Le Mithra Festival Jazz à Liège ‐ édition n°30 ‐ parcours n°1 (un focus Belgique)
Le week-end dernier, retour du Mithra Jazz à Liège, au grand plaisir du public et des musiciens, après les reports dus à la pandémie. Comme à chaque fois, une affiche destinée au public le plus large. Bien sûr, des Américains de premier plan (Bill Frisell, Steve Coleman), des Européens (Erik Truffaz, Matthew Halsall), des vedettes grand public (Thomas Dutronc, chanteur mais aussi guitariste), la nouvelle scène flamande (Stuff.), des projets originaux (« Opus 111 autour de Beethoven » d’Aka Moon, en compagnie de Fabian Fiorini) mais aussi, à la Cité Miroir, un formidable focus sur de grands noms du jazz belge.
En ouverture, Jean-Paul Estiévenart venait présenter le répertoire de son dernier album, « Strange Bird ». Jusqu’à présent, le trompettiste avait opté pour la formule du trio (« Wanted », « Behind the Darkness »). Ici, il présentait un quintet avec deux instruments harmoniques : le piano de Nicola Andrioli et la guitare du Français Romain Pilon… Un musicien à la belle carte de visite : 4 ans à Berklee, rencontre avec Pat Metheny qui lui propose de faire, à plusieurs reprises, sa première partie, un an à New York puis retour à Paris où il forme un quartet avec le saxophoniste David Prez, mais enregistre aussi « Copper » avec Seamus Blake. Pour la rythmique, Jean-Paul a opté pour la basse solide, à la sonorité ronde de Nic Thys, et à la batterie, son vieux complice Antoine Pierre, au drive vigoureux. Pour débuter, la composition « Barcelona » (le répertoire a été composé dans la capitale catalane), et son tempo enflammé avec une trompette vrombissante. Une musique généreuse qui laisse à chacun son espace de solo ad libitum, avec de belles envolées de piano (non, Nicola n’a pas seulement un tempérament lyrique, il peut s’enflammer) et de guitare (belle sonorité de Pilon qui s’inscrit parfaitement dans la grande tradition). Suivront « Passion » au titre évocateur et « Henri », avec une structure en labyrinthe. Un peu plus de douceur avec « Bert’s Sketch » dédié à Bert Joris. Un set qui montre bien l’évolution de Jean-Paul Estiévenart qui, à ses débuts, paraissait timide mais qui maintenant s’extériorise pleinement. Il exprime d’ailleurs toute sa joie de retrouver le public : « J’ai fait du streaming, comme on dit dans la langue de Shakespeare, mais jouer devant une salle vide, ce n’est pas jouer. Un concert est fondé sur l’interaction entre les musiciens et le public ». Une interaction bien présente ce soir là !
A 22 heures, face à une salle comble, Eric Legnini vient présenter son trio acoustique : plus d’inspiration soul au groove marqué de la période « The Vox », mais un retour à la grande tradition. Eric parlera de son admiration pour le trio d’Oscar Peterson. A la guitare, Rocky Gresset qui a gardé de sa passion pour le jazz manouche une grande vélocité de jeu et un grand talent de mélodiste. A la contrebasse, Thomas Bramerie, au CV impressionnant et à la technique stupéfiante de par son lyrisme. Eric vient présenter le répertoire original de l’album « Six Strings Under », de longues envolées de piano, avec un sens aigu du rythme et du doigté, avec de splendides passages piano-guitare joués à l’unisson. Un voyage coloré qui évoquera notamment un passage au sein des favelas, en compagnie de la chanteuse Marcia Maria, avec un refrain repris par le public. Et, pour conclure, en rappel, un petit standard revisité, « Stopping at the Savoy » au rythme vitaminé.
Pour clore le festival, Urbex Electric d’Antoine Pierre, ce nouveau projet inspiré par « Bitches Brew » et cette plongée de Miles dans la période électrique. Un hommage, mais pas un clonage. Antoine Pierre s’est inspiré de ces atmosphères électrisantes mais pour proposer sa propre musique. Un projet présenté à Flagey et enregistré live (album « Suspended », chez Outhere). Par rapport à la formation de Flagey qui comptait neuf musiciens, Antoine a opté ici pour un sextet. A la trompette, avec des sonorités survitaminées, son complice, Jean-Paul Estiévenart. Une belle opposition entre le piano acoustique de Bram De Looze et la guitare électrique très rock, aux sonorités volontiers saturées du Néerlandais Reinier Baas (préféré donc au fidèle Bert Cools). A la basse électrique, Félix Zurstrassen sur qui repose souvent le tempo de départ des thèmes. A la batterie, l’omniprésent Antoine Pierre qui s’octroiera un magnifique solo de plusieurs minutes comme sur l’album (« Drums Take Over »). Et enfin, les percussions colorées, inventives et spectaculaires de Fred Malempré, entouré de ses cymbales, tambours aux formes multiples, cowbells, triangle et clochettes. Une musique comme en suspension, aux atmosphères parfois planantes, puis qui s’enflamme subitement, comme sur « Steam » ou « Obsession », deux titres révélateurs. Plus tard, « Feather » et, plus saccadé, « You Nod but You Ain’t ». Et, sur le train d’enfer de « Drums Take Over », finale enflammée avec « Sound Barrier ». Longue acclamation du public.
Ce samedi 16 octobre, ne manquez pas les portfolios de nos photographes Diane Cammaert et Robert Hansenne.