Lankum : False Lankum
C’est en 2017, à Dublin, en Irlande, que les frères Daragh et Ian Lynch décident d’augmenter leur duo, actif depuis quelques années, en intégrant deux autres musiciens issus du même terroir, Carmac Mac Diarmada et la chanteuse Radie Peat. Ils optent pour le nom de Lankum et se retrouvent avec une armada d’instruments à leur disposition. Jugez plutôt : harmonium, violon, concertina, harpe, orgue Hammond, piano, guitare, banjo, différentes vielles, tympanon, cornemuse irlandaise, thérémine, diverses percussions. Sans oublier d’en rajouter des couches avec les samplings parfois noisy et quelques invités au chant alors qu’ils sont tous les quatre chanteurs ! L’univers du groupe est ancré dans les chansons traditionnelles majoritairement irlandaises qui remontent parfois jusqu’au 17ème siècle. Elles leur sont parvenues via d’anciens enregistrements, des récits ancestraux, voire des chansons entendues dans les pubs et qui se perpétuent immuablement, sans trop connaître la provenance exacte. Le groupe s’explique sur ces « découvertes » au sein du livret et, malgré leur commentaire, le nébuleux reste parfois de mise. Si la base de leur musique est donc essentiellement du folk irlandais, le groupe nous en offre une relecture absolument sidérante. Oubliez la simplicité originelle et découvrez un univers sombre, ténébreux, gothique, angoissant, mystérieux. Embarquez pour de longues plages (l’album fait plus de 70 minutes) où la répétition, les sons étirés, les progressions harmoniques, les montées hypnotiques deviennent la norme. On en viendrait aussi à parler de free folk, comme sur « Morning », si deux fugues typiquement celtiques ne nous ancraient pas dans des ambiances aériennes, légères et dansantes. Une troisième nous est proposée, mais, détournée, elle s’enfonce dans un noisy folk dramatique qui m’a évoqué l’univers du Third Ear Band et leur « Music From Macbeth »! (pas grave si vous ne suivez plus) Parfois le groupe reste plus ancré dans la tradition en proposant une simple et longue ballade épurée « Lord Abore and Mary Flynn » ou un limpide « On a Monday Morning ». Si la base est donc bien folk, la tonalité finale est plus à situer dans le post-rock, l’expérimental, et est plus susceptible d’accrocher un public attiré par des groupes tels que Black Heart Procession, Dirty Three (le groupe de Warren Ellis, le violoniste des Bad Seeds), À Silver Mt. Zion ou Godspeed You Black Emperor. Liste non limitée. L’album se termine avec « The Turn », une longue et belle manière de nous achever sur une fin noisy et traumatisante ! A l’image des œuvres sombres de Gustave Doré qui illustrent la pochette et le livret.
On capitule, sidéré d’avoir entendu une telle musique, unique, sonique et bouleversante. Si Lankum s’est déjà produit deux fois chez nous (Bota et Anvers), une grande tournée européenne est en cours jusqu’en 2024 avec un concert annoncé au renommé Roadburn à Tilburg en avril, la preuve que ce groupe n’est qu’au début de son ascension. Dernière et étonnante info, la chanteuse Radie Peat, bien que maman depuis peu de temps, vient de publier un album avec OXN. Un quatuor qui semble évoluer dans un univers assez proche de celui de Lankum. En attendant, je ferai bien de ce « False Lankum » mon album de l’année !