Claire Ruwet : Les voix qui comptent

Claire Ruwet : Les voix qui comptent

Claire Ruwet © D.R.

Claire Ruwet est l’auteure du livre « Résister en voix jazz » (Éditions Academia). Elle nous parle de ces voix qui la touchent.

Avant de découvrir ces caisses de vinyles, aviez-vous déjà approché le jazz d’une façon ou d’une autre ?
Claire Ruwet : J’ai reçu ces caisses de vinyles et des livres de mon papa pas du tout mélomane qui lui les a reçues d’un collectionneur que je n’ai jamais rencontré. Je m’étais déjà intéressée au jazz par le passé, parce que, bien que venant d’une famille qui n’était pas branchée sur la musique, j’ai depuis l’adolescence une amie dont le père jouait dans un groupe New Orleans. Leurs réunions de famille étaient baignées de jazz, on allait au Piano bar, c’est ce qui a fait mon éveil au jazz.

Et l’envie d’écrire sur le jazz ?
C.R. : Quand j’ai reçu ce « trésor », je ne savais pas par quel bout l’explorer et j’ai eu envie de le partager et le transmettre à mon tour. L’album « The Billie Holiday Story » en particulier m’a touché. Il racontait la vie de Billie et sa voix éraillée portait une émotion authentique. J’ai lu des livres sur elle. J’ai commencé à écrire sur elle.

«Le livre contient moins d’un tiers de tout ce que j’ai écrit à partir du jazz.»

L’écriture s’est faite à l’écoute spontanément ?
C.R. : J’écrivais en écoutant, mais je retravaillais par la suite. J’ai même écrit un début de roman inspiré par le personnage de Lady Day, que j’ai vite abandonné, parce que je n’étais pas capable d’écrire sur les addictions. C’est à Wissant que j’ai débuté l’écriture poétique, c’est d’ailleurs pour cela qu’il y a une photo d’un vinyle entouré de galets et de coquillages dans le livre. L’inspiration venait de la plage, des traces de la guerre aussi. Il y a d’autres textes que je voudrais publier, « Résister en voix jazz » contient moins d’un tiers de tout ce que j’ai écrit à partir du jazz : poèmes, récits, nouvelle, conte…

Le processus est-il le même à l’écoute d’un disque et à l’écoute d’un concert ?
C.R. : J’avais un carnet de notes pendant les concerts, mais c’était parfois illisible (rire). Plus tard, je réécrivais à partir de ces notes. Il m’est arrivé de perdre les carnets, je les retrouvais longtemps après, je réécoutais des disques par rapport au concert… Parfois, autre chose vient. Par exemple pour Avishai Cohen, j’ai décrit tout le concert, et en retravaillant le texte, j’ai eu une plongée par rapport à cette musique arabe, « Arab Medley » ; comme je travaille avec des demandeurs d’asile, ça me parlait cette musique arabe, j’ai aussi évoqué le dilna, ce « gaffophone miniature » originaire du Nord Cameroun, dont provient mon mari. J’en jouais dans mon spectacle produit par le Centre Culturel de Stavelot.

Claire Ruwet © Guska

Y a-t-il des souvenirs qui surgissent bien après le concert, par rapport à l’écriture, par exemple cet été, vous étiez à Dinant et au Gaume Jazz.
C.R. : Je n’ai pas pris de notes pendant ces festivals parce que je n’étais pas disponible pour l’écoute, j’étais en dédicace de livre avant tout… Mais le concert « Lili » (le projet de Tom Bourgeois) par exemple m’a impressionné avec la voix de Veronika Harcsa, elle va au-delà du chant d’une simple mélodie, elle utilise la matière sonore brute pour l’incorporer subtilement à la musique et la sublimer. Un peu comme le ferait un peintre utilisant des taches de couleurs dans un tableau d’art contemporain.

« Résister » dans le titre, c’est important ?
C.R. : Il s’inscrit dans la collection « EthnopoétiK», une collection à la croisée des disciplines : photo, musique et surtout littérature et ethnographie, ce qui implique engagement, réflexion sur le chaos de la société. J’ai écrit beaucoup de textes pendant le confinement, c’était une manière pour moi de résister à la pandémie, à la fermeture des lieux culturels et à l’isolement à une époque où je m’interrogeais beaucoup sur mon statut d’artiste, c’est toujours une question que je me pose aujourd’hui.

«Entre 2008 et aujourd’hui, ma perception de la musique a évolué, je me suis ouverte à des voix plus techniques.»

Terminer le livre par la rencontre de Raphael d’Agostino, ça remet de belles choses dans la lecture du livre. C’est un bel optimisme.
C.R. : Ça a été voulu de terminer par ce texte. Ça a été une rencontre impromptue, forte, dans un hôpital. L’optimisme qu’il dégageait m’a impressionnée. J’avais déjà terminé le manuscrit, mais j’ai trouvé essentiel de l’ajouter, pour transmettre sa confiance en l’avenir au lecteur. Il y a aussi « Getting Positive », un texte inspiré de Zap Mama. C’est aussi un texte de résistance.

Une des voix qui m’a le plus touché dans l’histoire du jazz n’est pas dans le livre, c’est Chet Baker.
C.R. : J’ai écrit plusieurs textes sur lui. J’adore « ses mots déposés par un plumeau sur ma peau. Cette caresse chantée évanescente. » Il sera dans le livre suivant ! Mon manuscrit de départ contient plus de 100 chanteuses et 50 chanteurs. Dans les textes à publier, il y aura Chet Baker, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan et bien d’autres chanteurs contemporains… J’ai surtout voulu parler de la résistance dans ce livre qui s’ouvre aussi à la World music : Manu Dibango, Miriam Makeba… Entre 2008 et aujourd’hui, ma perception de la musique a évolué, je me suis ouverte à des voix plus techniques, plus contemporaines, par exemple Veronika Harcsa que j’ai vue en Gaume avec « Lili » ; je ne sais pas si j’aurais pu apprécier sa voix au début, mais c’est tellement puissant.

Claire Ruwet sera présente entre autres le samedi 19 septembre à 20h à la bibliothèque communale de Libramont, et le dimanche 21 septembre à Schaltin au festival SouFFle(s).

Claire Ruwet
Résister en voix jazz
Éditions Academia

Chronique JazzMania

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin