Late Randy Weston

Late Randy Weston

Late Randy Weston

Le pianiste Randy Weston nous a quittés le pemier jour du ce mois de septembre. En novembre 2014, il donnait une interview à Bruxelles. La voici dans son intégralité.

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin

(c) Christophe CHARPENEL

Mon père, quand j’avais six ans, m’a dit : « Tu es un afro-américain, tu dois étudier ta culture, le grand Empire d’Afrique », ce qui existait bien avant le colonialisme  et avant l’esclavage; il m’emmenait dans les musées pour apprendre les choses sur l’ancienne Nubie et sur l’Egypte. C’est lui qui m’a imprégné de notre culture. Il a aussi veillé à ce que je prenne des leçons de piano plus tard quand j’avais 14 ans. J’ai commencé par apprendre la musique classique européenne avec un professeur, 50 cents la leçon d’une heure, c’était dur car il tapait sur les doigts quand ça ne marchait pas… Mais dans le quartier de Brooklyn, il y avait les églises, les bars, les night-clubs où il y avait de la musique partout, le jazz alors. »

Pourquoi partez-vous alors dans le Massachusetts ?

Je n’ai pas décidé d’aller au Massachusetts. Ce qui s’est passé après la deuxième guerre mondiale, c’est que beaucoup de soldats sont rentrés en Amérique, mais le racisme n’avait pas changé et ils ont introduit l’héroïne dans la communauté noire. Beaucoup de mes amis ont été contaminés et j’ai alors voulu quitter ce milieu. C’est un de mes amis qui m’a conseillé d’aller au Massachusetts  parce qu’il y avait beaucoup de bonne musique là-bas : chaque été, j’y ai rencontré Mahalia Jackson, Billy Taylor, Doctor Willis James qui était spécialisé dans les « field hollers », Candido de Cuba, John Lee Hooker aussi, ce furent de grandes influences pour moi, tout comme par la suite Duke Jordan, Duke Ellington, Jimmie Lunceford, Count Basie ( à mes débuts, j’essayais de jouer comme lui !), la culture noire était si riche. 

Vous faites un premier séjour en Afrique début des années 1960; est-ce la situation des noirs aux USA qui vous décide à partir ?

Non, pas du tout. Encore une fois c’est mon père… Mon père était de Panama, ma mère venait de Virginie dans le Sud, moi j’étais né à Brooklyn et encore une fois, mon père m’a dit que pour comprendre mes racines, il fallait que je retourne vers l’Afrique, et c’est ce que j’ai fait toute ma vie, retrouver les lieux où vivaient  nos ancêtres. 

(c) Christophe CHARPENEL

Vous dites souvent : « Quand un Africain touche un instrument, il devient africain. »

Cela signifie que tous nous sommes des Africains, que nous n’avons jamais quitté l’Afrique, où nous dansons, où nous faisons la musique, où nous parlons. Parce que, souvenez-vous, l’Amérique est un très jeune pays alors que nous avons quitté l’Afrique il y a des siècles, mais nous nous sentons Africains. A Brooklyn, il ya une communauté italienne, juive, allemande, chacune a sa propre culture, mais nous avons la nôtre aussi qui a été difficile à reconnaitre en Amérique à cause de l’esclavage, mais où que vous alliez, je suis allé au Brésil par exemple, vous retrouvez cette culture, cette pulsion de l’Afrique, peu importe la musique, vous sentez l’Afrique. 

Vous êtes vous senti proche du Black Power ?

La conscience africaine, c’était bien avant le mouvement Black Power, nous utilisions la musique pour communiquer, le blues du début était déjà une révolution, Duke Ellington était une révolution, Billie Holiday aussi, c’est là qu’on trouve l’origine, le Black Power est venu bien après, il faut bien penser que sans la musique nous n’aurions pas survécu à l’esclavage, nous ne parlions pas anglais, nous ne parlions pas français, nous parlions le langage de la musique, c’était notre moyen de communication. 

La religion vous servait aussi à communiquer.

La religion est aussi quelque chose qui m’a sauvé.  Reverend  John Castle a amené notre musique dans les églises, une façon de dire que l’Afrique est dans le passé, dans le présent et dans le futur. Ce n’est pas une question d’une religion plutôt qu’une autre, c’est une question de spiritualité, ma religion est universelle. Chaque moment, chaque culture est différente, mais la reconnaissance de notre musique est que c’est devenu un art : avant James Europe, notre musique n’était pas considérée comme un art. Aujourd’hui c’est un art que nous appelons « African Classical Music », je n’emploie pas le mot jazz, parce que n’importe qui peut faire du jazz, mais notre musique a des racines plus profondes. Duke Ellington non plus n’appelait pas sa musique jazz. Je suis béni de pouvoir jouer cette musique  dont peu de gens mesure ce que l’Afrique lui a apporté; tant de choses viennent d’Afrique, pensez à l’Egypte Ancienne, mais l’esclavage a réduit l’image de l’Afrique, puis la musique l’a à nouveau mise à un haut niveau. L’Afrique est le centre de notre planète, c’est l’endroit le plus diversifié aussi, tout y est varié : les animaux, les oiseaux, les déserts, les forêts, les gens … Et la musique y est tellement puissante car elle reflète les sons de la nature africaine. J’ai beaucoup aimé la musique au Maroc aussi, elle est partout. 

Vous arrivez de New-York où vous avez joué un hommage à James Europe, tout comme vous l’avez fait en Belgique, au Middelheim il y a deux ans.

James Europe en venant en Europe découvre un continent sur lequel, contrairement à l’armée américaine où régnait la ségrégation, les noirs sont acceptés, ils ont été décorés par les Français. James Europe était quelqu’un d’un haut niveau d’éducation, il a été le premier à créer un syndicat pour les noirs car le syndicat était interdit aux noirs en Amérique, peu de gens savent ça. Nous avons créé de grandes institutions. Les orchestres militaires anglais et autres ont écouté James Europe et ont essayé de jouer sa musique, mais ça ne marchait pas parce que ça ne sonnait pas de la même façon. Parce que c’est l’Afrique :  le piano a été inventé en Europe, mais quand un Africain le touche, cela devient un instrument africain, la pulsion africaine y est. Toute l’humanité vient d’Afrique, vous comme moi ! Ce qui m’étonne toujours c’est comment nous avons pu créer une telle beauté, Louis Armstrong, par exemple, quand j’entends son son,  c’est la musique de ses ancêtres qui se mélange avec celle d’Amérique, c’est étonnant. 

(C) Michel LABORDE CITIZEN EYE

Votre dernier album s’intitule  « The Roots of The Blues »; « The Roots of Africa » ne serait pas plus proche de votre état d’esprit ?

Le blues symbolise l’Afrique, c’est la musique que vous entendez partout en Afrique, chez les Gnawas du Maroc ou en Afrique du Sud, parce que c’est la musique que les Africains utilisent pour communiquer , celle qui nous a permis de communiquer dans les bateaux qui nous emmenaient en Amérique, le blues heureux, le blues triste, mais c’est la mère Afrique qu’on entend dans le blues.

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin

Randy Weston: Music is Life Itself from NewMusicBox on Vimeo.