La culture et la R.T.B.F.

La culture et la R.T.B.F.

 

LA CULTURE ET LA R.T.B.F. 

(Radio Télévision Belge de Service Public)

Une Carte Blanche de la Fédération des Auteurs, Compositeurs et Interprètes Réunis (FACIR)

Selon Jean-Paul Philippot, l’actuel directeur de la R.T.B.F., « la culture n’est pas faite pour le prime-time » (Le Soir, 26 novembre 2014). Les grands médias sont-ils encore aujourd’hui des vecteurs de culture, d’émancipation sociale, d’enrichissement intellectuel et de découvertes ? Qu’en est-il du service public, de notre télévision, de notre radio, et à quel point reflètent-ils encore la richesse des créations d’ici ? Après les coupes sombres du gouvernement fédéral opérées sur les budgets consacrés à la culture et la recherche scientifique, nos dirigeants considèrent-ils encore la culture comme un enjeu de société ? Le FACIR, qui représente les créateurs du secteur musical de la Fédération Wallonie Bruxelles (partie francophone de la Belgique), pose ces questions.

Les deux dernières émissions culturelles qui accueillaient les artistes belges sur la télévision de service public, « 50° Nord » et « Quai des Belges », étaient déjà reléguées sur ARTE Belgique (ou rediffusées tardivement sur la Une) à des horaires où l’audience ne pouvait pas être mirobolante. Un mois après l’annonce de leur suppression définitive pour des raisons budgétaires (octobre dernier), la R.T.B.F. n’a rien prévu de consistant pour compenser cette disparition. La création belge coûte trop cher, croit-on comprendre, et un agenda culturel quotidien à la télé est inutile et impossible. Pendant ce temps, « The Voice » quatrième saison version belge, sorte de karaoké géant à la franchise mondialisée, n’est pas vraiment inquiété. Personne ne semble avoir relevé ce paradoxe, et visiblement, on a du mal à s’entendre sur la définition de « découvreur de talents ».

« La R.T.B.F. considère qu’elle doit identifier, valoriser et porter tant la diversité des opinions que la richesse des talents dans tous les secteurs d’activités en osant la fierté… ». « La R.T.B.F. ose l’impertinence et revendique l’audace qui fait partie de notre singularité belge, voulant voir le monde tel qu’il est, et stimulant la création et les productions originales. » On comprend mal la lecture par la R.T.B.F. de son propre contrat de gestion quand elle décide d’arrêter les petits programmes offrant une unique fenêtre aux créateurs belges (à part « D6bels On Stage », le dernier survivant), sans pour autant inquiéter l’hyper-formaté « The Voice » de Endemol, mettant en scène des chanteurs ayant perdu tout contrôle sur leur image, leur projet musical et le choix de leurs propres chansons.

En affichant un tel désintérêt pour la culture, la télévision de service public risque de se discréditer. Comme le disait Pierre Jourde en 2008 : « La bêtise médiatique n’est pas un épiphénomène. Elle conduit une guerre d’anéantissement contre la culture. Il y a beaucoup de combats à mener. Mais, si l’industrie médiatique gagne sa guerre contre l’esprit, tous seront perdus ».

Pour nous, auteurs, compositeurs et interprètes, une telle indifférence et une telle absence de soutien de nos institutions rend extrêmement problématique la diffusion de tout projet musical. Comment faire exister un projet, comment diffuser un projet, comment toucher un public, si même les médias de service public leur tournent le dos ? Le FACIR pointe ici du doigt une asphyxie programmée de tout le secteur musical, où créateurs, producteurs, tourneurs, studios, techniciens, salles, billetteries, … sont condamnés à une survie pénible, ou à la disparition. Avec une telle politique culturelle, la Fédération Wallonie Bruxelles se tire deux balles dans le pied : elle asphyxie un secteur économique pourtant porteur de nombreux emplois non délocalisables, et empêche la construction d’une identité culturelle au-delà des Arno ou Stromae. Étrange calcul au moment où la nation belge est tellement fragilisée.

Ceci n’est pas nouveau : Pierre Mertens le soulignait déjà il y a trente ans dans une biographie consacrée à Brel: « La Belgique souvent n’apprécie, ni n’impose, ni n’assume pleinement l’originalité de sa propre culture. Elle attend docilement le jugement que d’autres porteront sur celle-ci… »

Nous l’avons déclaré dans le préambule à la charte constitutive du FACIR : en Belgique francophone, plus de 95% des biens culturels que nous consommons sont importés. Sans nous l’avouer, nous sommes ainsi devenus un pays culturellement colonisé, un marché « passif »; consommant des produits français et anglo-saxons (à cet égard, il est bien symptomatique de constater que la Fédération Wallonie-Bruxelles, pour sa fête en septembre 2014, en est réduite à annoncer comme têtes d’affiche Calogéro et Bénabar, trophées de la variété franco-française).

Il est de bon ton d’affirmer que « notre pays regorge de talents », sans rien faire pour les soutenir. Mais nous ne sommes pas dupes : nous assistons bel et bien au démantèlement et au torpillage de la culture non seulement en Belgique, mais dans toute l’Europe, au nom de la « rigueur budgétaire », et de « la crise de la dette ». Aujourd’hui rien ne semble stopper la folie néo-libérale, et ses vassaux prêts à saccager nos vies et la planète pour accumuler leurs profits insensés. Partout la culture, comme tous les biens communs, est bradée et transformée en marchandise. Or, la culture est justement là pour interroger, stimuler, faire rêver, inventer, et remplacer le modèle de la compétition omniprésente par l’émulation. Partout s’opère un nivellement par le bas dans la diffusion médiatique, avec un recul de la qualité au profit du passe-partout et du consensuel. Ainsi, pendant que État se désengage et appauvrit les services publics, le « paquebot » R.T.B.F. renonce à sa mission émancipatrice, ne recherche aucune concertation réelle avec les créateurs, et ressemble de plus en plus aux médias privés. 

 

Deux ans après sa création, le FACIR continue à interpeller nos politiques et nos institutions sur l’urgence d’une politique culturelle audacieuse et cohérente. Le FACIR est également déterminé à construire un réseau vivant de lieux de concert peu ou pas subsidiés, radios libres, médias différents pour pallier au manquement abyssal des services publics, et ainsi fédérer un nouveau public.

Nous refusons de voir sombrer notre art et notre culture !