Géraud Portal, un Berruyer devenu «zinneke»
« 50% du temps je suis à Bruxelles, le reste sur la route ou en France. Demain je décolle pour la Corée du Sud avec Jacky Terrasson. »
Le contrebassiste français vient de sortir un magnifique, dynamique, pétillant et joyeux album enregistré à Bruxelles. Découverte d’un musicien sympathique et… amoureux de Bruxelles.
«Pour un contrebassiste d’aujourd’hui, Mingus est quelqu’un qu’on se doit de checker.»
Rien qu’aux pochettes on peut deviner vos sources d’inspiration : Mingus pour l’album précédent, et pour le premier disque, la photo de couverture fait immanquablement penser à la photo de Art Kane de 1958 qui rassemble des dizaines de musiciens de jazz. Un clin d’œil ?
Géraud Portal : Ça doit être inconscient. Je connaissais bien sûr cette photo qui réunissait une série de musiciens à New York, mais celle de l’album a été faite sur les seuils de la maison où j’habitais avec d’autres musiciens, une maison un peu spéciale parce que c’est la maison du papa de Spike Lee, Bill Lee. Au début, je pensais l’utiliser pour le livret, mais je l’ai trouvée tellement chouette qu’on l’a prise pour la couverture. C’est à Brooklyn, mais il y a un peu les mêmes maisons à Harlem et ça peut faire penser à celle de Art Kane.
Puis vient un hommage à Mingus. Qu’est-ce qui vous attire chez lui : le contrebassiste, le compositeur, l’esprit workshop qui domine dans ses concerts ?
G.P. : C’est tout cela à la fois. C’est un musicien hors catégorie comme Monk ou Coltrane, des avant-gardistes. Il y a un côté encyclopédiste que j’aime chez Mingus : il a en lui le côté negro spirituals, l’église, il a le blues, le swing avec une grande influence de Duke Ellington. Il y a le bebop avec la musique de Bud Powell et de Parker qu’il a en lui également, et aussi le côté musique classique européenne, car il voulait être violoncelliste classique au départ. C’est spécial d’avoir tout ce panel d’influences, et le tout fait Mingus, en y ajoutant une personnalité exceptionnelle. Pour un contrebassiste d’aujourd’hui c’est quelqu’un qu’on se doit de checker ; ses compositions sont un monde à part entière. Ma période préférée c’est le sextet avec Jacky Byard, en live, c’est l’aventure.
«Je n’ai pas de terme pour définir ma musique. Nous sommes de grandes éponges, on balance des choses qu’on a digérées.»
Pour le nouvel album, vous formez un line-up franco-belge…
G.P. : (il m’interrompt) Belgo-franco-américain car Jacky a passé la moitié de sa vie aux Etats-Unis, sa maman est américaine. Quant à Plume il est né aux USA et a vécu de nombreuses années là-bas entre Boston et New York. Il y a une forte connexion avec les Etats-Unis.
Parlez-nous de Plume, un musicien peu connu chez nous.
G.P. : Il a vécu aux USA et a suivi ses parents sur la Côte d’Azur, près de Nice. Il est reparti à Boston au Berklee College comme guitariste et il en est sorti saxophoniste. Il a passé dix ans à New York où je l’ai rencontré.
Puis deux musiciens belges d’exception dans la jeune génération.
G.P. : Complètement ! J’ai rencontré Jean-Paul à Paris, un gars avec un béret et une trompette à la main. Et le saxophoniste avec qui je jouais lui a proposé de faire le bœuf avec nous à la fin du concert. Puis on s’est perdus de vue. Et quelques années plus tard, à une époque où j’étais très actif au Duc des Lombards, Sébastien Vidal m’avait demandé de composer un « Duc’s All Stars » avec entre autres Eric Legnini qui m’a dit que je devais appeler deux potes à lui, Jean-Paul et Antoine. Je les ai contactés pour quelques dates avec Eric et c’est ainsi que je les ai rencontrés… et je me suis vraiment régalé. Plus tard, j’ai rencontré une Bruxelloise. Du coup, je les ai revus plus souvent. Et j’ai eu envie de monter le groupe avec eux.
Et puis Jacky Terrasson…
G.P. : Je suis dans son trio depuis trois ou quatre ans.
« Mirror » nous met directement dans le bain, on se sent dans une ambiance Adderley Brothers : ce sont des musiciens qui vous tournent dans les oreilles ?
G.P. : Complètement. J’ai découvert le jazz en tombant dingue de free, puis j’ai découvert le reste par la suite. Mais tout est indissociable dans le jazz, c’est un arbre. J’aime Coltrane du début à la fin. « Mirror » est une composition de Jacky.
Il y a pas mal d’autres influences dans le disque.
G.P. : Ce qui n’est jamais évident, c’est de trouver une unité. La musique que j’ai écrite, je n’ai pas de terme pour la définir. On est de grandes éponges, on balance des choses qu’on a digérées.
«J’ai appelé mon album « Zinneke » car j’ai envie d’en être.»
Il y a beaucoup de joie dans votre musique. Le magazine « Jazz Magazine » vous donne un « Choc » et qualifie votre musique de « généreuse ». C’est un mot que j’ai aussi en tête en vous écoutant, et qui colle aussi à Jean-Paul ou Antoine.
G.P. : Ça c’est très chouette. Quand on appelle des musiciens comme ça pour former un orchestre, ça donne une dynamique. Quand le label Outnote m’a demandé de parler d’Antoine et Jean-Paul, j’ai parlé de « nonchalance positive », c’est vraiment ça. Je suis tombé amoureux de la Belgique et des Belges parce qu’il y a quelque chose de simple et généreux, de second degré. J’ai été très heureux que ça arrive dans ma vie ce monde-là parce que Paris me faisait souffrir, moi qui ai grandi à la campagne. Et Bruxelles me fait penser à une petite ville de province, mais en plus grand. Et c’est une capitale où il y a beaucoup de choses à faire, les gens sont intéressés par la culture. Cette joie s’est traduite dans l’album, c’est pour ça que je l’ai appelé « zinneke » parce que j’ai envie d’en être, de ressembler à ça.
Le dernier morceau, très belge aussi, est une reprise de Brel que je ne trouve pas trop dans l’esthétique de l’album.
G.P. : Ça a un rapport avec une histoire personnelle. Mon père adore Brel et lorsqu’on faisait de longs voyages en voiture, on écoutait du Brel. Je connaissais par cœur toutes les chansons que mes parents écoutaient. Je chantais Brel quand j’avais six ou sept ans à tue-tête sans comprendre les paroles. Ça m’a suivi toute ma vie et j’ai même eu envie il y a quelque temps de consacrer un album à Brel. J’ai un grand frère qui chante à l’Opéra de Limoges et on n’avait jamais eu l’occasion de jouer ensemble. Je l’ai invité à Bruxelles. « Une Ile », c’est un peu Bruxelles pour moi. Je ne me suis pas préoccupé de l’esthétique du morceau, mais plus du sens qu’il prenait pour moi. Je trouve que Jacky joue de façon extraordinaire sur ce morceau, tout comme Plume, c’est super frais. L’enregistrement s’est fait à Bruxelles au Jet Studio et le label est belge aussi. Le deal au départ avec le label était d’avoir un album composé d’originaux, et j’ai un peu poussé pour inclure le Brel.
Avez-vous douté dans votre carrière ? J’ai lu que vous aviez fait l’école de bucheron…
G.P. : Lorsque j’étais au Etats-Unis, je jouais beaucoup dans les petits clubs, je faisais la manche dans le métro, j’ai survécu là sans contrat de travail. En rentrant des Etats-Unis, j’ai retrouvé une proximité avec la nature et je me suis dit que c’était le moment d’avoir un diplôme pour assurer mes arrières. J’adorais travailler le bois, y passer des journées et je n’ai plus touché ma contrebasse. J’ai adoré cette période en me disant que si Paris ne me convenait pas, j’aurais l’opportunité d’exercer un métier que j’aimais.
Le quintet sera au « Sounds » le 13 janvier, à L’An Vert le 14 janvier, puis à Bourges le 15, et à Paris au « Sunside » le 20.
Géraud Portal 4tet featuring Jacky Terrasson
Zinneke
Outnote