Anne Paceo ou l’idée de faire les choses autrement

Anne Paceo ou l’idée de faire les choses autrement

Anne Paceo © Tanguy Ginter

La sortie d’« Atlantis » est l’occasion de rencontrer une des musiciennes les plus inventives de la scène jazz française. Entretien.

Vous avez un petit peu gardé le même format que « S.H.A.M.A.N.E.S. » au niveau formel, un format chanson, c’était voulu ?
 Anne Paceo : En fait, je ne me dis pas : tiens je vais faire ci ou je vais faire ça ; disons que je me laisse porter par la musique et il se trouve que quand j’ai composé, au final, il y avait pas mal de morceaux où j’entendais des paroles, donc ça s’est imposé à moi. Après, il y a quand même quelques morceaux qui sont instrumentaux avec la voix qui est vraiment là comme un instrument, mais c’est vrai que j’écoute beaucoup de chansons, de la musique folk, beaucoup de pop et l’air de rien, je pense que ça infuse aussi dans ma musique.

« J’aime les mélodies qui restent en tête et j’aime les voix ; alors, quand il y a les deux, c’est le bonheur ! »

Qu’est-ce qui vous inspire dans le folk et la pop ?

 A.P. : J’aime les mélodies qui restent en tête et j’aime les voix ; alors, quand il y a les deux, c’est le bonheur. Sur ce disque j’entendais des mélodies puis j’ai entendu des voix. Je pense, par exemple, à Piers Faccini que j’ai invité. En fait quand j’ai composé j’entendais vraiment sa voix dans ma tête. Mais je reste quand même aussi une improvisatrice, j’aime l’improvisation. Sur un disque en général, les choses sont fixées mais en fait sur celui-ci, il y a beaucoup de choses qui sont complètement improvisées. C’est hyper produit, mais il y a beaucoup de moments où il y a de l’impro collective. Je reste très attachée au jazz mais j’aime aussi les belles chansons. D’ailleurs, ce qui est marrant, c’est quand même que les standards de jazz ce sont des chansons de Broadway… J’ai envie de dire que la boucle est bouclée.

 C’est un programme que vous avez joué en tournée avant d’enregistrer ?

 A.P. : On a juste fait deux concerts : une petite résidence à la scène nationale des Gémeaux à Sceaux, plus un concert et ensuite, « Jazz in Marciac » m’a invité à venir jouer le programme. C’était le deuxième concert du groupe, sous le chapiteau. On a quand même beaucoup répété avant d’entrer en studio. Avant c’était toujours comme ça, on faisait une tournée et puis on enregistrait maintenant ça devient plutôt le contraire on va en studio et puis on va tourner après pour faire la promotion du disque.

« L’Océan a commencé à devenir vraiment une obsession, aussi les images qu’il y a sous l’eau qui sont juste incroyables. »

Anne Paceo © Tanguy Ginter

Le scénario, vous l’aviez en tête déjà : le prétexte c’est la plongée au départ, mais vous l’avez relié à l’Atlantide et à ce chaos qu’on connait aujourd’hui.

 A.P. : Je ne prévois jamais rien avant d’écrire un disque. Il se trouve que j’ai passé un niveau de plongée, un niveau 1 il y a trois ans. Et à chaque fois que je sortais des plongées, que je retournais sur la plage, j’avais de la musique qui venait ; donc j’ai commencé à m’enregistrer avec un petit dictaphone : des mélodies, des mélodies, des mélodies… Et puis l’océan a commencé à devenir vraiment une obsession, aussi les images qu’il y a sous l’eau qui sont juste incroyables. Je revenais à la maison, et j’avais plein de mélodies dans mon téléphone qu’il fallait développer. Ça a amené des réflexions un peu plus graves, l’Atlantide est arrivée après : il y a des musiciens qui choisissent de donner le nom d’un morceau, moi j’aime bien trouver un titre qui va évoquer un peu tout ce qui va se passer dans l’album, et c’est là que l’Atlantide est venue parce qu’on est quand même en train d’assister à une énorme catastrophe écologique. J’ai lu des recueils sur la légende de l’Atlantide qui a été submergée par les flots parce que les hommes faisaient le mal, et du coup je trouvais que le parallèle avec la situation actuelle était intéressant.

On sent dans l’album la volonté de créer un scénario : entre l’intro très douce et le final qui est aussi très apaisant, au milieu il y a « Love Song », une sorte de parenthèse au milieu du chaos.

 A.P. : On vit dans l’époque de la playlist où les gens prennent un morceau de ci, un morceau de ça, et puis la musique devient un accompagnant, et moi j’aime l’idée de raconter une histoire ; c’est pour ça que pour moi ce disque doit s’écouter d’un bout à l’autre. Oui, je cherche une dramaturgie dans la manière de raconter l’histoire, et c’est pareil pendant le concert : comment est-ce que j’immerge les gens dans cette musique ? La tracklist a été un gros casse-tête parce que je voulais trouver vraiment le sens ; j’ai dû changer quinze fois, ça fait partie aussi du geste artistique.

« C’est important pour moi de proposer une œuvre d’art qui est complète, de la musique au graphisme, jusqu’à l’impression. »

Vous le sortez en 33 Tours ?

 A.P. : C’est important pour moi de faire des très beaux objets ; du coup on a fait une sous-pochette imprimée, on a pris des pantones, et pas les couleurs habituelles lambda, il y a du fluo, il y a de l’argent, il y a du bleu. Il est très beau le vinyle, c’est important pour moi de proposer une œuvre d’art qui est complète, de la musique au graphisme jusqu’à l’impression.

  Il y a un musicien qui revient par rapport à l’album précédent, c’est Christophe Panzani, un fidèle partenaire.

 A.P. : C’est immense ce qu’il apporte ! En fait on travaille ensemble depuis « Circus » en 2016. Je trouve que c’est un musicien qui est de plus en plus incroyable. A chaque concert il me surprend : il y a du son, du lyrisme, ses bons conseils.

Anne Paceo © Tanguy Ginter

  C’est le premier disque où l’électro prend autant de place.

 A.P. : Ça faisait longtemps que j’essayais de faire ça, depuis « Circles », c’était déjà un peu sur « S.H.A.M.A.N.E.S. » Il y avait des moments assez électro. Peut-être que la différence sur ce disque, c’est qu’on est vraiment avec des synthés et de l’électronique, ça change la couleur. Mais ça a toujours été là en fait, mais à présent, j’ai l’impression d’avoir trouvé les partenaires pour pousser vraiment ce truc-là.

 Quand vous êtes en concert, ce n’est pas une formule qui bride un petit peu le groupe ?

 A.P. : Non parce qu’il n’y a aucune machine qui tourne en boucle ; sur scène, tout est joué. Je suis une improvisatrice, j’aime quand on fait ce qui n’était pas prévu. Je pense à « The Diver » : tout le début est écrit, et puis à un moment il n’y a plus rien sur la partition, je dis juste qu’on se retrouve à tel endroit avec ce thème, mais au milieu il n’y a pas de grille, c’est impro totale et donc c’est un morceau qui va se réinventer chaque soir, c’est une plongée, et j’aime bien ça. Il y a des moments qui sont plus écrits parce je pense à la dramaturgie du set. Je pense que si tout était écrit de A à Z, je m’ennuierais mais si tout était complètement improvisé, je ne retrouverais pas mes petits non plus.

 Vous parlez dans votre dossier de presse de convoquer l’organique et le vivant comme mantra.

 A.P. : C’est une bonne question : on rentre dans l’ère du tout numérique, on rentre dans une ère où sur les plateformes du streaming, on ne sait même plus si on va écouter des humains ou des machines. Et sur scène il y a de moins en moins de musiciens, et de plus en plus de musiciens avec des machines. Nous on est six en tournée ce qui est énorme. Convoquer l’organique et le vivant c’est être tout le temps en train de se renouveler, je veux le contre-pied tout le temps, je ne veux pas qu’on fasse de l’électro, de la dance, du jazz, de la pop : je veux que quand on part quelque part, il y en ait toujours un ou plusieurs qui fassent le pas de côté pour justement créer quelque chose qui sort des sentiers battus. En fait, parce que des disques de jazz ou des disques de techno ou d’électro, on en a entendu cinquante, et moi j’aime l’idée d’essayer d’amener autre chose.

Anne Paceo
Atlantis
Jusqu’à la nuit

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin