Fanny Meteier : Kung-fu tuba ‐ IWD #1
Portrait de la jeune tubiste montante de la scène française
Le titre est mensonger, la tubiste Fanny Meteier n’a jamais pratiqué le kung-fu, mais elle est bien ceinture noire de karaté. J’aurais dû titrer « Karaté Kid », film sorti la même année que « Kung Fu Panda ». Donc à partir de maintenant, tout ce qui figurera dans cet article est une histoire vraie qui a lieu en France depuis le début du siècle jusqu’à aujourd’hui. Aucun nom n’a été changé et par respect pour les absents, tous les faits sont racontés tels qu’ils se sont produits.
«Le seul créneau possible est le jeudi, alors ce sera le tuba.»
L’histoire débute en banlieue où elle a grandi, dans une mixité qui devrait faire honneur à la république. La mère, danseuse, trimbale sa petite fille partout avec elle. L’enfant, qui doit éviter de se faire marcher dessus par les pointes des ballerines, baigne dans une ambiance créative qu’elle cultivera toujours. Cette vie « sans nounou » fondera d’ailleurs plus tard son goût pour la pédagogie. Elle a 2 ans et demi lorsqu’elle voit passer une fanfare dans la rue. Jusqu’à 7 ans, elle tanne sa mère pour jouer de la trompette, mais le seul créneau possible est le jeudi, alors ce sera le tuba. Qu’à cela ne tienne, elle fera corps avec ce gros instrument, comme dans un film de Cronenberg. Beaucoup de musiciens connaissent cette osmose androïde.
Elle découvre très jeune les contemporains, et comprendra que chacun ayant son monde, chaque démarche artistique mérite d’exister. Dans son film « La règle du jeu », Jean Renoir prononce cette phrase magnifique : « Ce qui est terrible sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons. » Elle oscille entre les compositeurs du XXe et les rappeuses américaines, rejoints ensuite par la pop de Lagos et, évidemment, le jazz comme celui de Threadgill, Ornette, Braxton…
Avec son master au CNSM, elle joue dans des orchestres symphoniques comme elle en rêvait, mais les ensembles de jazz correspondent mieux à son tempérament. Elle intègre l’Orchestre National de Jazz de Frédéric Maurin après avoir participé à son orchestre des jeunes. Et en parallèle du théâtre musical d’Alice Laloy (Death Breath Orchestra créé en 2020), l’improvisation libre lui permet d’approfondir toujours plus cette recherche sur le timbre héritée du répertoire contemporain, notamment avec le trompettiste Timothée Quost et l’Ensemble Liken. Dans l’improvisation, elle sent qu’elle peut être elle-même, produire des sons, des alliages, des compositions qu’elle n’aurait jamais imaginés autrement.
Sa soif d’apprendre et de s’exprimer personnellement s’y étanche mieux qu’avec la musique préalablement écrite, et la dimension humaine restant tout aussi importante, elle se constitue une famille musicale dans laquelle s’épanouir. Avec l’Orchestre 2035 elle fait danser dans les squats et les ZAD. Avec l’altiste Maëlle Desbrosses aux nombreux atomes crochus, elle crée le duo Météore. Le batteur Marco Luparia l’initie à l’électronique, et elle imagine calquer les horaires de travail sur le rythme biologique avec la tromboniste Jessica Simon.
Le chorégraphe Volmir Cordeiro la remet sur les planches pour le spectacle ABRI (1) et, cette fois-ci, le mouvement corporel acquiert une toute nouvelle importance dans ses improvisations. Une performance solo est d’ailleurs en préparation.
«Le tuba se plaît bien dans les groupes festifs. Il danse, elle aussi.»
Le tuba se plaît bien dans les groupes festifs. Il danse, elle aussi. Pourtant animée par l’immense bienveillance qui la caractérise, elle le frappe, l’étouffe, l’embrasse enfin. Il ne se plaint jamais. Par contre elle, elle pleure devant les films, préférant fréquenter les théâtres et, plus encore, arpenter les musées d’art moderne et contemporain. Les tableaux de Paul Klee, Kandinsky ou des Delaunay ne sont-ils pas de merveilleuses partitions?
Elle ne recule jamais devant le travail. C’est une fille très disciplinée, et elle prend la joie très au sérieux. Gardant les oreilles alertes, dévouée à sa pratique, elle en culpabiliserait presque lorsqu’elle rêvasse en tortillant ses bouclettes blondes. Le sens naît pourtant souvent de ces moments d’absence. Face à l’adversité, la musique la sauve chaque fois, avec son instrument, soutien indéfectible. Le sourire qu’elle arbore, comme d’autres des médailles, ne la quitte pas.
Fanny Meteier est également attentive à l’image que produisent les musiciens et les musiciennes. Elle voudrait sortir du costume noir à l’orchestre et chemise jazz au Sunset. En fonction des projets, elle pense lumières et costumes qui changeront la manière dont le public recevra la musique. La musique mérite bien ça. Et c’est vrai que la scénographie du planant « Tower of Meaning » (1) de l’ensemble 0 tranche avec l’atmosphère intrigante du « Thief’s Journal » (1) de Billy Bultheel ou les couleurs éclatantes du quintet de Fidel Fourneyron, « BELL » (1).
Après que j’eus arrêté le magnétophone où j’enregistrais notre conversation, Fanny décrocha mon hélicon pendu au plafond. C’est la première fois depuis trente ans que j’entendais comme il sonne vraiment. C’était beau. J’étais aux anges.
Défendre la place des femmes dans le jazz et les musiques de création, certes. Mais pas seulement : pour elle, l’art doit être égalitaire et servir des combats intersectionnels. Tous et toutes devraient pouvoir s’exprimer et évoluer dans des espaces « safe » et accueillants, ce qu’elle s’applique à mettre en place dans ses projets, à commencer par l’enseignement dans les conservatoires, qu’elle mène de front avec son activité d’interprète et qu’elle souhaite accessible au plus grand nombre possible. À quoi sert la musique si ce n’est à vivre chaque instant dans la beauté des moments partagés et dans la découverte du monde, de tous les mondes ?
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(1) Actuellement en tournée.
Une publication Citizen Jazz