Thomas de Pourquery Supersonic, Play Sun Ra
Thomas de Pourquery Supersonic, Play Sun Ra (Quark)
A la veille de cette 25e édition de Jazz à Liège, j’ai certes vu Thomas de Pourquery en concert, la première fois, au Gaume Jazz en 2002, au sein de l’Orchestre National de Jazz dirigé par Paolo Damiani (album “Charméditerranéen”), la seconde, au Jazz Brugge de 2010, avec le Megaoctet d’Andy Emler, mais encore jamais en tant que leader. Pour son projet Supersonic, l’ancien élève de François Jeanneau au Conservatoire de Paris a décidé de s’attaquer à un personnage vraiment mythique (au sens premier du terme) de l’histoire du jazz : Sun Ra. Né en 1914 (en 15, selon d’autres biographes), Herman Poole Blount avait rejoint l’orchestre de Fletcher Henderson, avant de former son propre trio et de s’orienter vers les synthétiseurs, son fameux Moog (du nom de son inventeur Robert Moog) dont la sonorité est très particulière, très différente du Fender Rhodes. Dès les années 1950, il se fera appeler Le Sony’r Ra, ou Sun Ra et formera son fameux Arkestra, entre autres, avec ses fidèles (au sens presque religieux du terme) Ronnie Boykins (contrebasse), John Gilmore (saxophone ténor), Marshall Allen (saxophone alto) ou Pat Patrick (saxophone baryton). Au fil du temps les qualificatifs accolés à l’Arkestra abondèrent : Solar, Intergalactic, Myth Science, Outer Space… Mais avec certaines constances : une certaine fidélité à Duke Ellington et Fletcher Henderson, une volonté de surprendre (un “Salute to Walt Disney” dédié aux musiques de dessins animés), un véritable attrait pour le free jazz des années 1960 et son cri de révolte. S’il a lu W.E.B. Du Bois, c’est sans doute “Stolen Legacy” de George James qui l’a principalement inspiré : l’auteur y défendait la thèse que les pyramides d’Égypte étaient l’œuvre d’Africains noirs, représentants d’une civilisation très avancée qui ne devait rien à la civilisation hellénistique. D’où cette admiration pour l’Égypte ancienne, cette aspiration à apparaître comme le “pharaon de la cause noire”, un gourou à la tête d’une quasi secte : l’Arkestra. Cette “utopie musicale”, pour reprendre le terme de Philippe Carles, repose sur différents paramètres : une grande importance accordée à la musique électronique, un polyinstrumentisme poussé à l’extrême, une multitude de percussions, une grande place laissée à la voix (notamment celle de June Tyson), à la danse et à la mise en scène au travers de costumes extravagants. Au nom de son label Saturn et de nombreux labels indépendants, furent enregistrés 150 à 200 albums (certains posthumes, souvent en live, comme nombre de productions Leo Records). Parmi ses premiers albums, en 1957, “Super Sonic Jazz”. C’est cet album qui a donné son nom au sextet réuni par Thomas de Pourquery, une formation au polyinstrumentisme débridé. A la trompette, mais aussi aux bugle, tuba, percussions et voix, Fabrice Martinez, le très prometteur trompettiste de l’actuel Orchestre National de Jazz dirigé par Olivier Benoît, également membre du Gros Cube et du Sacre du Tympan. Aux saxophones ténor et baryton, mais aussi aux percussions et voix, Laurent Bardaime qui s’est révélé en duo avec le batteur Philippe Gleizes. Au piano, mais aussi aux multiples synthés et voix, Arnaud Roulin, membre du Gros Cube. A la basse électrique, aux effets électroniques et voix, l’autodidacte Frédérik Galiay. A la batterie, mais aussi aux percussions, effets électroniques et voix, Edward Perraud que l’on a pu voir à Bruges avec Sylvain Kassap. Quant au leader, il passe allègrement du saxophone alto aux soprano, theremin, melodica, percussions et voix. Le répertoire est constitué de 7 compositions de Sun Ra, empruntées à des époques différentes (Rocket Number One de 1960, Shadow World de 1966 mais aussi Love In Outer Space de 1983), Eulipions de Roland Kirk et trois originaux (Three Moons, joué par les trois souffleurs, Disco 2100 et N’other Blue Man Pool). Comment Thomas de Pourquery a-t-il abordé ce répertoire ? Avec une volonté de laisser une grande place aux effets électroniques (Rocket Number Nine, The Perfect Man, Watusi Egyptian March) mais aussi à la voix (tous les musiciens plus Jeanne Added sur Enlightenment), aux percussions (tous les musiciens autour d’Edward Perraud connu pour sa recherche de sonorités nouvelles) et au langage free (envolée de l’alto survolté sur Disco 2100, ténor aylérien sur Eulipions), avec parfois des références au funk ( The Perfect Man ou le motif obsessionnel du baryton sur Shadow World). Incontestablement une musique à voir en concert, notamment pour son polyinstrumentisme déjanté.
Claude Loxhay