Echt! Avec exclamation
On le sent, le groupe bruxellois d’adoption Echt (avec un point d’exclamation…) se trouve à un tournant important de son existence. Après un premier album « Inwane » qui leur a ouvert les portes du public national, le quartet electro-jazz vise à présent à obtenir une renommée internationale. Rencontre et perspectives avec le claviériste, Dorian Dumont.
«On n’était pas seuls. Alors on a rajouté le point d’exclamation pour se démarquer des autres… Cette ponctuation rajoute un petit effet choc…»
Il n’est pas inutile de le rappeler à nos lecteurs, « Echt » est un mot du vocabulaire brusseleir qui signifie « vrai », « réel ». Peux-tu nous rappeler pourquoi vous avez choisi ce nom ?
Dorian Dumont : C’est toujours compliqué de choisir un nom pour un groupe. Ce qui nous a plu dans celui-ci, c’est d’abord le fait que nous rendions de cette façon hommage à la ville de Bruxelles qui nous a tous accueillis. Aucun de nous quatre n’est originaire de Bruxelles, mais nous nous sentons tous dans la peau d’un « vrai » Bruxellois. Bruxelles, c’est un label… Beaucoup de gens qui y vivent ne sont pas Bruxellois à l’origine, comme nous. D’autre part, le postulat du groupe consiste à rejouer en live des effets généralement produits sur des ordinateurs, mais en utilisant de « vrais » instruments de musique. Enfin, il existe une brasserie ici à Bruxelles, la Brasserie Illegaal, qui produisait une bière nommée Echt… Ce nom nous plaisait. Voilà, ça nous fait trois bonnes raisons de nous appeler Echt… (rires) Mais on n’était pas les seuls, alors on a rajouté le point d’exclamation pour se démarquer des autres… Cette ponctuation, ça rajoute un petit effet choc…
« Vrais » sans doute dans la manière, mais réellement electro dans le résultat…
D.D. : Oui, on l’assume. C’est le but : s’approcher au plus près possible de nos influences, de la musique que l’on aime écouter. Nous provenons tous les quatre du milieu du jazz. Nous nous sommes rencontrés au Conservatoire et nous avons chacun d’autres projets plus jazzy… Pour Echt! les influences ne sont clairement pas jazz.
En effet, vous vous trouvez franchement dans un cadre electro/fusion. Sans improvisations apparentes. Est-ce encore du jazz ?
D.D. : Ce n’est pas à nous de le dire. Chacun a sa vision personnelle de ce qu’est ou n’est pas le jazz. En vérité, ça ne nous tracasse pas trop. On aime cette musique et peu importe dans quel genre on la situe. En pratique, nous composons à quatre. L’un de nous arrive avec une idée de base et nous improvisons beaucoup dessus pour trouver un thème, un son qui nous plaise. Quand je vois le nom de certains groupes qui se trouvent à l’affiche de certains festivals de jazz, comme Alpha Mist par exemple, je sens vraiment un cousinage avec notre musique. Ça fait partie de notre identité.
Il y a un groupe, flamand celui-là, qui occupe un peu le même créneau : Stuff. Est-ce que vous vous connaissez ?
D.D. : Oui, on se connait. J’ai fait mes études au Conservatoire en même temps que Lander (Gyselinck, le batteur de Stuff., très actif sur les scènes en ce moment, avec d’autres projets – NDLR). On se rencontre régulièrement au Volta, à Anderlecht. Quand on a commencé Echt!, Stuff. était une référence pour nous. Nous ne copions pas leur musique, mais elle nous inspire. Nous nous sommes fréquemment rendu tous les quatre à leurs concerts, pour voir notamment comment ils reproduisaient leurs disque sur scène.
«Le fait de composer et de travailler à quatre, de façon démocratique, ça donne une belle dynamique au groupe.»
Votre ascension en 2022 a plutôt été fulgurante… Quels sont vos souhaits pour 2023 ?
D.D. : On a de belles perspectives devant nous. Les Nuits Botanique (le 5 mai NDLR), puis de chouettes festivals (voir en fin d’article NDLR). L’objectif est de continuer à grandir. Je nous souhaite d’aller le plus loin possible. Nous nous voyons souvent, on se sent bien dans Echt! C’est un projet très différent de ceux que j’ai déjà connus. Le fait de composer et de travailler à quatre, de façon démocratique, ça donne une belle dynamique au groupe. J’espère que nous resterons toujours aussi excités à l’idée de travailler ensemble.
Je vois en effet qu’il y a pas mal de concerts prévus, notamment à l’étranger. C’est constant chez vous de sortir de votre cocon ? D’aller voir comment ça se passe ailleurs ? D’abord à Bruxelles et maintenant à l’étranger ?
D.D. : Oui, c’est notre plan. Se développer en tant que groupe, puis dépasser les frontières. On sent cet intérêt pour nous. On peut être ambitieux, même si ça prendra du temps. Il y a aussi une belle équipe qui nous soutient, c’est important pour la suite. On aurait dû le faire plus tôt, mais la pandémie nous en a empêché.
Contrairement aux groupes flamands signés eux-aussi sur le label Sdban ou W.E.R.F. ou ailleurs en Flandre, vous avez l’avantage de jouer de chaque côté de la frontière linguistique…
D.D. : Clairement ! C’est peut-être dû au fait que chez nous, il n’y a pas de paroles, pas de chanteur. Ça nous aide…
Il n’y a pas de paroles non plus chez Black Flower, Dans Dans et bien d’autres encore… Mais ils jouent peu en Wallonie et à Bruxelles.
D.D. : Ce que je constate, c’est qu’il existe bien plus d’endroits en Flandre pour accueillir cette musique-là. Il n’y a pas la même culture en Wallonie. Nous-mêmes nous n’y jouons pas si souvent… Pour notre part, nous ne ressentons aucune appartenance à l’une ou à l’autre communauté. Mais oui, nous mesurons la chance que nous avons d’être signés par un label flamand.
«On souhaite que notre musique demeure instrumentale. Que ce soit elle qui occupe le devant de la scène.»
Revenons à votre nouvel album « Sink-Along » que je traduirais par « couler ensemble »… avec un jeu de mots…
D.D. : Oui, phonétiquement, c’est proche de « Sing Along », « chanter en cœur » ou « chante avec nous ». C’est un clin d’œil au fait que notre musique n’est pas une musique pour chanteur. Au début de l’existence de Echt!, on nous interpellait souvent à ce sujet : « Pourquoi jouez-vous sans chanteur ou sans rappeur ? ». En ce qui nous concerne, on souhaite que notre musique demeure instrumentale, que ce soit elle qui occupe le devant de la scène. Ce qui ne nous empêchera sans doute pas de faire appel à des « featuring » dans le futur…
Votre premier album s’intitulait « Inwane » que l’on pourrait traduire par « vers le déclin »… Décidément, ce n’est pas très optimiste tout ça !
D.D. : (rires) Notre musique peut en effet être assez sombre… Même s’il s’y trouve quelques éclats de lumière ci et là (rires). Ce sont les reflets d’une période. Nous n’avons pas délibérément décidé de jouer une musique dark. Mais chaque fois que quelqu’un dans le groupe arrive avec une idée qui nous inspire tous, ça tend souvent vers le dark… Et c’est celle-là que l’on retient. Le premier album a été enregistré en pleine période de pandémie. Je trouve que celui-ci montre une belle évolution pour le groupe. Nous avons acquis plus de maturité. Au départ, nous faisions des covers… Quand tu apprécies une musique, c’est de cette façon-là que tu en apprends les codes de fonctionnement, le vocabulaire. Ensuite seulement, tu peux te lancer avec ton propre répertoire. Si tu es saxophoniste et que tu souhaites jouer du bebop, je te conseillerai d’écouter Charlie Parker pendant des heures, jusqu’à ce que sa musique fasse partie de ton vocabulaire. Il se fait que les groupes qui nous plaisent ne sont pas spécialement lumineux… Notre façon de travailler aujourd’hui est plus mature qu’à l’époque de « Inwane », mais je n’affirme pas que l’un des deux albums soit meilleur que l’autre.
«Tu entends un set de DJ, mais c’est un groupe qui joue, avec de vrais instruments.»
Il y a une autre particularité dans votre musique : les instruments se confondent. Parfois, on ne distingue pas la basse, ou la guitare, qui se confondent avec les claviers. Idem pour la batterie dont le son ressemble à celui d’une boite à rythmes…
D.D. : En effet, c’est quelque chose que nous aimons faire : ne pas utiliser les instruments de façon traditionnelle. On essaye en fait de se rapprocher au plus près possible de la musique que l’on apprécie, l’electro, la musique de club. Mais en utilisant de vrais instruments de musique, ceux dont nous disposons. La batterie est acoustique, mais Martin (Néreau, le batteur… NDLR) ajoute plein d’effets dessus, ce qui lui donne ce son particulier. Idem pour la basse ou la guitare. Je pense que c’est une façon assez originale et presque inédite de faire de la musique. Nous jouons au plus proche des machines, de façon robotique. Les gens qui viennent nous voir en concert en sont étonnés. Tu entends un set de DJ, mais c’est un groupe qui joue, avec de vrais instruments. Comme le ferait un joueur de jazz, nous essayons d’atteindre la transe de cette façon, avec la même énergie. En mélangeant les machines et l’humain. On n’a pas fini d’explorer ce concept… Mais on progresse !
Au bout du compte, votre musique existe pour qu’on danse dessus.
D.D. : Oui, c’est certain. Ça fait partie de notre cahier des charges : sortir du circuit du jazz pour faire quelque chose qui se danse. Même dans les festivals de jazz auxquels nous participons, on arrive à transporter les spectateurs vers cet esprit de fête.
Tu as déjà un peu répondu à la question… Echt! en concert : à quoi devons-nous nous attendre ?
D.D. : D’abord, c’est l’envie d’emmener le spectateur dans un voyage. Comme si tu te trouvais dans un club où il y a un DJ qui mixe de la musique, avec des morceaux qui s’enchaînent de façon étonnante. Je me souviens avoir vu un set de LeFtO. Il enchainait une salsa avec de la techno pure, et ça fonctionnait ! Nous nous sommes demandé comment on pourrait arriver à ce résultat en utilisant notre répertoire. Sur scène, on travaille les arrangements et les enchainements en conséquence. On fait vivre tout cela ensemble alors que ce n’était pas conçu pour. La musique ne s’arrête pas, tout s’enchaine jusqu’à ce que l’on atteigne une certaine forme de transe, comme lors d’un concert de jazz… C’est ça, un concert de Echt!.
Echt! en concert : Les Nuits Botanique (Bruxelles, le 5 mai), Festival Jazz à Liège (le 26 mai), Festival Couleur Café (Bruxelles, le 23 juin), Boomtown Festival (Gand, le 14 juillet), Festival Campo Solar (Damme, le 5 août),…
Echt!
Sink-Along
Sdban / N.E.W.S.