Pépites #33, Around Jazz

Pépites #33, Around Jazz

Around Jazz, quelques pépites…

C’est du jazz… mais pas tout à fait non plus. Voici une collection de disques qui méritent qu’on leur rétrocède une oreille très attentive.

Gregory Dargent, H

BISON BISON

Durant les années soixante, l’armée française procède à dix-sept essais nucléaires dans le Sahara algérien, au mépris de la santé des peuples nomades qui occupent cette région. Quatre essais dérapent. Habitants (et quelques militaires) furent ainsi irradiés… pour la France. Environ soixante ans plus tard, le photographe, compositeur et joueur d’oud Gregory Dargent ressort le dossier des placards. Pour ce faire, l’homme délaisse momentanément ses projets les plus connus comme Babx, aux côtés de David Babin, ou la fusion Orient/Occident de l’Hijâz’Car, au profit d’une formule « H » épurée, à trois, pour laquelle il s’entoure d’Anil Eraslan au violoncelle et de Wassim Halal aux percussions. Et on se doute bien que l’on va ni rire, ni danser. La musique de « H » sera tour à tour triste et grave (comme cette magnifique Poussières en entrée d’œuvre) ou nettement moins complaisante quant la colère gronde (Seul). Ce sont bien les cordes de l’oud et du violoncelle, puis les peaux du tambour, qui dénoncent les dérives et la négligence de l’occupant. Et si les témoignages (Requiem) et les notes ne suffisent pas, il restera les images compilées dans un recueil (“H”, un ouvrage de 112 pages au format 230X159 publié aux éditions Saturne). « H » est une œuvre empathique qui s’apprécie en plissant les yeux et en écarquillant les oreilles.

Namdose, Namdose

YOTANKA

Depuis quelques temps déjà, les Bruxellois de BRNS et les Vendômois de Ropoporose se croisaient. Dans les couloirs du festival des Rockomotives, par exemple, où l’un et l’autre partageaient les affiches. Ou dans des salles plus petites, quand les Français (qui ne cachent pas l’admiration qu’ils vouent au groupe belge) assuraient la première partie de BRNS. Aussi, quand le Directeur de la programmation des Nuits Botanique leur a proposé de confectionner une création originale et commune de quarante minutes pour l’édition 2018, sans hésiter ils ont relevé le défi. Et de belle manière, puisque ce spectacle a emballé l’auditoire et débouché sur l’enregistrement du premier cédé de Namdose. Avec, pour principale difficulté, la superposition des genres. Eviter à tout prix le petit jeu des politesses d’usage… « A ton tour »… Non, trop facile. A l’écoute des six titres qui garnissent le disque, on peut affirmer que l’écueil transfrontalier a été franchi avec classe et intelligence. Le post-rock conceptuel des uns rencontre ici la pop vaporeuse des autres en terrain neutre, à défricher à coups de basses, de claviers, de guitares sournoises et de mélodies que vous chanterez à tue-tête (comme eux). Une belle alchimie en somme, que vous aurez l’occasion d’applaudir à l’Atelier 210 (Bruxelles), ce 27 mars.
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Jeff Ballard, Fairgrounds

EDITION RECORDS

Le batteur Jeff Ballard (Santa Cruz, Californie) a rudoyé les fûts pour le compte des plus grands du jazz. De Ray Charles, dont il faisait partie du « Big Band » à l’âge de vingt-quatre ans, à Brad Mehldau qui l’a intégré dans son trio depuis une dizaine d’années. Entre eux (et vous excuserez du peu), ajoutez Chick Corea, Pat Metheny, Avishai Cohen, Joshua Redman. Les plus grands, on vous dit ! Mais ce que les plus audacieux d’entre nous ont particulièrement noté, c’est la présence de Ballard au sein du redoutable trio Fly, avec le saxophoniste Mark Turner (trois albums dont deux pour le compte de l’écurie ECM). L’album qui nous préoccupe ici surprend par la disparité des genres abordés et répond parfaitement au slogan à présent bien connu des « pépites » : « c’est du jazz mais pas tout à fait non plus ». Il y a un peu de tout sur ce « Fairgrounds », et pour tous les goûts. Des titres qui se cramponnent néanmoins tous sur un fil rouge à peine perceptible, mais (heureusement) bien présent. Du blues (Yeah Pete!), dont le rythme séculaire est perturbé par les machines (parfois très présentes), de l’ambiant (I Saw A Movie), du funk nerveux, du groove (Hit The Dirt) et des hommages psycho-jazz à Miles Davis (Soft Rock, Grungy Brew). Cette collision des genres et cette façon d’emmener l’auditeur sur les chemins surprenants de la découverte, ça s’appelle « liberté artistique totale ». Et manifestement, Jeff Ballard l’a non seulement obtenue, mais surtout, il sait s’en servir.

 

Joseph « YT » Boulier