Jazz in Belgium, In The Summertime…
De quelques galettes belges de l’été...
Notre chroniqueur Jean-Pierre Goffin revient ici sur quelques cédés sortis avec le soleil de l’été (dont une réédition), sous le thème des galettes de “chez nous”… C’est pour nous l’occasion – même si “une fois n’est pas coutume” – de proposer deux regards sur les mêmes productions.
En effet, Claude Loxhay, autre “senior chroniqueur” de l’équipe, a déjà écrit tout ce qu’il pense des nouveaux albums d’Eve Beuvens (déjà en ligne), mais aussi d’Emmanuel Baily et du Gratitude Trio !
Juillet-août abondent de festivals, les nouvelles sorties sont plus rares. Ces cinq perles, moins récente pour l’une, à peine sorties ou à venir pour les autres, ont séduit mes oreilles ces dernières semaines… et tournent toujours sur le lecteur.
Charles Loos en Public au Travers (Igloo Records)
Les « Jazz Classics » sont une bien belle idée, et cette prise « live » au « Travers » un formidable cadeau ! Cet enregistrement de 1987, remasterisé en 2015, sort quasi jour pour jour quinze ans après la fermeture du club bruxellois. L’expérimenté Félix Simtaine et le tout jeune Philippe Aerts, dans une empathie, magnifique, font plus qu’accompagner Charles Loos, ils l’épousent, le bercent, lui font l’amour… Pas un moment de faiblesse dans ce flux musical parsemé de moments de grâce, comme ce « Nocturne » de Diederik Wissels. Un hommage au club de la rue Traversière, mais aussi un coup de chapeau à un de nos plus brillants pianistes.
Gratitude Trio (El Negocito Records)
Entre les concerts d’Archie Shepp et du duo Chris Potter-Joe Lovano, la petite tente du Middelheim vibrait ce soir-là aux coltraniennes envolées de Jeroen Van Herzeele. Si j’ai raté le duo du saxophoniste avec Barcella – un tout grand moment, m’a-t-on dit – le concert du trio « Gratitude » m’a scotché : une pêche incroyable, une énergie à couper le souffle, que dire d’autre ? Si ce n’est que ce même soir, la chance m’a fait croiser Tom Lamers du label « el Negocito » et je n’ai pas mis 24 heures avant de glisser dans le lecteur cet enregistrement du trio datant de 2012. Les musiciens sont les mêmes que sur la scène anversoise ( Jeroen, tenor sax – Alfred Vilayleck, electric bass – Louis Favre, drums ) et l’impression d’une parfaite symbiose, d’une envoutante spiritualité, une musique qui prend aux tripes et rendue dans toute son expressivité par Michel Andina. A ne pas rater la prochaine fois que le trio passe près de chez vous !
Eve Beuvens, Heptatomic (Igloo Records)
“Coup de Coeur” du Gaume Jazz 2013, “la claque” du festival, la carte blanche d’Eve Beuvens à Rossignol avait été unanimement saluée. Le passage du lyrique « Noordzee » paru quelques années plus tôt alors que la pianiste sortait à peine du Conservatoire, à ce répertoire décoiffant, libertaire, mais soigneusement préparé, nous avait séduit. La version « studio » à paraître début septembre est du même tonneau, le bonus étant le soin extrême mis dans l’assemblage du répertoire, la prise de son et le mixage. Les longues pièces du Gaume Jazz, telles un workshop de Charlie Mingus, mettaient la musique sens dessus-dessous ; raccourcies, comme des miniatures empreintes de folie, elles participent à l’équilibre de l’album : « La Lettre du Scribe à la Joconde », « Scratching Mermaids » ou « The Swan and I » font office de respiration à l’envers, tout en contraste avec le sublime « Les Roses de Saadi » et le final d’une délicatesse apaisante « If, Food, Love » inspiré par une pièce de Purcell. Les qualités d’écriture d’Eve Beuvens, quelque peu occultées par la fougue du « live », éclatent au grand jour dans cet album studio qui devrait marquer la production discographique 2015, au-delà de nos frontières, espérons-le.
Emmanuel Baily, Night Stork (Igloo Records)
Aussi une carte blanche du Gaume Jazz, 2015 cette fois. Le projet d’Emmanuel Baily s’est construit à l’envers des habitudes gaumaises : si les cartes blanches entraînent souvent une production discographique, l’album a cette fois été enregistré avant le concert… mais sortira officiellement en automne. Le répertoire éclectique tient formidablement la route, et si Emmanuel Baily dit ne pas y avoir pensé, j’ai ressenti une liaison entre les « Variations Goldberg » de JS Bach en ouverture et la composition de… Jimmy Page qui clôt l’album. On se délecte aussi d’une version originale d’ « Autumn Leaves », de subtiles compositions aux inspirations diverses et d’un lumineux « Letter From Home » de Pat Metheny.
Fabian Fiorini, DesPapillons Noirs (El Negocito Records)
Toujours au Middelheim et cette rencontre avec Tom. Alors que Fabian Fiorini se déchaîne sur le piano du petit chapiteau, je repense à cet album « Fasol Fado » en duo avec Guy Cabay, paru en 1995 : pour illustrer ma chronique, j’avais demandé au pianiste de m’envoyer une photo… Il n’en avait qu’une, de dos ! Fabian Fiorini n’a pas souvent suivi les chemins faciles, préférant les voies aventureuses et passionnantes empruntées par des groupes comme « Octurn » ( le superbe « North Country Suite » sur la musique de Pierre Van Dormael) ou « Aka Moon » ( inoubliable concert au Dinant Jazz Nights avec Christina Zavalloni) ou plus récemment le piquant projet de Greg Houben. Depuis vingt ans, on attendait de l’entendre en solo sur galette : avec « De Papillons Noirs », c’est chose drôlement bien faite. Promenade poétique sur un texte qui illustre chacune des compositions du pianiste, on traverse aussi bien les champs classiques que contemporains, avec quelques envolées monkiennes. Un disque envoutant qui en appelle d’autres.