Le jazz flingué par Radio France
Le jazz flingué par Radio France
On a peine à croire, en lisant le communiqué, qu’il s’agit de Radio France. Cette institution utile et nécessaire dont le bouquet de chaînes de radio offre à tout un chacun matière à entendre, réfléchir, comprendre. Offre… ou plutôt offrait. Car les temps changent. Celui des gestionnaires est venu. On ne badine plus avec la culture.
C’est pourtant une vieille habitude dans le paysage audiovisuel français que de restructurer les grilles de programmes pendant l’été. Tous les ans on assiste au transfert de producteurs vedettes d’une chaîne à l’autre. Mais chaque maison gardait sa couleur. France Musique avait comme mission d’ouvrir nos oreilles et de permettre au plus grand nombre d’écouter des concerts. Le Bureau du jazz, créé en 1961, savait coordonner au sein de ses équipes la production et la diffusion de centaines d’heures de musique souvent inédite. Les producteurs, savent depuis longtemps, chacun à leur manière, proposer des points de vue sur le jazz, qu’on pouvait partager. Radio France a servi de terre nourricière à beaucoup d’oreilles affamées.
Et pas seulement avec de la musique, mais avec, et surtout, des mots. Des mots pour expliquer, pour présenter. Des mots pour convaincre, pour réfuter. Des discussions avec des artistes, sur des artistes, avec des spécialistes, sur des spécialités. On écoute, on comprend.
Ce sont visiblement ces mots qui dérangent. Trop de musicologie, pas assez de musique, disent-ils. Et voilà la guerre à l’intelligence qui reprend.
Comment faire comprendre que sans les mots – le sel même de la radio – il n’y a plus de différence entre France Musique, Deezer ou la discothèque de chacun ? Comment faire comprendre que France Musique a une mission de service public, nationale, et qu’elle est écoutée de l’autre côté du périphérique, là où tant d’autres radios ne le sont plus ?
Comment faire comprendre qu’en réduisant, à quelques rares exceptions, les déjà trop peu nombreuses heures consacrées au jazz sur France Musique, on tarit une des dernières sources de cette musique sur les ondes ? Absent de la télévision depuis longtemps, sporadiquement évoqué dans la presse généraliste, le jazz pouvait encore compter sur France Musique pour exister, vivre et se transmettre.
Citizen Jazz est partenaire du jazz sur France Musique. Nous avions mis en place des échanges, tissés des liens avec « Le Matin des musiciens » du mardi, produit par Arnaud Merlin, où un musicien venait présenter un style ou un autre musicien en s’appuyant sur des illustrations instrumentales.
Cette émission est supprimée.
Nous avions mis en place des échanges avec « Le bleu la nuit… », produit par Xavier Prévost, une série de concerts enregistrés au studio 105 et retransmis par la suite. Un lieu de création à la programmation moderne et vivace, nécessaire.
Cette émission est supprimée.
Tout comme le Bureau du jazz, dont s’occupait également Xavier Prévost, qui enregistrait des concerts pour la Direction de la musique à Radio France et d’autres radios partenaires, sous l’étendard « Jazz sur le vif ». [1]
Et si l’on élargit ces préoccupations aux autres musiques vivantes, on peut regretter la disparition du Tapage nocturne de Bruno Letort, ainsi que des Jazzistiques de Franck Médioni (émission supprimée l’an dernier).
Pour l’instant, le rendez-vous quotidien Open Jazz produit par Alex Dutilh est maintenu, tout comme, dans le domaine des musiques improvisées, À l’Improviste d’Anne Montaron, le Jazz Club d’Yvan Amar et On ne badine pas avec le Jazz de Badini et Bertin.
Ainsi, en parlant restructuration, réduction de coûts, redéploiement des contenus, les gestionnaires veulent rentabiliser la production, rattraper l’audimat des radios « concurrentes » et lisser par le bas. Plus de musique, moins de musicologie. A l’heure où toute la musique du monde est disponible en un clic sur l’internet, sans expertise, sans filtre d’écoute, sans compétences, sans explications, vraiment, c’est savamment pensé que de supprimer les rares balises qui existaient encore !
« La culture coûte cher ? Essayez donc l’ignorance ! »