Pat Thomas, Solo Piano
Pat Thomas Solo Piano : The Elephant Clock of Al Jazari
Label attaché au Café Oto, lieu névralgique des musiques improvisées, expérimentales et free jazz, situé à Dalston au Nord Est de Londres, Otoroku propose à la fois des rééditions de vinyles légendaires (“Topography Of The Lungs” et “The London Concert), tous très rapidement sold out. Il s’agit d’albums de musiciens s’étant produit au Café Oto comme Roscoe Mitchell avec John Edwards et Mark Sanders, une rencontre entre Joe McPhee/Evan Parker/Lol Coxhill/Chris Corsano ou la violoncelliste Okkyung Lee avec le guitariste Bill Orcut. Au-delà du statut de « document » ou d’article de démonstration (d’un talent qui n’a plus rien à prouver), c’est réellement l’existence d’un chef d’œuvre – manifeste du travail intensif – du pianiste Pat Thomas qu’affirment les plages granitiques de “The Elephant Clock of Al Jazari”, enregistrées au Café Oto (quand ?). Musique anguleuse, autant remarquablement structurée et conçue que le fruit de l’émotion créative dans l’instant (live), située au confluent du free-jazz, de la musique « contemporaine » et de l’improvisation libre et assumant autant son appartenance au continuum afro-américain que l’influence prépondérante d’improvisateurs « libres » de la scène européenne. Ayant grandi à Oxford et d’origine jamaïcaine, le jeune Pat Thomas fut marqué par les concerts de Tony Oxley, Derek Bailey, Lol Coxhill et joua (et enregistra) par la suite très souvent avec eux, autant au piano qu’avec l’électronique. J’avais déjà pu mesurer son talent de pianiste en solo avec Nur (Emanem) et Naqsh (inclus dans le coffret de 4 cédés “Making Rooms Weekertoft”). Toutes les qualités de ses précédents opus sont bonifiées, vivifiées dans l’engagement physique d’un concert magistral devant un public ami, complice, connaisseur (et pour cause !). Vouloir décrire son talent protéiforme serait un exercice un peu vain : on trouve dans sa musique l’extraordinaire énergie virevoltante et les articulations/pulsations démultipliées propres aux virtuoses « free » passés dans la légende : Cecil Taylor, Don Pullen, Alex von Schlippenbach, Fred Van Hove. Toutefois, sa démarche n’est pas monolithique comme celle de Cecil Taylor. On retrouve des couleurs et des décélérations – fausses hésitations qui évoquent Fred Van Hove, une puissance torrentielle (Alex von. Schlippenbach.) faisant résonner le choc des marteaux sur les cordes au sommet des capacités vibratoires de la caisse de résonance ou ce sens du détail du bout des doigts spécifique à la scène européenne. On trouve aussi une manière très personnelle d’animer la surface des cordages dans la table d’harmonie avec une superbe expressivité. Quelques soient les facettes de son œuvre, chacun des quatre élans gravés ici se situe dans une esthétique éminemment personnelle qui n’appartient qu’à lui. Un original qu’il faut absolument considérer à l’égal d’un Matthew Shipp. Suite à l’émergence et au développement de pianistes de premier plan tels Keith Tippett, Howard Riley et Veryan Weston, durant les décennies précédentes, sans oublier un original comme Steve Beresford, la scène britannique ouverte et ultra-collaborative a maturé en son sein une personnalité incontournable du piano, Pat Thomas. Il faut écouter ce musicien à tout prix, surtout si vous êtes intéressé par le piano.
Jean-Michel Van Schouwburg