Patrycja Wybranczyk, la passionnée

Patrycja Wybranczyk, la passionnée

Patrycja Wybranczyk © Jan Drabek

Diplômée du département de jazz de l’école de musique Fryderyk Chopin à Varsovie, étudiante à l’Académie de musique de Cracovie et au Norges Musikkhogskole à Oslo, Patrycja Wybranczyk est l’une des étoiles montantes incontestées du jazz polonais.

Une fille qui joue de la batterie, ce n’est plus aussi surprenant qu’avant. Le jazz a d’ailleurs toujours été ouvert sur ce sujet. Comment en êtes-vous venue à la batterie et comment en êtes-vous venue à la musique de façon plus générale ?
Patrycja Wybranczyk : Mes parents étaient musiciens. D’aussi loin que je puisse me souvenir, j’ai toujours été entourée par la musique. J’allais voir leurs concerts quand j’étais petite. Ils jouaient dans le Sinfonia Varsovia Orchestra. Je ne pourrais plus dire qui j’ai pu croiser, mais je rencontrais tous les musiciens backstage, après les concerts. C’était naturel que j’entre dans une école de musique… Restait à choisir l’instrument ! Mon choix s’est porté sur la batterie grâce à la sympathie du professeur Malgorzata Zebura. J’ai aussi suivi mon amie Kaja Wlostowska (aujourd’hui une joueuse de marimbas reconnue – NDLA) qui elle aussi avait choisi cet instrument. Enfin, mes parents ne voulaient en aucun cas que j’étudie le même instrument qu’eux : le violon et la clarinette… J’ai été bercée dans la musique classique, mais dans la voiture de mes parents, on diffusait plutôt du rock. Ma fascination pour la batterie provient de là aussi. C’est pour cela que j’ai opté ensuite pour les écoles de jazz ou de spectacles.

«Les professeurs qui ont eu le plus d’impact sur moi sont ceux qui se sont montrées les plus accessibles. Je devais pouvoir leur parler, obtenir des échanges.»

Les professeurs jouent un grand rôle, de même que les « maîtres ». Qui a joué ce rôle en ce qui vous concerne ?
P.W. : Ceux qui ont eu le plus d’impact en ce qui me concerne sont ceux qui se sont montrés les plus accessibles. Je devais pouvoir leur parler, obtenir des échanges. Sans aucun doute, je retiens Krzysztof Gradziuk que j’ai connu en tant que professeur à la faculté de jazz de l’école de musique Fryderyk Chopin. Il a développé mon ressenti sur la batterie et son rôle dans un groupe. Grâce à lui, j’ai découvert des musiques dont je n’avais même pas idée de leur existence. Ces dernières années, j’ai été fortement influencée par des batteurs norvégiens tels que Gard Nilssen ou encore Thomas Stronen que j’ai eu l’occasion de rencontrer grâce à l’International Platform of Jazz. Thomas Stronen est l’un de mes professeurs à l’Académie norvégienne de musique à Oslo, où j’étudie en ce moment. Bien sûr, je pourrais encore citer les noms de Jon Christensen, Jakob Bro, Marc Ducret, Christian Lillinger, Joey Baron, Jacob Anderskov, Anders Jormin et Peter Eldh… Leurs travaux m’ont façonnée en tant que musicienne.

Patrycja Wybranczyk © Kasia Idzkowska

Vous avez mentionné l’International Jazz Platform. En quoi la participation à ce programme est-elle à la fois attractive et importante pour les jeunes artistes ?
P.W. : J’ai participé à ce programme à trois reprises et j’ai remarqué qu’il se développait en attirant de plus en plus de grands musiciens internationaux. Le programme a été créé à l’initiative de Karolina Juzwa. Il s’adresse aux jeunes sous la forme d’ateliers consacrés à la création, à l’improvisation ou à l’apprentissage de l’aspect commercial de la musique. Chaque édition m’a donné l’occasion de rencontrer d’autres artistes inspirants, sous la supervision d’un personnel hautement qualifié. Nous avons participé à des tables rondes où nous nous échangions nos expériences sur les questions dérangeantes de l’industrie musicale, sur nos relations avec les programmeurs. Grâce à cela, chacun a pu construire un environnement sain et stimulant dans lequel il peut évoluer. Sans oublier les concerts qui s’y organisent, les groupes qui s’y construisent… Ça a été très important pour moi.

«O.N.E. est surtout le fruit de l’énergie féminine qui nous nourrit.»

Parmi vos nombreuses activités, on mentionnera en priorité le groupe O.N.E. qui a conquis les amateurs de jazz polonais. Deux albums sont sortis, vous effectuez de nombreux concerts… Quelle est l’histoire de ce groupe ?
P.W. : Le premier concert de O.N.E. a été organisé à l’occasion du Boyfriend’s Day. Le groupe existait quand je l’ai rejoint. Après quelques répétitions et ce premier concert, nous avons ressenti l’énergie unique que nous dégagions en faisant de la musique. Nous nous complétons avec nos sensibilités, nos inspirations, la volonté d’explorer. Ensemble, nous parlons de tout. Nous avons pu sortir un premier album que nous avons présenté en concert à de nombreuses reprises. Kate Werner a rejoint l’équipe en tant que manager. Puis nous avons enregistré le deuxième album qui nous a permis de jouer plus encore en Pologne et aux alentours. O.N.E. est surtout le fruit d’une énergie féminine qui nous nourrit. Je ressens une grande force et il se dégage de la vitalité entre nous. Notre musique contient du lyrisme, de la sensibilité, de la sauvagerie, l’expression du free jazz. Tous ces ingrédients nous unissent. Je pense qu’avec Monia Muc, Kamila Drabek et Pola Atmanska, cela se ressent aussi bien dans notre musique qu’en dehors.

Si je me souviens bien, la tournée qui a suivi la publication de votre premier album coïncidait avec votre dernière année d’études…
P.W. : C’est vrai ! J’aime me souvenir de cette époque où nous étions sur la route avec le groupe pendant que j’écoutais des enregistrements de cours – sur l’histoire de la littérature par exemple – pour préparer mes examens… Cette envie d’apprendre se poursuit encore aujourd’hui. Nous écoutons de la musique, mais aussi des podcasts consacrés à la psychologie, à la philosophie, à l’actualité mondiale, l’économie…

Fait notoire au sein de O.N.E., avec Kamila Drabek, vous dirigez également une émission de radio pour le Jazzkultura à Cracovie. D’où vous est venue cette envie ?
P.W. : Après une interview que nous y avions donnée avec le groupe O.N.E., on nous a proposé d’animer notre propre émission sur la radio Jazzkultura. Nous nous sommes toujours senties à l’aise avec les journalistes, nous aimons l’art, … Nous avons décidé d’accepter. Grâce à cette émission, nous pouvons désormais partager l’énorme quantité de musiciens que nous découvrons. Le processus de préparation d’une émission est très excitant ! Je suis heureuse d’avoir reçu cette chance !

Vous jouez également dans le Jakub Zolubak Trio qui recueille lui-aussi de très bonnes critiques et où la guitare joue le rôle principal.
P.W. : Oui, Jakub Zolubak est guitariste et compositeur. Le troisième membre, à la contrebasse, est Radoslaw Lukaszewicz. Ensemble, nous avons sorti un premier album « Live at JazzState » (2021) qui a très bien été accueilli, puis un EP en 2022 « Live at Dzialka », réalisant ainsi mon rêve d’enregistrer dans mon chalet en bois, à la campagne, qui m’a toujours servi de lieu de repos. Avec ce trio, nous nous concentrons sur les contacts directs avec le public, le lieu où nous nous trouvons. Notre musique est très absorbante… Nous terminons généralement les concerts avec un sentiment de soulagement et de contemplation de ce qui nous entoure. Il s’agit d’un voyage dans une atmosphère calme et colorée, inspirée de la musique de Bill Frisell, de Jakob Bro ou encore de Julian Lage…

Patrycja Wybranczyk © Kasia Idzkowska

Mentionnons encore le quartet international PESH…
P.W. : Il s’agit d’un quartet polono-norvégien, avec Emil Miszrk à la trompette, Sondre Moshagen au piano et Hakon Huldt-Nystrom à la contrebasse. Nous nous sommes rencontrés il y a un an à Oslo, à l’occasion de l’International Jazz Platform. Quand nous avons entendu comment chacun de nous abordait la création du son et la musicalité, nous avons décidé de créer ce groupe. Quelques mois plus tard, Emil et moi nous somme rendus à Oslo pour les premières répétitions. Nous avons apporté nos idées, notre musique et on y a enregistré une démo. Six mois plus tard, c’était au tour de Sondre et Hakon de venir en Pologne. Nous y avons joué notre premier concert puis nous avons enregistré un album à la radio polonaise. Nous sommes convaincus qu’il se passe quelque chose entre nous… Nous sommes unis par notre passion pour la musique classique, les improvisations et la musique folklorique de nos pays. PESH est un groupe important à mes yeux. J’attends impatiemment le jour où l’album sortira (dans le courant du mois – NDT). Une tournée suivra, en Pologne et en Norvège.

Et enfin n’oublions pas le Ninja Episkopat Group, dans lequel vous jouez également…
P.W. : C’est à l’Académie de Cracovie que j’ai rencontré le guitariste Mojzesz Tworzydlo et le saxophoniste Alex Clov. Tous deux connaissent particulièrement bien le monde de la musique électronique que j’apprécie également. Nous avons passé un peu de temps ensemble en 2021 pour jouer. C’est ainsi qu’est né le groupe Ninja Episkopat. On a enregistré un EP « God Save the Queer » sur lequel on retrouve une combinaison énergique de rock, de jazz et de musique électronique que nous utilisons comme un membre du groupe. Nous avons eu l’occasion de jouer sur plusieurs scènes en Pologne, dont le Festival Soundrive, à Gdansk. C’est un line-up différent de ceux que je connais habituellement. C’est un peu mon rêve d’enfant qui ressurgit : devenir batteur de rock… Je suis très heureuse de m’exprimer sur cette voie-là.

«Ce qui m’entoure me passionne, c’est ma façon de vivre.»

Il y a ce projet aussi intrigant qu’intéressant : « Requiem for Non-existent Cemeteries », réalisé avec la participation de musiciens du Tri-City que vous avez rejoints…
P.W. : Cette série a été réalisée à l’initiative d’Emil Miszk. Nous avons enregistré des compositions – largement improvisées – d’environ dix minutes chacune, dans quatre cimetières différents. Le but de ce projet consiste à attirer l’attention sur ces endroits incroyables, cachés à Gdansk et ainsi à honorer la mémoire de ceux qui y sont enterrés. L’atmosphère lors des enregistrements était unique. Nous jouions dans des endroits boisés, des parcs, où des fragments de vieilles pierres tombales sortaient du sol. C’était une expérience inoubliable. Le groupe se composait d’instruments à vent, principalement des cuivres, ainsi qu’un gros tambour et une caisse claire. Le son a été enregistré par Marcin Dymiter qui a utilisé diverses techniques qui permettaient de reproduire le plus fidèlement possible l’ambiance qui y régnait. Les enregistrements sont disponibles sur la chaîne YouTube d’Emil.

Qu’avez-vous encore comme passions en dehors de la musique, qui puissent donner un souffle à votre carrière ?
P.W. : J’ai beaucoup de passions ! Ce qui m’entoure me passionne, c’est ma façon de vivre. La nature est essentielle dans mes intérêts. J’aime faire les randonnées en montagne, les séjours sous tente, atteindre des sommets… Et beaucoup d’autres choses : la cueillette des champignons, l’observation des oiseaux, le jardinage… Tout ce qui touche à la nature. J’aime aussi écrire des lettres, le processus qui consiste à coucher ses pensées sur papier, d’avoir un échange épistolaire avec des amis. Il me reste aussi au fond de moi une passion pour les sciences. Je n’ai jamais vraiment abandonné la lecture des ouvrages de vulgarisation sur la physique quantique ou sur l’histoire de la littérature, la géographie.

Muzyka dla nieistniejacych cmentary (Requiem for Non-existent Cemetery).

Une publication
Donos Kulturalny

O.N.E.
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Audio Cave

Propos recueillis par Krzysiek Komorek, Donos Kulturalny (Pologne)
Traduction française, Yves Tassin