Musica Nuda
Petra Magoni et Ferruccio Spinetti,
la musique mise à nu.
propos recueillis par Jean-Pierre Goffin
Cela faisait un petit temps qu’on n’avait plus vu « Musica Nuda » en Belgique, et la dernière fois, c’était aussi à Huy. L’occasion d’une conversation avant le concert au Couvent des Frères Mineurs dans le cadre du Festival d’Art de Huy. Conversation plutôt qu’interview car avec Petra et Ferruccio, il n’y a pas besoin de poser beaucoup de questions.
Comment est né « Musica Nuda » ?
Petra Magoni : Nous avons fait beaucoup de choses avant qui se sont révélées toutes importantes pour ce que nous sommes aujourd’hui. C’est notre rencontre qui a donné la possibilité d’explorer ma voix et le son de la contrebasse de Ferruccio parce que chanter comme je chante et jouer de la contrebasse comme lui joue, dans un groupe normal c’est très compliqué. Aujourd’hui nous avons trouvé un son, une façon de jouer. Au début c’était compliqué de trouver ce son avec d’autres musiciens, de trouver de l’espace ; ça a été une rencontre qui a ouvert beaucoup de portes.
Ferruccio Spinetti : Petra a étudié la musique classique et la musique sacrée, la musique ancienne, et moi, j’ai suivi le conservatoire en Italie, je suis diplômé en contrebasse classique ; mais en plus, j’ai toujours joué du jazz et de la pop ; je me souviens toujours d’une interview de Gerry Mulligan qui dit qu’il n’existe pas une musique de jazz ou pop, il y a de la belle musique et de la mauvaise musique.
Petra Magoni : Et Ferruccio Spinetti dit la même chose aussi !
Ferruccio Spinetti : Quand nous nous sommes rencontrés, nous avions déjà des affinités communes, l’amour de la musique classique, du rock, des Beatles, de Sting, ça a été une rencontre artistique très intéressante, et nous disons toujours que moi avec une autre chanteuse ou elle avec un autre contrebassiste, ce ne sera pas Musica Nuda.
Petra Magoni : C’est vrai : faire un répertoire de Monteverdi aux Beatles et de nos compositions avec un band normal, c’aurait été fou ! Parce qu’il n’y a pas le son, notre son c’est une unité. Pour Pink Floyd ou Monteverdi, c’est une folie intéressante de jouer comme ça, mais ce n’est pas schizophrénique !
Vous n’avez donc eu aucune difficulté à vous fondre dans ce projet.
Ferruccio Spinetti : Aucune ! Cela s’est fait très naturellement. Si nous devons découvrir une nouvelle chanson aujourd’hui, l’arrangement se fera tout naturellement. « Musica Nuda » n’est pas un projet qui s’écrit sur une table, ce n’est pas vraiment pensé.
Petra Magoni : Depuis, nous avons trouvé pourquoi ça marche, les raisons… Aujourd’hui, nous sommes habitués à voir de grands concerts, avec beaucoup d’ effets , d’instruments, de lumière… Mais développer beaucoup d’énergie à deux personnes, c’est plus fort. De plus, les gens sont habitués à entendre de la musique partout et pour moi, la musique est quelque chose qu’on n’écoute pas dans un ascenseur, c’est quelque chose qui demande une vraie écoute. Il y a des lieux qui sont destinés à cela, une musique comme la nôtre demande de l’attention.
Ferruccio Spinetti : Hier soir, nous avons joué sur une place en France, où il y avait des bars, un lieu où il y avait beaucoup de monde, très populaire, avec des enfants, … Mais le répertoire et la façon de le jouer appelle l’écoute, il y avait un vrai silence sur cette place pendant que nous jouions.
Petra Magoni : Notre musique est à un niveau de compréhension « multi level » : celui qui est plus passionné de musique, peut comprendre les difficultés techniques de notre musique, mais une grand-mère qui entend « La Chanson des Vieux Amants » par exemple y trouve l’émotion, se souvient des paroles… Comme dans la vie, il y a des moments pour rire, pour plaire, pour l’émotion, notre musique est un peu un reflet de la vie…
Vous aimez particulièrement l’ambiance du « live ».
Petra Magoni : Notre dernier cédé qui ne sortira sans doute pas en France ou en Belgique mais qu’on trouvera aux concerts est un live, parce que nous aimons cette formule, c’est celle où nous nous sentons le mieux ; il y a déjà eu le « Live à FIP » en cédé ou dévédé; c’est une photographie de nous à cette époque; le dernier est un live à Tirana, au Théâtre de l’ Opéra, un très beau concert. Il y a tant de belles choses qui naissent en concert. En studio c’est facile de modifier les choses, de corriger les notes, d’ajouter des effets… C’est en live que vous pouvez voir la vraie musique. C’est difficile d’être impressionné par notre musique sur un cédé studio, mais en live il n’y a pas de trucs. Il y a plus d’énergie aussi; notre prochain album de nouvelles compositions, nous pensons aussi l’enregistrer en live.
Ferruccio Spinetti : Pour moi, chaque théâtre a aussi un son différent; nous faisons souvent la liste des chansons en fonction de la sensation que nous avons pendant la balance, c’est important pour l’énergie. Il y a aussi le plaisir du duo de ne pas faire une tournée avec les mêmes morceaux.
Petra Magoni : Il y aussi le retour qu’on a du public qui est différent d’une salle à l’autre, la proximité des gens est une chose importante, par exemple. Il y a d’autres choses qui ne sont pas explicables, mais quand je suis arrivé ici dans le cloître à Huy, j’ai trouvé le lieu très beau, le son à la balance était magnifique, donc la balance s’est passé très vite.
Comment sélectionnez-vous votre répertoire ?
Ferruccio Spinetti : On sélectionne sur l’émotion. Sur le dernier album de Sting, il y a deux ou trois chansons que nous trouvons merveilleuses et nous pensons que nous allons très vite les mettre au répertoire, ce sont déjà un peu des standards pour nous, alors que le cd n’est sorti qu’il y a trois mois…
Finalement, il y a assez peu de standards du jazz dans votre répertoire.
Ferruccio Spinetti : The Very Thought of You, Over The Rainbow”, Nature Boy…
Petra Magoni: Well You Needn’t, My Favortite Thing, peut-être que nous ferons un jour un cd de standards du jazz, mais ce sera naturel… Il y a beaucoup de morceaux populaires de cette époque que nous aimons, mais nous sommes nés dans les années 1970 et c’est la musique que nous avons écoutée qui nous influence le plus. J’aime beaucoup être hors catégorie; dans la musique, dans la vie, les catégories sont protégées, séparées, mais nous n’aimons pas trop ça.
Ferruccio Spinetti : En jazz celui qui fait du free ne fera pas souvent du bop, en classique aussi celui qui joue Brahms ne fera pas du baroque.
Ce mélange des genres, n’est-ce pas un peu la caractéristique de beaucoup de musiciens italiens ?
Petra Magoni : Peut-être, nous avons joué il y a peu avec Paolo Fresu et une chanteuse pop italienne, un concert incroyable, nous nous sommes rencontrés le jour même et nous avons répétés dix minutes; nous aimons ce genre de rencontre.
Ferruccio Spinetti : Ce soir-là, c’était prévu de jouer séparément, mais nous en avons décidé autrement : d’abord la contrebasse avec Paolo, puis Petra avec Paolo, puis ensemble avec la chanteuse… En jazz, il y a cette ouverture, tu ne peux pas faire ça avec des musiciens classiques, ça deviendrait paranoïaque…
Petra Magoni : Et puis il y a sûrement une autre raison : en Italie, il n’y a pas toutes facilités qu’il y a en France, on doit vraiment essayer de survivre ; il faut toucher à beaucoup de choses pour gagner sa vie . En Italie, on te demande : que fais-tu dans la vie ? Je suis musicien, et alors on te répond : oui, mais quel est ton travail ? Ton métier ? C’est un peu triste car la musique est très importante; je pense parfois que les musiciens devraient arrêter de jouer pendant une semaine et laisser le monde sans musique et après tu comprendras l’importance de la musique…. Mais si toi tu arrêtes de jouer, quelqu’un d’autre prendra ta place (rires) ! Quand il n’y avait pas de musique enregistrée, c’était la magie quand un orchestre arrivait dans un village, par exemple; aujourd’hui, ça a perdu de son importance… Il y a peut-être trop de musiques aujourd’hui, mais pas de la très bonne.