Keith Jarrett : Bordeaux Concert
Pile cinquante ans que sortait le premier album solo du pianiste, aussi son premier album sur le label ECM : « Facing You ». Considéré par beaucoup comme un de ses meilleurs solos, ce qui n’est pas peu dire vu la pléthore d’enregistrements sortis depuis, tous aussi saisissants, lyriques, inventifs, bref brillants les uns que les autres. Ce concert à Bordeaux fait partie de ses dernières apparitions en public. Pour ma part, mon dernier parmi les dizaines de concerts en trio ou solo auxquels j’aie assisté, m’a laissé un souvenir amer plutôt qu’impérissable, non par la qualité du concert mais par son déroulement : remarques sèches dès l’entrée en scène sur les gens qui voudraient faire des photos, interruption lors de l’intro parce qu’une personne toussote et commentaire désagréable, leçon donnée au public sur l’importance de son art…. Le plaisir de l’écoute était passé. Et plus d’un spectateur, pianistes présents inclus, ont dit ce soir-là qu’on ne les y reprendrait plus à ce Keith Jarrett-là. C’était le 13 novembre 2015, le soir de l’horreur au Bataclan.
Aujourd’hui, je dois avouer qu’écouter ce « Bordeaux Concert » m’a fait un bien fou, comme si je me réconciliais avec quelqu’un que j’aime et que je croyais avoir perdu. Car tout Jarrett se trouve dans ces treize improvisations à l’Opéra National de Bordeaux : le lyrisme, le blues, le folk, le classique, le contemporain, la country, le boogie, les silences, les fulgurances. C’est d’une beauté limpide, d’un toucher divin qui fait qu’un piano joué par Jarrett ne ressemble pas au même joué par un autre. Et si dans le compte-rendu du concert extrait du journal Le Monde on croit judicieux d’évoquer Nietzsche et Bataille pour parler de la musique de Jarrett ce soir-là, je n’ai eu besoin que de mes tripes et de mon cœur pour en apprécier chaque note.