Clara Haberkamp : touches allemandes en noir & blanc (4/6)
Femme, Femme, Femme… Fais-nous voir le ciel… C’est bien volontiers que JazzMania se soumet cette année à une couverture commune de « la journée de la femme », une action dispersée sur la toile entre quelques magazines de jazz européens. Mieux, nous leur consacrerons entièrement la semaine #10, celle du 8 mars… A chaque jour son interview (six musiciennes en tout seront présentées), il y aura des chroniques, des portfolios, … Aujourd’hui, nous partons à la découverte d’une jeune pianiste allemande… présentée par London Jazz News. La traduction du texte en français est assurée par Anne Yven (merci à Citizen Jazz).
Clara Haberkamp © Heide Benser
Clara Haberkamp : « J’ai fait beaucoup de choses différentes, musicalement, mais avec « Accumulation », le nouvel album de mon trio (sorti sur le label Malletmuse Records – NDLR), j’ai souhaité rester proche du style qui est profondément le mien ».
Clara Haberkamp, aujourd’hui âgée de 31 ans, se rappelle bien du premier concert de jazz qu’elle ait joué. Elle n’avait que onze ans et c’était au jazzclub Domicil à Dortmund, ville la plus proche de sa ville natale d’Unna. Elle faisait alors partie des lauréats régionaux du concours de jeunes talents « Jugend Jazzt ». Les années suivantes ont apporté nombre de prix, distinctions et de fantastiques opportunités. Elle-même est la première à le reconnaître. Rien d’étonnant d’une certaine manière, car la région de Rhénanie / Nord-Westphalie est connue depuis des décennies pour apporter un soutien précieux sur le long terme à ses jeunes musiciens. Mais même dans ce contexte, il est difficile de ne pas noter la forte impression que laisse Clara Haberkamp, distinguée dès son plus jeune âge comme un talent très spécial. Elle joue en effet au plus haut niveau depuis un certain temps déjà… Au sein de l’orchestre régional « jeune » NRW, elle a pris part à des tournées en Asie du Sud-Est, en Israël, en Estonie et à Malte. Son mandat de pianiste du jeune Orchestre National de Jazz Allemand a abouti à un moment particulièrement important : le concert du 25e anniversaire de l’Orchestre célébré avec le chanteur Kurt Elling (voir supra).
Clara Haberkamp © Heide Benser
«L’égalité homme-femme a fait partie de mon éducation. Cela n’a jamais été un problème d’être une fille.»
Clara Haberkamp est issue d’une famille de musiciens. Ses parents sont tous les deux saxophonistes. Sa mère, llona Haberkamp est également la biographe d’une des grandes icônes féminines de l’histoire du jazz allemand, la pianiste Jutta Hipp. Clara a très tôt été encouragée à développer un large intérêt pour la musique. Être femme et musicienne n’a jamais été une source de questionnement. Elle leur en est reconnaissante : « L’égalité homme-femme a fait partie de mon éducation. Cela n’a jamais été un problème d’être une fille. Seule la qualité du travail comptait, sans posture, ni suppositions ou pré-jugés ».
Depuis 2010, elle dirige son propre trio avec le batteur Tilo Weber (qui travaille avec elle depuis ses débuts) et le bassiste Oliver Potratz, qui les a rejoints il n’y a que quatre ans. Tous trois ont joué ensemble pour la première fois au club A-Trane à Berlin, invités pour célébrer l’anniversaire d’Herbie Hancock. Le trio ne cesse, depuis, de susciter l’enthousiasme. Il a notamment remporté le « Newcomer » Award au Festival Jazz Baltica 2011 (IB.SH-Förderpreis). Par ailleurs, il a accueilli quelques invités de marque : le bassiste américain Greg Cohen (en 2013) et le trompettiste hollandais Ack Van Rooyen (en 2014), lors des festivals « Jazz Go Föhr » qui ont lieu dans l’archipel des îles de la Frise, au sud du Danemark. Alors qu’elle était encore étudiante en maîtrise à Hambourg, Clara Haberkamp a également été chargée de composer pour le Norddeutscher Rundfunk Big Band.
Clara Haberkamp © Heide Benser
L’une des autres facettes de cette musicienne est qu’elle est aussi à l’aise avec l’héritage de Keith Jarrett, E.S.T et Craig Taborn qu’avec celui de compositeurs classiques comme Alexandre Scriabine et Ravel. Cette double sensibilité ne s’exprime jamais aussi bien dans son jeu que dans le contexte du trio. Bien sûr, enseignants et mentors ont fortement influencé son parcours, notamment le vibraphoniste d’origine américaine David Friedman. Il fut son professeur au Jazz Institut de Berlin et, depuis le début de ses études, il continue de lui apporter un fervent soutien.
«Avant, je jouais des couleurs et des humeurs de manière quasi impressionniste. On me qualifiait de «joueuse d’humeur».»
Clara est également professeure non pas dans une, mais bien deux facultés d’enseignement supérieur de Berlin. Elle poursuit également un doctorat soutenu par un financement de la « Claussen Simon Stiftung » à Hamburg, qui se penche sur des aspects plus pratiques que théoriques et vise à aider les professeurs à intégrer l’improvisation dans l’enseignement en général et dans le chant en particulier. Ce travail est une motivation supplémentaire pour la jeune pianiste : « J’aime faire se rencontrer les côtés pratiques et artistiques dans un contexte réel », explique-t-elle.
Elle ressent également que des changements récents se sont opérés dans son jeu : « Avant, je jouais des couleurs et des humeurs de manière quasi impressionniste. On me qualifiait de «joueuse d’humeurs ». Même s’il n’est pas question aujourd’hui de perdre cette sensibilité, elle se concentre davantage sur son rôle de leader. Autre changement, après avoir été chanteuse, parolière et pianiste, le nouvel album est purement instrumental, bien qu’elle y joue à la fois du piano et du Fender Rhodes, parfois simultanément, développant des fils contrapuntiques d’une complexité fascinante.
«La journée des Droits de la femme est importante car elle nous rappelle ce que nos aînées ont déjà accompli.»
Ses propos intelligents sur son expérience de femme dans le jazz trouvent naturellement leur place à l’occasion de cette Journée internationale des droits des femmes. Ce qui en ressort, c’est son optimisme et son énergie.
Clara Haberkamp © Heide Benser
C.H. : « Mon opinion sur le sujet des femmes dans le jazz est qu’il est important en tant que femme d’être très claire sur ce que vous souhaitez faire et ce qui est musicalement à votre portée. Cette assurance en sa propre qualité, ses propres forces, facilite le travail avec nos collègues masculins. Cette journée est importante car elle nous rappelle ce que nos aînées ont déjà accompli. Ce sur quoi nous pouvons désormais bâtir ce que nous avons à bâtir. »
Concert of Bundesjazzorchesters (avec Kurt Elling)
Sebastian Scotney pour London Jazz News / Traduction en français : Anne Yven