Stéphane Belmondo’s Love For Chet
Pour l’amour de Chet
Lumineuse interprétation de thèmes chers au trompettiste américain
propos recueillis par Jean-Pierre Goffin / Photos de Jos Knaepen
Environ trente ans que Stéphane Belmondo croisait la route de Chet Baker, une rencontre qui allait marquer une vie, tant sur le plan musical qu’humain. Il aura fallu ces trois décennies pour que le Français rende plus qu’un hommage au trompettiste américain.
« Love For Chet » est une déclaration d’amour à la musique tout court ?
On peut considérer ça comme un message d’amour. J’ai rencontré Chet quand j’avais 18 ans; à cet âge-là, ça ne peut que laisser des souvenirs puisque c’est le début de ma vie musicale, ça m’a beaucoup marqué. Ce n’est pas un hommage vraiment, c’est une rencontre spéciale, je n’avais jamais rien fait sur Chet avant aujourd’hui et je crois que j’y mettais des réserves avant cet album. L’idée est venue de mon agent Christophe Deghelt qui adore Chet et qui a écrit une thèse sur lui à peu près à l’époque où j’ai rencontré le trompettiste. J’ai d’abord refusé deux fois, puis il y a un peu plus d’un an, je l’ai rappelé… Il y a eu beaucoup d’hommages ces derniers temps celui de Ricardo del Fra, celui d’Eric Lelann qui est un peu un « brother » pour moi, je le connais depuis longtemps . Mais Christophe m’a convaincu en me disant que mon projet sonnerait de toute façon différent, et en en parlant pendant des semaines, je me suis dit qu’il fallait y aller et que je le fasse avec les musiciens que j’avais en tête : Thomas Bramerie qui est un bassiste avec qui je collabore pratiquement depuis ma naissance puisqu’on a débuté quasiment ensemble, puis Jesse Van Ruller que je connais depuis 25 ans, on n’avait pas rejoué ensemble depuis longtemps , un musicien vraiment incroyable comme il y en a peu sur la planète. Donc, voilà ça devait se faire…
Quelle image gardez-vous de Chet Baker ?
J’ai très bien connu Chet les trois dernières années de sa vie; quand il était à Paris, il venait à la maison, on parlait beaucoup, on cuisinait ensemble, il parlait de la vie, on parlait de la mienne qui était en apprentissage. C’est quelqu’un qui m’a toujours protégé, il m’a d’ailleurs toujours tenu à l’écart de la drogue. Ce qui était bouleversant pour moi, c’est que j’étais dans une période où je recopiais tous ses solos, une période de mimétisme et quand je l’ai rencontré, il a trouvé quelqu’un qui jouait avec son son, ses articulations, il a trouvé que c’était quelque chose de fort. Il était quelqu’un de très simple, il aurait pu faire une carrière comme Miles, mais il en était l’opposé sur la façon de voir le business. Il avait aussi ce côté play-boy, il faisait des pubs pour des chemises, des cravates,… C’était quelqu’un de très gentil, même si aujourd’hui on parle beaucoup du côté drogue, du mauvais côté de sa vie, avec moi il a toujours été exceptionnel… Bien sûr il devait de l’argent à tout le monde à cause de son addiction, mais il était quelqu’un de formidable, il était généreux avec moi, il m’a emmené en Italie en tournée, il m’offrait toujours le restaurant. Il y a un film qui va sortir bientôt, d’un Italien, et je n’ai pas voulu y participer parce qu’on y accentue le mauvais côté de Chet, et ce n’est pas le Chet que j’ai connu, et quand je peux le dire, je le dis : c’était quelqu’un de formidable. Et puis ce qui compte avec un musicien, c’est sa musique, je trouve qu’avec Chet on rentre trop dans les détails obscurs de sa vie, c’était une époque où les musiciens se droguaient, bon voilà !
Qu’est-ce qui a guidé votre choix dans les thèmes de l’album ?
Il va y avoir trois volets à ce projet : celui chez Steeplechase avec Doug Raney et NHOP et celui avec Philip Catherine et Rassinfosse ou Ricardo del Fra, les trios avec guitare donc. Ensuite, j’entre en studio en octobre pour évoquer les collaborations avec des pianistes comme Mickey Graillier et bien d’autres en Europe, le trio trompette-piano-contrebasse. J’inviterai plusieurs musiciens qui notamment ont joué avec Chet, mais c’est trop tôt pour dévoiler des noms. Et le troisième volet sera une remontée dans le temps qui évoquera le fameux quartet sans piano avec Gerry Mulligan, sauf que dans mon projet, je ne prendrai pas un sax-baryton, mais un trombone pour un peu s’écarter de l’original. Chet à l’époque du trio avec guitare aimait piquer des pièces brésiliennes, des thèmes de Richie Beirach… C’était compliqué pour moi de choisir; le choix s’est finalement fait naturellement, il y a une trentaine de chansons que j’avais en tête, j’ai gardé celles que j’aimais, que j’ai joués souvent avec lui, des thèmes dont on parlait ensemble; le choix s’est fait par rapport à l’histoire que j’ai vécue avec lui. Puis il y a deux compositions, une de ma fille et « Say it So » de moi… Il y a aussi une composition de Milton Nascimento…
A qui vous avez consacré un album avec votre frère; vous avez aussi repris une des ses chansons sur l’album « The Same As It Never Was Before » ( « You and I »), puis aujourd’hui « Tarde ». C’est un artiste qui vous sert aussi de fil conducteur.
Je suis un inconditionnel de la musique brésilienne. J’ai apprécié Milton pendant trois ans avec le disque qu’on a fait ensemble et « Tarde » est un thème que Chet aurait pu jouer. Il y aussi la chanson du film « Les Choses de la Vie », « LaChanson d’Hélène » qui établit un peu une filiation entre le cinéma et Chet qui a beaucoup enregistré des musiques de film, notamment le 33 tours avec les musiques de Cosma qui est un peu passé sous silence, mais qui est magnifique.
« Love For Sale » a souvent été joué par Chet en trio, dans un arrangement très réussi, mais je ne me souviens de qui…
C’est Chet qui a fait cet arrangement. Il a été enregistré pour la première fois avec Ron Carter à la contrebasse qui jouait le pont de la chanson, il y avait aussi Michael Brecker, Paul Desmond, Tony Williams,… un disque fantastique où il y a aussi la première version de « You Can’t Go Home Again »
Vous enregistrez aussi un morceau avec un chanteur que nous ne connaissons pas…
C’est le lien avec Chet pour la voix. Je connais Amin Bouker depuis de nombreuses années; il a fait la tournée d’hommage à Chet à peu près six mois après sa mort, avec Nicola Stilo, Michel Graillier, Ricardo del Fra, Simon Goubert et moi. Nous avons fait une tournée d’un mois et Amin, qui était un ami de Ricardo, venait chanter quelques morceaux. Amin a vécu à Paris, il est chirurgien et maintenant il vit en Tunisie, son pays d’origine. C’est un beau clin d’œil par rapport à Chet. Curieusement, Amin a choisi une ballade que Chet chantait rarement, moi je ne l’ai jamais entendue qu’en voiture…
N’avez-vous pas l’impression que chez les jeunes musiciens il y a aujourd’hui un manque de Chet ?
C’est un sujet dont je parle tous les jours avec les gens de ma génération comme Jacky Terrasson avec qui je tourne beaucoup pour l’instant. Je pense que la musique de jazz est appelée à disparaitre… Il reste à peu près cinq grands messieurs du jazz vivants qui ont connu la grande époque du jazz et quand ils disparaitront à leur tour, le jazz sera un peu perdu… L’apprentissage par la rencontre disparait, chacun veut défendre son truc. Joe Henderson me disait : « Il faut savoir d’où tu viens pour savoir où tu veux aller ». Toute musique est un apprentissage, il y a aujourd’hui des musiciens qui n’ont joué avec personne et qui enregistrent leur projet… Il faut d’abord être capable de se fondre dans un orchestre, que ce soit du jazz ou du rock d’ailleurs…On ne parle plus de Chet aujourd’hui. Vous connaissez Dré Pallemaerts, un ami, un musicien exceptionnel, et il parle aux cours du Conservatoire de batteurs comme Roy Haynes, Elvin Jones et 90% des étudiants ignorent qui ils sont !
INFOS
L’album « Love for Chet » est sorti chez Naïve/Harmonia Mundi.
Stéphane Belmondo, Jesse Van Ruller et Thomas Bramerie jouent le samedi 11 juillet au Gent Jazz.