les qualités pour devenir un pianiste incontournable de la scène nationale. Rencontre.
Vous êtes issu d’une famille où la musique avait une grande place ?
Mon père est illustrateur, c’est lui qui a réalisé la pochette de l’album tout comme celle du dernier « Ame des Poètes », mais il est aussi guitariste notamment avec le groupe GAM qui avait fait un vinyle à l’époque avec Daniel Léon (nda : l’album de chansons et musiques de luttes et d’amours sera réédité en cédé en 2015). Mes parents sont assez mélomanes, on écoutait beaucoup de musique, les Beatles surtout.
Quand commencez-vous le piano ?
Vers 6-7 ans j’ai commencé le piano dans une école privée, le souhait peut-être d’avoir une méthode différente qu’en académie, c’était avec la méthode Baertstoen de l’école « Blanches et Noires » à Saint-Gilles. On y débute par des petites comptines qu’on chante et puis on les accompagne par la suite à l’instrument, l’apprentissage est très fondé sur le rythme. J’ai poursuivi le piano en cours privé avec le professeur que j’avais en cours collectif et par la suite, j’ai été chez Frank Wuyts pendant toutes mes années secondaires. Je me suis ensuite inscrit en élève libre au Conservatoire de Liège; j’ai eu beaucoup de chance qu’ils m’acceptent pour des cours de piano, de composition et d’impro libre avec Michel Massot; c’était génial car ça m’a permis de découvrir de nouvelles choses. En parallèle, j’étais en académie avec Nathalie Loriers. J’ai ensuite réussi l’examen d’entrée au Conservatoire Flamand de Bruxelles et là j’ai fait six années, la dernière en deux ans, afin de prendre plus d’options comme la composition avec Diederik Wissels, j’y ai aussi travaillé avec Dirk Schreurs, c’était très ouvert… Il y avait aussi le big-band avec John Ruocco… Ce sont des années que j’ai beaucoup aimées, les cours, les profs, l’ambiance.
Quel a été vraiment le déclic vers le jazz ?
En cours individuel j’apprenais des morceaux pop, latin, blues, jazz, vraiment de tout… Mais c’est Frank Wuyts qui m’a fait entrer dans le jazz. Je ne pensais pas faire une carrière classique en entrant au Conservatoire, et j’ai commencé à écouter beaucoup de disques, à aller dans les clubs à Bruxelles, et puis j’ai aussi fait des stages à Libramont, aux Lundis d’Hortense. Pendant mon adolescence, j’ai tout de même un peu essayé l’Académie, une demi-année avec Anne Wolf, mais je devais suivre les cours avec les petits pour le solfège, du coup je n’étais pas très assidu…
On sent pas mal d’influences diverses sur l’album : vous écoutez beaucoup de disques ?
Oui, il y a pas mal de références dans le disque : Lennie Tristano, je sais que Nathalie est une grande fan, Diederik aussi, je crois même que c’est lui qui m’en a parlé le premier. J’aime aussi beaucoup Bill Evans, Keith Jarrett, Brad Mehldau, Gerald Clayton… En fait, je n’écoute pas tout, mais il y a quelques disques que j’écoute encore beaucoup : chez Keith Jarrett, les trios bien sûr, mais mon premier gros flash a été « Survivor’s Suite », les solos bien sûr aussi. J’écoute aussi Brad Mehldau, mais pas tout : « Songs » par exemple, est un de mes préférés. Chez Bill Evans, j’ adore “You Must Believe in Spring”, tout comme “Affinity” avec Toots.
On retrouve parfois chez vous l’utilisation de la main gauche comme Brad Mehldau.
Le décalage entre les deux mains, oui, Gerald Clayton fait ça beaucoup aussi, ça devient assez standard, c’est un très chouette effet, Tristano utilisait déjà aussi beaucoup la main gauche.
« Julia » des Beatles, un clin d’œil à la musique que vous entendiez à la maison ?
C’est un clin d’œil à moi-même car je suis super fan, mon plus grand flash musical d’enfant, d’adolescent et encore maintenant. Le solo sur « Julia » s’est fait un peu naturellement, je jouais ce morceau à la maison, j’ai pensé qu’un morceau en solo serait bien sur le disque, sans aller plus loin dans la réflexion.
Une composition de vous sur l’album m’interpelle : c’est (Working) Summer.
(Working) Summer c’est une démarcation de Summertime, c’est la grille, je m’amusais à le jouer en cinq, et je l’ai retravaillée pour le disque. Quant au « Working » entre parenthèse, c’est simplement parce que c’est un morceau que j’ai du travailler beaucoup. On trouve un peu de tout sur mes compositions : des thèmes faciles, mais d’autres morceaux sont un peu tarabiscotés pas facile pour les accompagnateurs.
Parlez-nous de vos partenaires sur l’album.
Toine (Cnockaert), je l’ai rencontré parce qu’on était tous les deux appelés pour un concert, on ne se connaissait pas, mais le courant est passé humainement et musicalement. Il y a deux ans j’ai créé un sextet avec mes compostions et mes arrangements, ça s’appelait « Nous étions Ailleurs », j’avais fait appel à Toine, on a eu quelques concerts et fait une démo, puis je l’ai appelé pour le trio. Mike Delaere, je l’ai entendu dans le trio « Uzivati » avec David Thomaere et j’ai accroché à son jeu. L’enregistrement de mon trio est né parce que j’avais un ami qui était étudiant en ingénieur du son à l’Insas et qui devait enregistrer un groupe pour un examen. Il me l’a demandé et j’ai appelé Toine et Mike pour enregistrer sans répétition. J’ai amené des compos, j’en ai fait une démo que j’ai envoyée chez IGLOO et qui a été reprise.
Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin
Photos de Roger Vantilt