Joëlle Léandre : Zurich Concert
On prête à Joëlle Léandre cette phrase emblématique selon laquelle elle aurait un jour décrit sa basse comme sa base, son soubassement, sa colonne vertébrale, l’endroit où elle stocke ses souvenirs… C’est assigner à l’instrument bien plus qu’une fonction mais une véritable destinée la liant à la sienne. De fait, il nous a toujours semblé que Joëlle faisait corps avec son instrument. Plus encore, que celui-ci était un prolongement de son corps, sa résonance, l’expression de son bruit intérieur. Qu’il était peut-être même parfois son corps en entier. C’est qu’il y a dans le jeu de la bassiste française une physicalité omniprésente. Une conduite qui oscille entre moments de tensions, d’attaques, et de suspensions, d’accalmies. Ce dernier album s’ajoute à une discographie impressionnante aux entrées innombrables et plurielles. Joëlle Léandre y est captée en solo sur le vif, au Festival Taktlos, à Zurich, l’année dernière. Si la pochette du disque mentionne sur son verso : « Joëlle Léandre : piano », il ne faut pas s’y méprendre, c’est bien sa contrebasse qui est à l’œuvre. Mais aussi sa voix. Les cinq extraits alignés ici sur une quarantaine de minutes reflètent avec fidélité l’exercice – intense, immersif – d’un soir qui est aussi celui de toute une vie. Dans les notes accompagnant le disque, la musicologue – et également contrebassiste – Nina Polaschegg, rappelle que la musicienne est aussi une femme. Une femme qui a depuis longtemps affirmé ses convictions activistes en rejoignant, dès la fin des années septante, le Feminist Improvising Group d’Irène Schweizer pour ensuite fonder avec celle-ci et Maggie Nicols le trio Les Diaboliques. « Je suis une rebelle et je mourrai comme une rebelle » a-t-elle un jour déclaré à l’issue d’un concert. Pour l’heure, Joëlle est bien en vie, belle et rebelle, plus endiablée que jamais.