Budapest Music Center : carrefour du jazz international

Budapest Music Center : carrefour du jazz international

 

Budapest Music Center 

Carrefour du jazz hongrois…et international.

Le Budapest Music Center a été fondé en 1996 : d’abord institution culturelle incluant une bibliothèque et une banque de données (3000 musiciens répertoriés, 10500 compositions), BMC est devenu un label international, avec, à sa tête, une équipe dynamique organisant concerts et festivals. Vous vous souvenez peut-être d’Attila Zoller, guitariste hongrois qui a enregistré avec Lee Konitz et Albert Mangelsdorff (album “ZoKoMa”) et aussi avec Hans Koller et Martial Solal (“ZoKoSo”) ou de Gabor Szabo, le guitariste qui a joué avec Chico Hamilton (“Passin’thru”) et Charles Lloyd (“Of Course, Of Course) : ils avaient dû quitter leur pays pour jouer. Maintenant, les musiciens viennent de partout pour jouer et enregistrer à Budapest (parmi eux, Laurent Blondiau, Bart Maris ou Kris Defoort). Rencontre avec l’un des responsables de BMC, György Wallner qui vient souvent en Belgique, que ce soit pour le Belgian Jazz Meeting ou certains festivals comme Jazz Brugge.

Propos recueillis et traduits par Claude Loxhay

Laszlo Goz fondateur de BMC

Quand fut fondé le Budapest Music Center ? Avec quel but ?

BMC est une compagnie privée, fondée en 1996 par Lázlo Göz, un tromboniste, à la fois musicien de jazz et de musique classique. Il a travaillé avec la formation Hundred Eighty qui jouait des compositions de Philip Glass ou Steve Reich, la musique répétitive et minimaliste américaine. Il a aussi enseigné au département jazz de l’Académie de Musique de Budapest, pendant une trentaine d’années. Le but initial, et c’est toujours vrai aujourd’hui, était de promouvoir non seulement les musiciens hongrois, mais aussi tous ceux qui participaient à la scène de notre pays. Lázlo voulait avoir une banque de données, savoir qui jouait en Hongrie, quels étaient les musiciens et compositeurs, tant au niveau du jazz que de la musique classique. Par la suite, il a voulu créer un label, organiser des concerts et des festivals. Avant cela, il avait déjà fondé, avec un ami,  le label Bouvard et Pécuchet et avait produit quelques albums de jazz, par exemple le sextet de Kalmán Oláh. Il a fondé le label BMC en 1998. Il a d’abord produit ses amis musiciens puis le label a pris de l’expansion. Le premier album de dimension internationale n’était pas un album de jazz mais de musique contemporaine : Atlantis du compositeur Peter Eötvös, une pièce pour baryton, cymbalum et orchestre, soit l’Orchestre Symphonique de la WDR. Cet album a touché un large public en Europe. Dans le domaine du jazz, Lázlo a eu la chance d’enregistrer un album avec le tromboniste américain Carl Fontana. The Hungarian Jazz Trombone Company, dont il faisait partie, avait invité Carl Fontana à Budapest : ils avaient joué des standards et, après le concert, Lázlo a proposé de réaliser un enregistrement : First time together. Carl Fontana jouait les solos et les autres trombones formaient la section rythmique. C’était, je crois, le dernier album de Fontana : il a été chroniqué aux Etats-Unis. Grâce à ces deux albums, on a pu viser une distribution internationale. Après le website et le label, BMC a décidé d’organiser des festivals : Budapest Jazz Festival, New Music Forum, New Series Festival.

Le but du label était de promouvoir tant le jazz que la musique classique mais souvent en connexion avec la musique populaire hongroise et notamment avec le cymbalum…

Oui, il y avait déjà un cymbalum sur Atlantis, mais aussi en jazz, par exemple avec Miklos Lukács qui a joué à Bruges avec le pianiste Béla Szakcsi Lakatos en 2008. BMC est une plateforme de communication entre le jazz, la musique classique mais aussi avec des racines traditionnelles. Il y a des labels spécialisés en musique traditionnelle hongroise , comme Fono, notre but n’est pas de promouvoir de la musique folk traditionnelle : sur notre label, tous les éléments traditionnels apparaissent dans un contexte contemporain. Miklos Lukács a ses origines à la fois dans la musique populaire gypsy et dans la musique classique, Gyögy Kurtag par exemple. C’est la même chose pour Béla Lakatos, c’est un excellent pianiste, il a joué avec Jack DeJohnette et John Patitucci mais il a des racines gypsy : il a un langage gypsy naturel. C’est aussi le cas de Mihaly Dresch, le premier musicien hongrois à avoir été invité au festival Jazz Brugge (en 2004) : il ne fait pas un mélange artificiel entre le jazz afro-américain et ses racines hongroises : « it’s just his soul ». Il est tombé amoureux du jazz afro-américain quand il avait 15-16 ans, il écoutait John Coltrane et Archie Shepp. Il a commencé à jouer du saxophone et a rejoint György Szabados, le père du free jazz hongrois, qui utilise des éléments de la tradition populaire hongroise. Nous avons fait un disque avec Archie Shepp (Hungarian Be-Bop) : c’était étonnant de voir qu’Archie pouvait jouer comme un Hongrois parce qu’il ressentait ce monde mélodique spécial. Ces éléments populaires apparaissent toujours de manière organique. Mais nous avons aussi des musiciens qui ne se réfèrent pas à cet univers comme le guitariste Gabor Gado. Nous avons aussi des albums sans musiciens hongrois, par exemple, le quintet de Gueorgui Kornazov, avec Emile Parisien (The Budapest Concert). Est-ce que quelqu’un se soucie s’il n’y a pas d’éléments germaniques dans un album ECM ou Act?

Plusieurs musiciens américains ont d’ailleurs enregistré pour BMC…

Principalement des Européens mais aussi quelques Américains : Chris Potter (Live at MüPa), Archie Shepp (Hungarian Be-Bop), Dave Liebman (Unground avec Gabor Gado) mais aussi Carl Fontana, Jack DeJohnette, Hamid Drake… Mais nous avons une coopération plus régulière avec les musiciens européens.

Opus Jazz Club (BMC) Google+

Notamment des musiciens belges…

Oui, par exemple, Laurent Blondiau avec Gabor Gado (Tune Setting) et avec Alban Darche (Trumpet Kingdom) ou Bart Maris avec Viktor Toth (Popping Bopping). Durant ce mois de mars, dans le cadre du Festival de la Francophonie, il y aura Stéphane Mercier. En octobre dernier, nous avons programmé Kris Defoort avec la chanteuse Veronika Haresa qui est très populaire en Hongrie et a donné plusieurs master classes à Bruxelles : c’est comme cela que Kris Defoort l’a connue. Nous avons enregistré des musiciens belges, allemands, bulgares, hollandais comme Eric Vloeimans (trompette)et beaucoup de musiciens français : Christophe Monniot, Mathieu Donarier, Marc Ducret, Sébastien Boisseau, Alban Darche, Emile Parisien ou Manu Codjia. Par exemple, Gabor Gado a beaucoup joué avec des musiciens hongrois mais aussi des Français. Il est allé en France et a formé un quartet avec Mathieu Donarier (saxophone ténor), Sébastien Boisseau (contrebasse) et Joe Quitze (batterie). Il a eu de bonnes critiques dans JazzMag et JazzMan.

Vous vous rendez régulièrement dans des festivals européens…

Oui, le premier, c’était en 2002, à Perpignan. On était là avec des représentants de Bulgarie, Serbie, Slovénie, nous ne faisions pas encore partie de la Communauté européenne et l’association Afijma était intéressée par ces « funny animals ». Nous avons pu faire des contacts avec les journalistes. J’ai été ensuite invité  à Amsterdam, au Flemish Jazz Meeting de Bruges et au Belgian Jazz Meeting de Liège.

Vous avez organisé différents festivals…

Oui, le Budapest Jazz Festival à partir de  2003, mais, avec la crise, nous organisons plutôt des concerts, 4-5 jours par semaine dans notre club, l’Opus Jazz Club. Nous participons au Budapest Spring Festival et Autumn Festival qui ont leur propre budget. Nous nous tournons vers des sponsors privés, nous avons, par exemple, un accord avec Mole, une compagnie pétrolière hongroise. Nous essayons de proposer l’un ou l’autre focus spécial : on a eu une semaine de jazz tchèque, un weekend de jazz polonais et un de jazz français avec Sylvain Luc (guitare), Régis Huby (violon), Jean-Luc Cappozzo (trompette).  On a fait un focus sur le jazz autrichien avec le support de l’office de la Culture Autrichienne et, quatre fois par an, avec le support du Goethe Institute, un Goethe Jazz. Ils nous aident à deux niveaux : en aidant de jeunes talents et des productions européennes pas trop chères comme Das Capital de Daniel Erdmann (saxophone ténor) ou Yves Robert Trio. En Hongrie, nous avons besoin d’un nouveau public. Beaucoup de jazz fans vont dans des festivals comme Varsovie ou Zagreb où ils écoutent du jazz américain. Ils ignorent qu’il y a une nouvelle scène européenne. Nous, c’est vers elle que nous nous tournons. Nous avons un club proche de l’Université et les étudiants, pour un prix raisonnable, viennent écouter et découvrir de jeunes musiciens. Durant les années ’90, le jazz hongrois était assez isolé, maintenant nous ouvrons notre esprit à la jeune scène européenne.

Quelques-unes de dernières productions de BMC Records : un reflet de la scène hongroise.

Mihály Borbély Quartet, Hungarian Jazz Rhapsody, BMC 187, 2014.

Un saxophoniste qui joue aussi du taragot, un instrument traditionnel hongrois, un hautbois avec une seule anche. Il interprète notamment cette Hungarian Jazz Rhapsody d’Attila Zoller ou Polymodal Blues du pianiste Kálmán Olah

http://bmc.hu

Modern Art Orchestra, Plays the music of Kristof Bacsó, BMC 204, 2014.

Un big band d’une vingtaine de musiciens qui joue la musique du saxophoniste Kristof  Bacsó. De beaux solos de trompette du leader Kornél Fekete-Kovács.

Viktor Toth Aura Trio, The present, BMC 210, 2014.

Un saxophoniste qui a joué au festival de Bruges avec Hamid Drake. Il a été révélé par Gyórgy Szabados, le père du free jazz hongrois. Il joue ici en trio avec Miklós Lukács au cymbalum et Gyögy Orbán à la contrebasse.

Michael Schiefel, Platypus trio, BMC 207, 2014.

Un chanteur allemand qui aime avoir recours à des loops, des “electronic devices” : il est ici aux côtés du violoncelliste hollandais Jörg Brinkmann et du joueur de cymbalum hongrois Miklos Lukács.

Grzegorz Karnas Trio (feat. Miklos Lukács), Vanga, BMC 209, 2014.

Un chanteur polonais qui compose en anglais et recourt, avec bonheur, au scat. Avec Lukács au cymbalum.

István Grencsó Open Collective, Flat, BMC 205, 2014.

Il a joué à Bruges en 2010 et au Gaume Jazz avec Del-Alföldi, un ensemble de saxophonistes. Il a côtoyé des free jazzmen allemands comme Peter Brotzmann ou Peter Kowald. On l’entend ici en quartet au saxophone ténor, à la flûte et à la clarinette basse.

Trio Kontraszt, BMC 215, 2014

Un trio très célèbre en Hongrie formé d’ István Grencsó (ts, bcl, fl), Stevan Kovacs Tickmayer (p, celesta) et Tamas Geröly, percussionniste que Laurent Blondiau avait invité pour son album Buenaventura. Tamas, outre des percussions, joue du gardon, instrument à trois cordes percutées par une baguette. Une musique d’inspiration libertaire.

Béla Szakcsi Lakatos, Climate change, BMC 212, 2014.

Célèbre pianiste issu du Conservatoire Bela Bartok, il joue ici en quartet avec le saxophoniste américain Tim Ries, la rythmique est constituée de Robert Hurst et Rudy Royston. Il a aussi enregistré avec Jack DeJohnette et John Patitucci.

bmcrecords.hu

Gueorgui Kornazov Quintet Horizons, The Budapest Concert, BMC 216, 2014.

Un vrai bijou de ce tromboniste d’origine bulgare qui a fait partie du Strada Sextet d’Henri Texier. Un des meilleurs albums de 2014 et dont la chronique se trouve ici !