William Melvin Kelley : Jazz à l’âme
William Melvin Kelley (1937 – 2017) était un écrivain noir new-yorkais qui a grandi dans le Bronx. Auteur à succès dès son premier roman « Un autre tambour » (disponible chez 10/18), il ne sera cependant pas un auteur prolifique puisque son œuvre se compose uniquement de 4 livres et d’un recueil de nouvelles. Kelley a été récemment remis dans l’actualité littéraire grâce à un article paru dans le New Yorker et titré « Le géant oublié de la littérature américaine ». Dans une interview parue en 1968, il avait déclaré : « Si les choses avaient tourné autrement, je serais devenu musicien ». Et on peut facilement le comprendre à la lecture de ce « Jazz à l’âme » initialement paru en 1965 mais qui vient d’être tout récemment réédité et augmenté d’une postface de 5 pages écrites, sous forme poétique, par son épouse Aiki. Ce livre est une fiction mais l’auteur puise son inspiration et fait débuter son histoire dans l’Amérique ségrégationniste des années 20 du siècle passé. Il fait vivre et évoluer ses protagonistes dans des lieux symboliques du berceau du jazz sans que les musiciens ne soient jamais nommés sous leur réelle identité. Les villes sont fictives, tout comme les noms des jazzmen côtoyés et les noms des big bands. Seuls New York et ses quartiers, surtout Harlem, sont bien identifiables. L’histoire est celle de Ludlow Washington. Né aveugle, dans le sud des Etats-Unis, il est abandonné par ses parents dans une institution dès l’âge de cinq ans. Malgré les brimades subies, il va y développer d’incroyables talents de musicien qui lui permettront de sortir à seize ans (au lieu de dix-huit) de l’institut et d’intégrer un groupe de jazz. A cette époque ce sont essentiellement le swing et le dixieland qui régissent cette scène, mais assez rapidement, Ludlow s’intègre et développe son propre style grâce à sa façon de jouer, en improvisant. Il va créer un style plus libre, moins convenu et ainsi tendre vers la genèse du jazz moderne. Il se fait connaître des grands noms, rejoint le groupe d’une chanteuse connue, forme son propre band et puis déconne. Cela le fera sombrer… Et comme tout musicien imprégné par son art, il faudra aussi qu’il tente de s’adapter à une vie familiale. Chose, vous le lirez, peu évidente. On ne fait pas partie intégrante du monde de la nuit, des clubs avec toutes ses tentations sans y perdre des plumes ! Ménager musique et foyer est difficile, le choix est crucial et peut se révéler désastreux… Il est évident que l’auteur est féru de jazz, qu’il a été assidu à ces concerts donnés dans des petits clubs. Pour les décrire aussi bien avec leurs ambiances singulières et aussi bien dépeindre la diversité du public qui les fréquentait, cela ne fait aucun doute. Pour décrire aussi les effets de cette ségrégation, ce racisme latent quand il va jouer dans les appartements de riches « blancs », il faut l’avoir vécu. Ce récit est d’une belle fluidité, le style est direct, en quelques lignes les années défilent et l’essentiel est vite installé. Il se résumera en quelques mots : jazz, amour, gloire, amitiés, désespoirs et regrets. Avec cette question : faut-il tout sacrifier pour sa musique ? Sachant qu’on n’a pas toutes les bonnes cartes en main dès le début… Ce livre est donc une fiction… Où se situe la « réalité » ? Kelley n’est plus là pour nous le dire, alors intégrons le mentalement lors de la lecture de ce livre remarquable.
William Melvin Kelley
Jazz à l’âme
Éditions Delcourt
247 pages
Claudy Jalet