Guillaume Vierset, la mélodie et …
Guillaume Vierset :
“faire chanter la mélodie”
Guillaume Vierset présente le deuxième album, “Nacimiento Road” (chronique), de son Harvest Group. “Nacimiento Road” est le nom d’une route sinueuse qui traverse la Californie. Un périple donc entre jazz et folk. Il parle aussi de sa rencontre avec le trompettiste américain Adam O’Farrill, invité par Thomas Champagne à se joindre au quartet Random House. Puis, il évoque la future carte blanche qui lui est offerte, en septembre prochain, au Marni Jazz Festival : l’occasion de rencontrer notamment le batteur américain Jim Black.
Propos recueillis par Claude Loxhay
Avec le Harvest Group, tu prends une autre direction qu’avec le LG Jazz Collective…
C’est totalement une autre direction. Avec le Jazz Collective, j’étais sur scène avec quinze pages par morceau : c’est une musique fort écrite, avec des arrangements complexes. Il fallait avoir tout sous contrôle. Par rapport au premier album “Songwriter”, je suis vraiment allé à fond dans la direction que je voulais prendre. Le disque est très produit : il y a un gros travail de production au niveau du son. Au niveau de la musique, en fait, on improvise pratiquement tout le temps. C’est ce que je recherchais : être libre. D’où le titre Nacimiento Road. Je ne sais pas si tu connais cette route de Californie : c’est une route perdue au milieu de nulle part. J’étais à San Francisco, je retournais à Los Angeles pour reprendre l’avion et j’arrive sur cette route One. Il y avait Big Sur (titre d’un morceau) à ma droite, je me suis dit que je ne voulais pas retourner en ville mais entrer dans les terres. J’ai pris cette route normalement réservée à l’armée. Je me suis dit: “J’arrête de tout prévoir, de rejoindre Los Angeles directement. J’improvise mon parcours, je rentre dans les terres et je vois ce qu’il se passe”. C’est vraiment à ce moment-là que le projet d’album s’est concrétisé, avec une démarche complètement différente de celle du Jazz Collective mais qui me correspond très bien, avec plus de liberté.
Entre Songwriter et Nacimiento Road, il existe un lien…
Oui, un grand attrait pour la mélodie, une mélodie qu’on peut chanter. Je crois qu’on retrouve cela dans tous mes morceaux, y compris ceux du Jazz Collective. Pour moi, la mélodie est ultra importante. Et puis, j’ai envie de toucher les gens. Il y a un vrai lien avec le premier album. Il faut savoir que le premier album a été enregistré en deux jours, presque sans répétition : c’était très fragile mais je voulais cette spontanéité. Et, pour le deuxième, j’ai voulu assumer une direction plus clairement que pour le premier. Mais j’avais besoin de faire ce premier disque pour en arriver là maintenant.
Une des particularités du Harvest Group, c’est l’alliance sonore entre soprano et violoncelle. Comment est venue cette idée ?
C’est en écoutant des vinyles de Nick Drake, dans lesquels il y a souvent un violoncelle. J’avais l’impression que l’association guitare/soprano, cela marche super bien mais il y a un trou au niveau des fréquences qui peut être utilisé par un autre instrument. Le seul instrument harmonique de ce groupe c’est la guitare, or j’aime bien le côté arrangement à deux voix, ce qui me manquait dans la matière sonore, c’est le son du violoncelle qui a une sonorité incroyable. Il peut être joué à l’archet, en pizzicato, peut déboucher sur des tremolos, sur des effets et l’instrument a aussi le son du bois. Or c’est très important d’avoir un instrument au son boisé, comme la contrebasse. Le violoncelle apporte vraiment cette couleur originale que je cherchais vraiment. Et Marine Horbaczewski est incroyable.
Le répertoire fait alterner ballades “ensoleillées” comme Sunny Spell et pièces plus sombres comme November Song…
Oui, November Song, c’est étonnant. J’ai écrit ce morceau-là à la fin de la tournée de Songwriter, c’est le moment où j’essayais d’écrire des morceaux ultra simples, d’arrêter d’avoir un arrangement par instrument. Je voulais écrire un morceau comme un standard. Ce morceau m’a marqué parce que la première fois qu’on l’a joué, c’était un concert chez Pierre Vaiana, un des derniers concerts de la tournée. Il s’est passé quelque chose de très fort en jouant ce morceau : c’était le jour des attentats de Paris. Entre les deux sets, on l’avait appris. C’est devenu un morceau vraiment très fort au niveau de l’émotion. C’est très difficile de retrouver l’énergie de ce moment-là. On a même arrêté de jouer ce morceau pendant très longtemps. En studio, on ne l’a joué qu’une fois ou deux et on a pris la première prise. Tout le disque est enregistré comme s’il s’agissait d’un live, en une ou deux prises. C’est un morceau court mais très important parce que très prenant.
Il y a un réel enchaînement entre les morceaux…
Oui, parce que ce disque est comme un long voyage, chaque titre a une histoire bien précise. L’agencement des morceaux est donc très important.
A côté des compositions originales, tu reprends Long Journey de Doc Watson…
Long Journey est une sorte de traditionnel américain que j’ai entendu jouer par plusieurs personnes, notamment le songwriter américain Sam Amidon. La première fois, c’était la version de Robert Plant de Led Zeppelin qui a fait un disque incroyable, “Raising Sand” avec Alison Kraus. Et cette version, je l’ai entendue sur la route en Californie. Si mes souvenirs sont bons, j’allais vers une partie du grand canyon, vers trois ou quatre heure du matin, le soleil commençait seulement à se lever. Cela m’a marqué. C’est un morceau qui me rappelle plein de souvenirs, qui marque aussi toute l’influence de la tradition américaine sur moi, jazz comme folk ou pop. C’est un retour aux sources.
Parmi tes références, tu cites maintenant Julian Lage…
Oui, c’est sûr. Voilà un guitariste qui fait partie de mes influences. Quand on écoute ses disques, on revient à cette tradition américaine très forte, cette manière d’avoir des morceaux très bruts, pas bourrés d’informations différentes. Je n’étais pas trop fan des premiers disques avec Gary Burton, comme “Next Generation”. J’aime vraiment bien son trio, il y a trois albums qui viennent de s’enchaîner comme “Love Hurts” ou “Modern Love”. C’est un guitariste qui n’est pas dans la démonstration, comme c’est souvent le cas actuellement. Dans l’histoire du jazz, il y a des périodes dans lesquelles la démonstration prime, comme dans le bebop ou le free. On ne savait plus chanter la mélodie mais on est revenu à une musique plus mélodique, de façon cyclique, avec le West Coast, le hard bop ou la bossa. C’est important de savoir chanter la mélodie. A côté de mes racines jazz, j’avais envie d’implanter des influences folk et pop.
La sortie de l’album s’accompagne d’une tournée…
Oui, au Senghor, le 5 juin, jour de mon anniversaire, ce sera une grosse fête. Le 6 au Salon Silly, le 7, au Reflektor à Liège et, le 5 juillet, on jouera au Gent Jazz Festival. On tournera ensuite de septembre à novembre.
Dernièrement, on t’a entendu avec le trompettiste américain Adam O’Farrill, invité au sein de Random House, en compagnie de Thomas Champagne…
Oui, c’est Thomas qui l’a rencontré et qui l’a invité. Moi, je ne le connaissais pas avant qu’il arrive. Cela a été une super rencontre musicale et humaine : Adam est un musicien incroyable et une personne très humaine. C’est un merveilleux trompettiste chez qui on retrouve toute la tradition, toute l’énergie new yorkaise. C’est pour cela que beaucoup de musiciens européens vont à New York, pour capter cette énergie. J’ai évolué beaucoup à jouer avec lui pendant dix jours.
Il jouait sans partition…
Oui, à l’américaine. Il est arrivé, a lu les partitions et, déjà au premier concert, il jouait presque tout par cœur, sans partition. C’est important. Maintenant, sur scène, avec Harvest, on joue sans partition, ce qui était impossible avec le Jazz Collective, avec ses arrangements très longs, avec une deuxième ou troisième voix. C’est impossible de retenir un tel répertoire, sauf pour Antoine qui est un génie…
Y aura-t-il un enregistrement avec Adam O’Farrill ?
On voulait enregistrer quatre titres pour un EP. On est entré en studio, on a commencé à jouer vers 11 heures du matin et on est sorti à 17 heures, avec une dizaine de morceaux. On a fait un disque pratiquement en one shot. Il y avait cette énergie. L’album doit sortir l’année prochaine, avec une nouvelle tournée à la clé en compagnie d’Adam. Par ailleurs, en septembre, j’ai la chance d’avoir une carte blanche, pour le Marni Jazz Festival, qui, cette année, est consacré à la guitare. Je suis très honoré d’avoir été invité. Je vais présenter un tout nouveau projet, Edges, avec Dorian Dumont aux claviers, un Français qui habite Bruxelles depuis quelque temps. J’ai invité le Danois Anders Christensen à la guitare basse : il a joué dans le groupe de Paul Motian, avec Joe Lovano et Aaron Parks. Et alors, j’ai la chance de pouvoir inviter Jim Black, un batteur incroyable. Il est Américain mais habite Berlin. On va répéter le jour avant et faire le concert dans la foulée. Je suis très excité par ce projet, un défi qui, j’espère, ne sera pas un one shot.
Concerts
5/6, Bruxelles, Senghor
6/6, Salon Silly
7/6, Liège, Reflektor
5/7, Gent Jazz Festival
27/9, Mechelen, Jazzolder
4/10, Jodoigne, Centre culturel
5/10, Amay, Centre culturel
8/11, Namur, Salle Gelbrissé
16/11, Liège, L’An Vert
17/11, Ittre, Heptone