Confinés mais combatifs : Manu Hermia
Plus que jamais, JazzMania soutient les artistes et les programmeurs en manque de vous… tout simplement. Au-delà des pertes financières et des doutes pour la suite d’une carrière déjà kamikaze à la base, il y a le désarroi… Plus ils se sentiront inutiles et plus la rédaction de JazzMania leur rappellera le rôle essentiel qu’ils occupent en nos esprits… Âmes sensibles s’abstenir…
Membre d’un trio décapant, avec les Français Sylvain Darrifourcq et Valentin Ceccaldi, de l’Orchestra Nazionale dellla Luna et du trio qui a enregistré « The Love Songs », Manu Hermia évoque un nouveau projet…
Manu Hermia : « D’un côté, il y a une sorte de découragement. Pour ma part, je sortais 4 albums importants pour moi cette année. « The Love Songs » (avec Sam Gerstmans et Pascal Mohy) est sorti en février, un mois avant le premier confinement, et donc, one ne l’a pratiquement pas joué sur scène. Puis le disque de l’Orchestra Nazionale della Luna est sorti en avril, … toutes les dates de la tournée belgo-finlandaise ont été annulées, reportées à l’automne, et à nouveau annulées… Le second CD du trio Darrifourcq Hermia Ceccaldi devait aussi sortir en mai dernier et a été reporté à septembre. On a pu donner 5 concerts avant la seconde vague de confinement, mais les deux tiers des dates ont quand même été annulées cet automne également. Enfin, j’ai écrit un album de « Suites pour violoncelles » pour Sigrid Vandenbogaerde, qui sort ces jours-ci. Son concert à Ars Musica sera diffusé en streaming le 26 novembre. Le Cd sort en magasin comme prévu, mais les magasins sont fermés… Donc, au niveau pratique et d’un point de vue professionnel, j’ai senti un gros découragement à l’annonce de la seconde vague de confinement et d’annulations, car la somme de travail pour écrire la musique, produire les cd’s et trouver les concerts pour ces quatre projets est énorme, et j’ai eu une impression d’absurdité.
D’un autre côté, dans cette vie active moderne où tout va trop vite, et où je manque souvent de temps pour moi-même, pour lire, pour penser, pour composer, pour faire du yoga, du sport, pour pratiquer mes instruments sans objectif particulier autre que le plaisir de progresser, et bien, ces pauses de confinement apportent des journées d’agenda à la page vide, où je retrouve le temps de faire tout cela.
Ces modes de vie existent en moi, depuis toujours. Des phases de boulot très actives, et des phases de création, plus intériorisées. Mais ici, le confinement choisit pour nous, les phases sont longues, et puis il y a cet étrange vide social. Le monde du jazz est hyper social. On crée ensemble, on voyage ensemble en tournée, on rencontre les spectateurs dans les clubs de jazz, on échange énormément, et on croise des centaines de personnes sur un mois. Là… tout s’arrête. Plus de jams, plus de concerts. Au mieux, quelques répétitions et un concert en streaming… c’est notre lot à chacun. Disons que même si je suis capable de profiter de ces moments de solitude pour écrire et pratiquer, je réalise à quel point cette vie sociale est riche, et me manque. Je réalise également que jouer de la musique n’est pas juste un métier, c’est un besoin profond. Quand je ne peux pas vivre l’intensité d’un concert pendant plusieurs mois, le degré de manque n’est pas très différent de celui que je pourrais éprouver avec une absence de vie sexuelle. C’est un manque profond, essentiel à mon équilibre émotionnel. Ce qui me fait réaliser que, au-delà de notre métier de musicien, nous sommes des êtres de musique, c’est un véritable état psycho-émotionnel, que de vivre dans cette échange musical. »
Pour soutenir Manu Hermia, achetez ses disques.
Orchestra Nazionale della Luna
There’s Still Life On Earth
BMC Records
Darrifourcq, Hermia & Ceccaldi
Kaiju Eats Cheeseburgers
Full Rhizome-Hector / Outhere
Propos recueillis par Claude Loxhay / Photo © Robert Hansenne