Airelle Besson, First Lady Of The Jazz Trumpet
AIRELLE BESSON, FIRST LADY OF THE JAZZ TRUMPET
Rencontre au sommet avec la musicienne de l’année, lauréate 2014 du prix Django Reinhardt.
Les femmes trompettistes forment une espèce rare dans le monde du jazz. Le continent nord-américain en compte quelques-unes : Ingrid Jensen, Ellen Seeling, Leala Cyr (découverte aux côtés d’Esperanza Spalding), l’« ancêtre » Valaida Snow ou encore la regrettée Laurie Frink (« trumpet mother » de Dave Douglas, Takuya Kuroda, Ambrose Akinmusire). L’Espagne a la toute jeune Andrea Motis… Airelle Besson est l’exception française. Généreuse de son temps, elle s’est longuement entretenue avec nous le 18 février dernier.
Vous semblez être l’unique « spécimen » en France. Comment l’expliquez-vous ?
C’est très difficile de répondre à cette question car moi-même je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas davantage de jeunes femmes pour s’intéresser à la trompette et autres instruments à vent, souvent désignés comme plus « masculins » – personnellement je ne les vois pas de la sorte, bien sûr.
Une image masculine qui perdure avec la longue tradition des fanfares militaires ?
Oui, certainement… mais pas seulement.
Est-ce tout simplement un instrument dont il est plus difficile de jouer pour une femme ?
Absolument. La trompette demande une exigence parfaite, une rigueur extrême et une condition physique digne de celle des chanteurs lyriques. Ces paramètres très contraignants font partie de notre quotidien. Les premières années d’apprentissage sont très difficiles, il faut du temps avant de pouvoir sortir de belles notes, donc avant que ce soit plaisant… cela peut facilement décourager.
Depuis juin 2014, vous êtes la première femme artiste associée du festival Jazz sous les Pommiers, pour une résidence de deux ans. L’occasion de sensibiliser le jeune public féminin aux instruments à vent au cours de vos actions pédagogiques ?
Oui, je ferai tout pour ! C’est déjà le cas dans une classe de l’Orchestre des Écoles, que j’ai récemment rencontrée. C’était très touchant de voir ces petites filles s’essayer au trombone !
L’Académie du Jazz vient de vous décerner le prestigieux prix Django Reinhardt et vous sacre, par là-même, « musicienne de l’année ». Vous sentez-vous pour autant investie du rôle d’« ambassadrice » du jazz en France ?
Ce fut une grande surprise (je n’ai pas réalisé tout de suite !), un moment extrêmement touchant. Cette « récompense » est très porteuse en termes de sollicitations puisque cette année je suis le fil rouge entre le festival Les Pestacles, le Paris Jazz Festival et Classique au Vert, ce qui peut mettre une certaine pression. Mais je garde les pieds sur terre et reste concentrée. Je suis très reconnaissante envers la profession et je prends cette distinction comme un encouragement à aller encore plus loin sur ce chemin qui est le mien.
Vous avez fait vos débuts de chef d’orchestre l’année dernière avec l’Orchestre des Gardiens de la Paix. Là aussi, force est de constater que les femmes sont bien trop rares… Carla Bley et Maria Schneider n’ont pas leurs semblables en France, même si l’on doit mentionner Carine Bonnefoy ou Sylvia Versini. Alors… une place à prendre ?
Les femmes chefs de chœurs sont plus nombreuses mais la direction d’orchestre se féminise petit à petit. Je connais bien la musique de Maria Schneider pour l’avoir étudiée et relevée. J’adore cette femme, ce qu’elle dégage, ce qu’elle compose. C’est vrai qu’il y a aussi une certaine douceur dans sa musique et sa direction, très éthérée, mais pas seulement, car elle peut aussi écrire des choses très fortes, très poignantes. J’ai eu la grande chance de jouer avec Carla Bley au sein du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden il y a quelques années. Nous avons eu un très bel échange et nous nous sommes revues en 2013 à Londres, dans le cadre du programme Take Five Europe auquel nous participions.
En tant que musicienne, je ne cherche pas à m’identifier à qui que ce soit. J’admire Carla et Maria pour ce qu’elles apportent à la musique. Je ne pense pas qu’elles revendiquent absolument le fait d’être femmes dans ce métier et c’est justement cela qui me plaît chez elles. Il y a quelques années encore, les femmes instrumentistes dans le jazz étaient un phénomène un peu nouveau, surtout en France, et on me sollicitait souvent par rapport à cela ; mais je n’ai jamais voulu jouer cette partition. Musicien ou musicienne, ce qui m’intéresse c’est la musique.
La formation en direction d’orchestre que j’ai suivie ces quatre dernières années correspondait davantage à un besoin d’approfondir mes connaissances et mon éducation musicale, à un moment donné de mon parcours. Je n’ai pas le désir fou, à l’heure actuelle, de devenir chef d’orchestre et de diriger une œuvre classique. Cela demande une maîtrise que je n’ai pas encore, même si, à l’issu des six premiers mois de ma formation, j’ai réussi à diriger une des symphonies londoniennes de Haydn par cœur ! J’ai poursuivi avec les Symphonies 1 et 2 de Beethoven, cette expérience d’une richesse incroyable m’a permis d’avoir par la suite des commandes pour grand orchestre (Loulou de Pabst avec l’Orchestre National de Lyon, notamment). Denis Lebas, mon directeur de résidence à Coutances, aimerait beaucoup aller dans ce sens-là et moi aussi, donc nous verrons, en fonction du temps que nous aurons.
Vous avez récemment formé l’Airelle Besson 4tet avec Isabel Sörling, vocaliste suédoise au timbre très éthéré. Une façon pour vous de rétablir un certain équilibre de textures sonores ?
Il n’y a rien d’aussi touchant et profond que la voix ! Je ne pouvais concevoir ce projet sans présence vocale, et j’ai mis deux ans avant de trouver LA chanteuse. Je cherchais quelqu’un qui puisse à la fois être improvisatrice, instrument à part entière et chanteuse à textes, dans un registre plutôt pop ; ce qu’Isabel fait magnifiquement bien. Elle a effectivement un son très aérien qui épouse parfaitement le mien, une large tessiture et une palette d’expression très riche, empruntant notamment à la musique contemporaine. Tout ce que j’aime !
Un album et des concerts en prévision avec cette nouvelle formation ?
Nous devons enregistrer prochainement, et l’album devrait sortir à l’automne 2015. Nous serons en concert le 24 avril 2015 au festival Jazzahead à Brême, en Allemagne. La première française aura lieu le 16 mai dans le cadre de Jazz sous les pommiers. J’ai grandement hâte !
Nous aussi.
Entretien publié simultanément dans LondonJazzNews (UK),Citizen Jazz (Fr), JazzMania (Be),Jazz’Halo (Be).
Propos recueillis par Sandie Safont