Black Flower : faire et refaire
Nathan Daems nous avait donné rendez-vous dans un vieux café bruxellois, à quelques pas de l’Ancienne Belgique où son groupe Black Flower nous offrira un concert énergique quelques heures plus tard. Plongée dans le « Magma », le titre approprié du nouvel album.
Nous nous étions rencontrés lors de la sortie de « Breakout », l’album du groupe Echoes of Zoo que tu pilotes également (entretien JazzMania). A l’époque, tu me disais que tu composais différemment selon que le morceau était destiné à l’un ou à l’autre groupe. Est-ce que c’est à nouveau le cas pour « Magma » ?
Nathan Daems : Oui, parfois je me pose la question : est-ce que ce morceau convient mieux à l’un ou à l’autre groupe ? Je peux même changer d’avis en cours de route.
Quand tu arrives dans le local de répétition, ton choix est fait… Question d’instrumentation ?
N.D. : Oui, mais la question fondamentale est plutôt « où est-ce que je souhaite aller avec cette musique » ? Si cela penche vers des atmosphères orientales ou africaines, ce sera probablement pour Echoes of Zoo.
Tu me disais d’ailleurs que le batteur, Falk Schrauwen, occupait une place importante pour le son du groupe…
N.D. : Tout à fait. A la base, Falk est un percussionniste. Echoes of Zoo est d’ailleurs le seul groupe pour lequel il joue de la batterie.
Comment s’est déroulé l’enregistrement de « Magma » ?
N.D. : Le processus d’enregistrement a été complètement différent cette fois… D’habitude, nous disposons de cinq jours de studio, mais pour « Magma », nous avons eu droit à une deuxième session quelques mois plus tard. En cinq jours, tu enregistres environ dix titres, tu en abandonnes deux… Mais grâce à cette deuxième session, nous avons travaillé plus librement. Après quelques mois, certains détails peuvent apparaître, il y a des petits défauts à corriger, des subtilités… Nous avons rejoué ces titres sans stress, en prenant même quelques risques pour arriver au résultat escompté. C’est assez étrange en fait : lors des répétitions, tu te trouves dans une phase de recherche. C’est en studio que le morceau prend forme…
«Même en étant les musiciens ou les compositeurs, nous avions l’impression que la musique nous échappait… On en devenait les véhicules, à son service.»
C’est propre au jazz, non ? Tu enregistres plusieurs prises et tu gardes la meilleure…
N.D. : Peut-être, mais ici, c’était la première fois que nous jouions ces nouvelles compositions. Nous avons laisser les bandes de la première session de côté durant quelques mois, sans rien écouter. Histoire de prendre un peu de recul, d’analyser ces bandes de façon plus objective.
Je trouve personnellement que le son de « Magma » est plus sophistiqué que celui des autres albums de Black Flower…
N.D. : Sans doute les conséquences d’avoir pu obtenir cette seconde session. Je pense aussi que le son de « Magma » est plus riche… Nous avons travaillé également sur les structures des morceaux afin d’éviter l’effet « téléphoné ». Cet album est plus mature, c’est certain.
Ce travail sur le son semble être de plus en plus précis, au fur et à mesure que le groupe avance…
N.D. : Ce qui est étrange avec ce disque, c’est que même en étant musicien ou en étant compositeur, nous avions l’impression que la musique nous échappait un peu. Nous en devenions les véhicules, à son service. Nous devions la sentir davantage, nous plier à ses choix. C’était peut-être une illusion, mais c’était aussi une expérience intéressante.
«L’éthio-jazz est l’étiquette que l’on colle à notre musique, mais je pense qu’elle se nourrit de beaucoup d’autres choses.»
En quoi les sons et les rythmes de l’Afrique de l’Ouest (l’Éthiopie en particulier) vous fascinent-ils ?
N.D. : En fait, depuis quelques temps, j’en écoute un peu moins… Il y a tellement de belles choses à écouter dans le monde ! Mais il est vrai que l’éthio-jazz était l’influence des débuts, notre point de départ. J’adore la collection « Ethiopiques » (une série d’une trentaine de disques qui couvrent essentiellement les années 60 et 70 – NDLR) mais il faut admettre que notre musique s’en éloigne quelque peu, même si nous nous inspirons des gammes et des sonorités. En fait, aucun de nous n’est allé en Ethiopie, même si nous avons essayé. L’éthio-jazz est l’étiquette que l’on colle à notre musique, mais je pense qu’elle se nourrit aussi de beaucoup d’autres choses. Le monde est devenu un grand village, internet permet de découvrir plein de choses. C’est une richesse énorme !
Les cuivres sont très importants dans l’éthio-jazz… Tu pourrais en rajouter plus dans la musique de Black Flower ?
N.D. : Oui bien sûr, j’aimerais ajouter des cuivres… Il y a tellement de possibilités ! Cette fois, on a enregistré une voix pour un titre…
Meskerem Mees !
N.D. : Son album est formidable ! C’est une fille très naturelle. On a répété hier avec elle, elle reste tranquille ça ne la perturbe pas de chanter avec cinq gars plus âgés et qui ont de l’expérience.
Quelles sont les circonstances de votre rencontre ?
N.D. : Quand on nous a proposé cette collaboration, je n’en avais encore jamais entendu parler… J’ai visionné des vidéos sur You Tube pour me faire une raison. Des « live » car c’est dans ces circonstances-là que tu peux mieux juger. C’est assez inexplicable : sa musique n’est pas complexe, elle ne chante pas de façon impressionnante comme une chanteuse soul par exemple. Non, ce qui m’impressionne chez elle, c’est sa pureté, son naturel. Meskerem est authentique ! On cherchait une voix et j’étais certain que ça marcherait avec elle.
Je trouve qu’elle s’est parfaitement intégrée à votre univers.
N.D. : Oui, sur cette chanson « Morning in the Jungle », elle fait autre chose que du Meskerem Mees. On la sent très libre.
Vous avez changé de claviériste. Tu peux nous présenter Karel Cuelenaere ?
N.D. : C’est un garçon très intelligent, un ingénieur, et ça se ressent dans sa façon de jouer, très mathématique et en même temps très intuitif. Karel a un grand sens de l’harmonie, il ne se répète jamais, il a toujours la bonne idée quand il le faut. L’ancien claviériste (Wouter Haest – NDLR) n’a pas quitté le groupe pour des divergences musicales… Il est parti en voyage, depuis quelques années à présent. Mais c’est normal qu’il y ait du changement dans un groupe. Il faut imaginer une conversation à cinq et au bout d’un moment, l’un des cinq part et est remplacé par quelqu’un qui apporte de nouveaux sujets de conversation. Ça apporte un vent frais dans le groupe et ça nous permet de ne pas nous répéter.
«Internet, Spotify ou les sites de téléchargement, c’est bien pour la découverte, mais ça ne remplacera jamais l’expérience d’une prestation live.»
Black Flower est un groupe festif : ça a dû être particulièrement dur pour vous, toutes ces annulations de concerts…
N.D. : Oui, c’est bizarre… Au début, ça allait encore. Il y a d’autres façon d’être créatif quand tu fais de la musique. Mais très vite, on a ressenti une sensation de manque. C’est dans ces moments-là que tu te rencontres que toutes ces répétitions, ces choix de compositions, ces heures d’apprentissage en faisant des exercices, … tout ça n’a qu’un seul objectif : faire des concerts, présenter ton travail à un public. La musique « live » est plus humaine, elle a toujours existé, depuis l’aube de l’Humanité. Des archéologues ont trouvé des instruments, comme des flûtes, qui datent de la Préhistoire… En fait, on a commencé à enregistrer la musique et à faire des disques il y a un siècle à peine. C’est rien à l’échelle de l’Humanité. Aujourd’hui, avec le matériel d’amplification, la musique « live » dégage une énergie extraordinaire que tu ne retrouves pas en écoutant un disque. Internet, Spotify, le téléchargement, c’est bien pour la découverte, mais ça ne remplacera jamais les sensations que l’on éprouve en assistant à un concert.
J’ai regardé votre agenda… Comme la plupart des groupes de jazz flamands, vous jouez très peu en Wallonie… Aucune date n’est prévue pour le moment.
N.D. : Je pense comme toi, je ne comprends pas… On joue tous les deux ans à Liège ou à Charleroi, guère plus.
Pourtant, il y a des salles, des clubs, des Centres culturels…
N.D. : Il doit y avoir plusieurs raisons, la principale étant la séparation entre les Communautés. Est-ce aussi une question de budget ? Du rôle d’information que les radios ne jouent pas ? Si un groupe peu connu en Wallonie, les organisateurs hésiteront peut-être à prendre le risque de l’inviter.
La nouvelle scène flamande est intéressante et importante. Avez-vous pris conscience que vous étiez un groupe influent pour elle ?
N.D. : Je n’en suis pas sûr en fait… Je suis mal placé pour te répondre, c’est à ces musiciens-là qu’il faudrait poser la question. Je n’ai aucune idée sur le fait d’avoir influencé ou non de nouveaux musiciens. Je ne voudrais certainement pas que l’on pense que je manque de modestie à ce niveau-là…
«On n’a jamais voulu créer un mouvement, on jouait juste pour le plaisir, parce que c’est notre passion.»
Comment est né ce nouveau jazz flamand ?
C’est étrange : avec les gars de Stuff., De Beren Gieren et d’autres, on fréquentait tous le Conservatoire de Gand à la même époque. Il y avait une énergie spéciale. D’autres se sont tournés vers la musique pop, comme Balthazar par exemple. On voulait faire du jazz, mais aussi plein d’autres choses, fusionner les genres. Par contre, on n’a jamais voulu ou pensé créer un mouvement. On jouait juste pour s’amuser. La musique est notre passion.
Grâce à l’ouverture d’esprit de vos professeurs j’imagine…
N.D. : Oui, certainement ! Avec un recul de dix ans, on peut en effet dire aujourd’hui qu’il s’agissait d’un mouvement. En vérité, je pense qu’on a été encouragés par ce qui se passait en Angleterre un peu plus tôt. Il y avait là-bas des groupes qui obtenaient du succès avec une musique très libre et inspirée. Ça donnait de l’espoir… On pouvait jouer la musique que l’on souhaitait et il y avait quand même un public pour l’apprécier… C’est motivant car le jazz n’est en principe pas la musique la plus populaire…
Vous aimeriez jouer en Angleterre ?
N.D. : C’est très difficile ! On obtient de bonne critiques dans les magazines, mais les organisateurs ne suivent pas… Nous sommes invités à enregistrer une session pour la BBC, mais malheureusement il n’y a pas d’autres dates autour pour amortir les frais…
Est-ce que ce succès que vous rencontrez engendre un stress ?
N.D. : Non, pas du tout. Il faut faire de la musique pour se donner du plaisir et pas commettre l’erreur de faire de la musique pour jouer ce que les gens ont envie d’entendre. Je fais de la musique pour m’amuser, et j’ai de la chance que des gens aiment ça… La qualité d’une musique ne se mesure pas au nombre de disques vendus ou de places de concerts occupées…
Une collaboration Jazz’halo / JazzMania
En concert : Eeklo (01/04), Ostende (02/04), Dixmude (15/04) et Beveren (15/06).
Black Flower
Magma
Sdban